Sangharakshita, fondateur de la Communauté bouddhiste Triratna.

Le voyage de retour.

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portrait de Sangharakshita, par Marc Ulrich
© Marc Ulrich

Pendant ses années passées en Inde, Sangharakshita avait suivi, par affinité, les fortunes du mouvement bouddhiste en Occident, en particulier en correspondant avec quelques-uns de ses amis bouddhistes anglais. En 1964, il fut invité à passer six mois à Londres pour aider à recréer une harmonie dans un monde bouddhiste britannique déjà sectaire. Réalisant que, pour de nombreuses raisons, il ne pouvait guère faire plus pour le bouddhisme en Inde, il décida de voir quelles opportunités l'attendaient en Occident et accepta l'invitation. Il insuffla rapidement un nouvel esprit dans l'atmosphère trop sérieuse du bouddhisme anglais, s'élançant avec vigueur dans des cycles de cours, de conférences et de réunions. Il était clairement très apprécié, et le nombre de gens venant aux réunions qu'il animait commença à croître. Il était évident que le bouddhisme avait un grand potentiel en Occident. Les six mois devinrent dix-huit, et il décida finalement de retourner en Inde pour dire adieu à ses amis, et de revenir ensuite vivre à Londres de manière permanente.

Lors des dix-huit mois passés à Londres il était devenu titulaire du vihara bouddhiste de Hampstead, et c'est au vihara qu'il avait l'intention de revenir. Cependant, son approche non sectaire et son refus de se conformer à des attentes limitées quant à ce qu'un moine bouddhiste devait et ne devait pas faire retournèrent certains des administrateurs du vihara contre lui. Alors qu'il faisait son voyage d'adieu en l'Inde, il reçut une lettre lui notifiant qu'on ne lui permettrait pas de reprendre son ancien poste. En dépit des protestations de la plupart de ceux qui venaient au vihara, les membres du bureau avaient, à une faible majorité, voté pour l'exclure. À la lecture de la lettre, Sangharakshita se sentit soulagé. Il était libre de recommencer, hors de la confusion et des désaccords du monde bouddhiste britannique de l'époque. Avec la bénédiction de ses maîtres et amis indiens, il revint en Angleterre. Quelques jours après son arrivée, en avril 1967, il fonda les Amis de l'Ordre Bouddhiste Occidental, avec un petit groupe de ses disciples du vihara. Un an plus tard, il ordonna treize premières personnes, hommes et femmes, dans l'Ordre Bouddhiste Occidental.

Le reste de la vie de Sangharakshita est lié si étroitement au développement de l'AOBO / FWBO qu'il est difficile de le décrire en un simple récit. En quelques mots, il s'est complètement consacré à ce mouvement qui, dans l'ensemble, s'est développé très régulièrement et solidement. Les quelque cinq premières années ont été intensément créatives. Sangharakshita avait, si l'on peut dire, fait son apprentissage au sein du monde bouddhiste traditionnel : il avait profondément réfléchi au Dharma et l'avait intensément pratiqué. Il était maintenant seul et devait faire vivre le bouddhisme dans un environnement entièrement nouveau, en se basant seulement sur les principes fondamentaux. Étape après étape, Sangharakshita forma son nouveau mouvement bouddhiste.

Chaque semaine il y avait trois ou quatre cours. Au début, les activités eurent lieu au centre de Londres, dans la cave louée d'un magasin, puis dans des pièces empruntées à un restaurant macrobiotique et à un centre « new-age », et finalement dans un quartier du nord de Londres, dans une usine désaffectée et vouée à la reconstruction. Non seulement Sangharakshita animait-il toutes classes : il effectuait lui-même une grande partie du travail d'organisation, formant progressivement ses disciples à la gestion d'un mouvement bouddhiste. Il donna plusieurs séries importantes de conférences dans lesquelles il présenta les enseignements fondamentaux du bouddhisme, s'inspirant de toutes les écoles et de toutes les traditions. Il animait deux fois par an des retraites, et tout au long de l'année des séminaires ou des ateliers d'un jour ou d'un week-end. Une grande partie de son temps se passait dans des rencontres personnelles avec les nombreuses personnes qui souhaitaient le voir. Il n'était en effet pas seulement un maître et un enseignant pour ses disciples : il était aussi un ami.

En 1973, il sembla que le nouveau mouvement bouddhiste était suffisamment fermement établi pour que son fondateur se retire de la gestion quotidienne. C'était non seulement possible : c'était souhaitable. Les membres de l'Ordre avaient besoin d'avoir l'occasion de prendre plus de responsabilités, et Sangharakshita devait œuvrer de manière nouvelle. Le mouvement avait deux centres à Londres et deux en Nouvelle-Zélande, sans compter des groupes importants à Glasgow et à Brighton, et de plus petits ailleurs. Sangharakshita était à la tête d'un mouvement grandissant et ne pouvait rester impliqué dans un seul centre. Il alla vivre tout d'abord dans un petit chalet près de la mer en Cornouailles, puis dans plusieurs maisons dans les comtés du Norfolk et du Suffolk. Il y rédigea la première partie de ses mémoires, publiées en deux livres : « Learning to Walk » et : « The Thousand-petalled Lotus », et écrivit plusieurs articles.

Bien qu'il n'ait plus été impliqué dans l'organisation quotidienne de l'AOBO / FWBO, il regardait de près tout ce qui s'y passait, en particulier les initiatives nouvelles. Tandis que le mouvement grandissait et s'approfondissait, Sangharakshita alla toujours plus loin dans son enseignement, faisant à chaque étape ressortir les principes qui étaient à la base de l'évolution du mouvement. Il continua, au cours des quinze années qui suivirent, à donner d'importants cycles de conférences, et conduisit des séminaires destinés à des petits groupes de ses disciples et portant sur de divers textes bouddhiques, présentations contemporaines du Dharma, et travaux d'autres origines.

Tous les ans il rendait visite à plusieurs centres et groupes, en Grande-Bretagne et à l'étranger, rencontrant des personnes, donnant des conférences, et parlant avec des membres de l'Ordre. Londres était toujours le centre principal et il s'y rendait fréquemment, en particulier après l'ouverture en 1979 du grand Centre Bouddhiste de Londres, où il avait un petit appartement. En 1977, il avait installé sa résidence principale dans une maison de la campagne du Norfolk, qui devint le centre de retraite pour hommes de Padmaloka. Là, il forma autour de lui une petite communauté, dont certains membres travaillaient comme ses secrétaires, formant l'équipe de gestion de l'Ordre Bouddhiste Occidental. Vers la fin des années 70 le mouvement comportait environ quinze centres, et des communautés et des entreprises rattachées à plusieurs d'entre eux. L'AOBO n'offrait plus seulement des enseignements et des pratiques, mais un mode de vie nouveau et radical, se développant sous les conseils personnels du fondateur.

En 1977, un des principaux disciples anglais de Sangharakshita entra en contact avec certains de ses disciples en Inde et, avec leur aide, commença à y établir l'AOBO. Ce dernier y est connu sous le nom de Trailokya Bauddha Mahasangha Sahayak Gana (TBMSG), ou « Communauté des Aides de l'Ordre Bouddhiste des Trois Mondes », les trois mondes étant une allusion aux trois mondes de la cosmologie bouddhique et aux premier, second, et troisième mondes de la politique moderne. Il fut vite clair que Sangharakshita n'avait pas été oublié et que les principes de son nouveau mouvement bouddhiste étaient aussi applicables en Inde qu'en Occident. Très rapidement, des milliers de personnes s'impliquèrent dans le mouvement. Sangharakshita lui-même se rendit en Inde deux ans plus tard, et conduisit les premières ordinations d'Indiens dans l'Ordre. Il est allé périodiquement en Inde depuis lors, et s'est intéressé de près aux activités qui s'y déroulent, et qui se développent bien plus rapidement que n'importe où ailleurs dans le monde. Sur ses vifs conseils, ses disciples en Occident ont commencé à réunir des fonds destinés à des projets sociaux en Inde, en particulier parmi les nouveaux bouddhistes. Ces disciples ont créé ce qui est maintenant devenu une importante association de récolte de fonds, le Karuna Trust.

À cette époque, Sangharakshita avait une charge de travail extrêmement lourde. Se tenir simplement au courant ce qui se passait et maintenir le contact avec tous ceux qu'il avait ordonnés occupait une grande part de son temps. Grâce à une forte discipline personnelle, il continua son travail littéraire tout en visitant des centres, en donnant des entretiens individuels, en donnant des conférences et animant des séminaires, et en traitant les nombreuses questions et nombreux problèmes surgissant dans toutes les parties du mouvement. Il institua en 1981, dans un ancien monastère catholique en Italie, une retraite annuelle de trois mois pour les hommes qui s'approchaient de l'ordination, animant lui-même nombre des activités et supervisant l'étude. Pendant les huit années qui suivirent, ces retraites, bien que toujours exigeantes, furent pour lui une occasion de prendre du recul par rapport aux tâches quotidiennes d'un mouvement qui ne cessait de croître. Tous les ans, il alla également passer un certain temps dans les retraites d'ordination des femmes.

Heureusement, ses disciples aînés mûrissaient. En 1985 et 1986 il délégua à des équipes de membres de l'Ordre, hommes et femmes, le fait de conférer les ordinations en Inde, et en 1989 il transmit la responsabilité des ordinations en Occident. Il y avait alors parmi les membres de l'Ordre quelques enseignants et maîtres qualifiés, et bien imprégnés des principes que Sangharakshita avait éclairés tout au long des vingt années qui venaient de s'écouler. Il décida qu'il lui fallait se focaliser sur son travail littéraire, laissant autant que possible à d'autres le soin de diriger le mouvement. En 1989, il s'installa dans son appartement au Centre Bouddhiste de Londres, vivant paradoxalement en retraite dans la ville, et gardant plusieurs responsabilités importantes. Outre son écriture et ses responsabilités organisationnelles, Sangharakshita restait en contact avec ses nombreux disciples, rencontrant chaque jour plusieurs d'entre eux et correspondant avec d'autres. De temps à autres il visitait des centres de l'AOBO, montrant un intérêt particulier pour les nouveaux lieux où le mouvement se développe.

Le mouvement aujourd'hui a grandi à tel point que la grande majorité de ceux qui y sont engagés ont peu ou n'ont pas de contact personnel avec son fondateur. Il n'y a pas de « culte de la personnalité » dans l'AOBO, mais Sangharakshita est très apprécié et son influence s'étend à chaque aspect du mouvement. Mais il a toujours eu fortement conscience du fait que ses disciples devaient apprendre à continuer le travail sans lui. Il s'est engagé dès le début dans un processus conscient de retrait, afin que d'autres puissent prendre les responsabilités qu'il laisse derrière lui. À l'occasion de la célébration de ses soixante-dix ans, il a transmis ses dernières responsabilités à ses disciples les plus anciens.

Sangharakshita a vécu les derniès années de sa vie au Centre Triratna d'Adhisthana, en Angleterre, se focalisant sur le contact personnel avec des gens, et sur son travail d'écriture. Il est décédé le 30 octobre 2018.

'Sangharakshita, a New Voice in the Buddhist Tradition' © Subhuti, Windhorse Publications 1994, traduction © C. Richard 2007.

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  1. Le bouddhisme moderne est en crise.
  2. Un autodidacte.
  3. Le voyage en Orient.
  4. L'aide aux opprimés.
  5. Le voyage de retour.