Le Vimalakirti Nirdesa.

Le mythe de Manjusri.

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Mais d'où vient donc Manjusri ? D'où vient le mythe de Manjusri ?

Il est facile de comprendre d'où vient Vimalakirti, il a une existence historique, une personnalité historique, du moins il est dépeint ainsi. La question d'où il vient ne se pose même pas. C'est pareil pour Sakyamuni, le Bouddha Gautama. Il n'y a pas à se demander d'où il vient. Il est juste là, pour ainsi dire, sur la scène de l'histoire. Mais le personnage de Manjusri demande quelque explication. On ne le trouve pas dans les écritures Pali, alors d'où vient-il ? Comment s'est il introduit dans le bouddhisme ? Comment s'est il introduit dans le Mahayana ? Comment s'est il introduit dans les pages du Vimalakirti Nirdesa ? Comment s'est il introduit dans l'assemblée du Bouddha ? C'est là, une grande question.

Mais avant de l'aborder davantage, je veux reparler encore un peu de la rencontre de Manjusri et de Vimalakirti. Je l'ai appelée « confrontation » mais c'est plus que cela, comme vous vous en rendrez compte vous même si vous lisez ce chapitre du texte. C'est un échange dialectique rigoureux et vigoureux pendant lequel aucun ne fit grâce à l'autre. Ils s'y engagèrent complètement. En un sens chacun était parti pour gagner, pour vaincre l'autre (mais pas de façon égotique), chacun testant l'autre tout comme on teste un pot de terre pour voir s'il est fendu ou non. Chacun faisait l'expérience de l'autre dans la confrontation, dans l'échange dialectique, dans le test, et en même temps chacun faisait l'expérience de lui-même, de lui-même en contact avec l'autre. Chacun faisait l'expérience de la vérité, de la réalité de la situation. Donc, le contact entre les deux a lieu dans un contexte complètement positif.

Cela me rappelle Blake écrivant « l'opposition est la vraie amitié ». On pourrait en dire beaucoup à ce sujet. L'important est, bien sûr, que l'amitié (mot tellement sous-évalué), l'amitié spirituelle tout particulièrement, n'est pas quelque chose de faible, de sentimental, d'indulgent, de pusillanime. C'est quelque chose de vigoureux, un défi, exigeant, de tonifiant, de vivifiant, de stimulant, d'inspirant. C'est une douche froide plutôt qu'un bain tiède ! Lors de la conférence précédente nous avons vu Vimalakirti faisant une démonstration de ce genre d'amitié, de ce genre de bienveillance, lors de ses rencontres avec les différents Arahants et Bodhisattvas. Eux, bien sûr, ne furent pas tout à fait capables de tenir tête à cette amitié plutôt vigoureuse, c'était un peu trop pour eux. Mais Manjusri peut le supporter. En fait les deux sont plus ou moins de force égale, donc ils peuvent être amis.

J'ai cité Blake mais je me souviens ce que Nietzsche dit plus d'une fois à propos de nos ennemis comme étant réellement nos amis. Plus grand est l'ennemi, meilleur est l'ami en fait. Et, vers la fin du sixième chapitre du Vimalakirti Nirdesa sur l'émancipation, ou la Libération Inconcevable, Vimalakirti lui même dit la même chose, mais à sa manière.

Mahakasyapa, l'un des Arahants, vient juste de s'exclamer :

« que peuvent faire toutes les troupes de Mara à celui qui est voué à cette Emancipation Inconcevable ? »

Mais que dit Vimalakirti ? Il va plus loin :

« révérend Mahakasyapa, les maras qui jouent au diable dans les univers innombrables des dix directions sont tous des Bodhisattvas demeurant dans l'émancipation Inconcevable, ils jouent au diable afin de faire croître les êtres sensibles grâce à leur habileté dans les moyens. Révérend Mahakasyana, tous les misérables mendiants qui viennent voir les Bodhisattvas des univers innombrables des dix directions pour demander une main, un pied, une oreille, un nez, du sang, (souvenez vous que les Bodhisattvas donnent ce genre de choses dans les histoires Jataka), des muscles, des os, de la moelle, un œil, un torse une tête, un membre, un trône, un royaume, une femme, un fils, un esclave, une esclave, un cheval, un éléphant, un char, une charrette, de l'or, de l'argent, des joyaux, des perles, des coquillages, du cristal, du corail, du béryl, des trésors, de la nourriture, de la boisson, des élixirs, et des vêtements, ces mendiants quémandeurs sont habituellement des Bodhisattvas demeurant dans la Libération Inconcevable. Grâce à leur habileté dans les moyens, ils veulent tester et, ce faisant, démontrer la fermeté de la haute résolution des Bodhisattvas. Pourquoi ? Révérend Mahakasyapa, les Bodhisattvas démontrent cette fermeté par des austérités terribles. Les gens ordinaires n'ont pas le pouvoir d'imposer de telles demandes aux Bodhisattvas, sauf s'ils leur en accordent l'opportunité. Il leur est impossible de les tuer ou de les déposséder ainsi, sans qu'on leur en donne librement l'occasion. Révérend Mahakasyapa, tout comme le vers luisant ne peut éclipser la lumière du soleil, il n'est pas possible à une personne ordinaire d'attaquer et de déposséder ainsi un Bodhisattva sans que cela ait été permis spécialement. Révérend Mahakasyapa, tout comme un âne ne pourrait monter une attaque contre un éléphant sauvage, de la même manière quelqu'un qui n'est pas un Bodhisattva lui même ne peut harceler un autre Bodhisattva. Seul, celui qui est lui même un Bodhisattva peut harceler un autre Bodhisattva, et seul un Bodhisattva peut tolérer le harcèlement d'un autre Bodhisattva. Révérend Mahakasyapa, c'est là l'introduction au pouvoir de la connaissance des Moyens Habiles des Bodhisattvas qui vivent dans la Libération Inconcevable ».

Et bien! Vous vous souvenez peut être que dans la dernière conférence nous avons vu Indra, le roi des dieux, s'approchant du Bodhisattva Jagatimdhara, et lui offrant 12.000 jeunes filles célestes, que Jagatimdhara refusa. Alors vint Vimalakirti qui dit que ce n'était pas Indra mais Mara, le malin. Mais, à la lumière du passage que nous venons de citer, nous pouvons aller encore plus loin que cela. Oui, Indra était Mara, mais qui était Mara ? Je vous laisse y répondre vous même. Il est temps de revenir à la question « d'où vient Manjusri ? »

Theravada et Mahayana, l'histoire et le mythe.

On ne le trouve pas dans les écritures palies, qui sont comme vous le savez, les écritures du Theravada, ou école des anciens, l'une des toutes premières écoles bouddhistes. Ces textes ne furent écrits que plusieurs centaines d'années après le Parinirvana du Bouddha. Malgré cela, les plus anciennes des écritures palies reflètent sans aucun doute les conditions réelles dans lesquelles le Bouddha, le Bouddha Gautama, vécut et enseignât. Elles reflètent, jusqu'à un certain point du moins la forme véritable que prirent ses enseignements. Le Bouddha vécut et enseignât au 6ième siècle avant l'ère commune au Nord Est de l'Inde. En fait, nous trouvons dans les écritures palies beaucoup d'information sur la vie et les conditions en Inde de l'époque. Information sur la situation politique, la vie sociale, la vie économique, information sur les bonnes manières, les coutumes, les croyances religieuses et les superstitions, même sur les sports et les jeux. Les écritures palies, en fait, sont notre source d'information principale sur le Nord de l'Inde à cette époque. Il en résulte que dans les écritures palies, nous trouvons le dharma, nous trouvons le bouddhisme profondément enraciné dans son contexte historique. Nous le trouvons même recouvert, dans une certaine mesure, par ce contexte. Nous y trouvons un bouddhisme qui est un phénomène historique. Un bouddhisme qui est déterminé par le temps, l'espace et la causalité. Un bouddhisme qui existe en terme de réalité historique. Un bouddhisme qui s'exprime en terme de la réalité historique, pour ainsi dire ; mais que la réalité historique obscurcit et cache également. Il y a clairement un parallèle à faire entre le bouddhisme des écritures palies et le personnage de Vimalakirti. Un parallèle pour ce qui est de leur forme. Ils n'appartiennent pas au domaine du mythe, au domaine de la réalité archétypale. Non que certains éléments mythiques ne puissent être trouvés dans les écritures palies mais ce n'est que sous forme rudimentaire, bien que très belle, principalement sous forme de paraboles et de longues comparaisons. Pareillement dans les sûtras Mahayanas, comme le Vimalakirti Nirdesa, il y a des éléments de réalité historique mais ceux-ci occupent une position nettement subalterne. Dans le Vimalakirti Nirdesa par exemple, nous nous trouvons dans le jardin d'Amrapali et dans la ville de Vaisali mais le royaume de la réalité archétypale, de la réalité spirituelle, fait éruption dans ce royaume confortable de la réalité historique. Ou plutôt le royaume confortable de la réalité historique est forcé de s'ouvrir dans toutes les directions au royaume de la réalité archétypale, comme quand Vimalakirti ou le Bouddha accomplissent un miracle et déploient leurs pouvoirs magiques. Nous rencontrons aussi, dans le Vimalakirti Nirdesa, des personnages qui ne nous sont pas familiers (pas familiers du tout) des écritures palies. Nous rencontrons les Bodhisattvas et tout particulièrement, nous rencontrons Manjusri lui même.

'The Inconceivable Emancipation - Themes from the Vimilakirti Nirdesa', © Sangharakshita, 1990, traduction © Centre Bouddhiste Triratna, 2002

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  1. La magie d'un sûtra mahayana.
  2. Construire la terre de bouddha.
  3. Être toutes les choses pour tous les hommes.
  4. La critique transcendantale de la religion.
  5. L'histoire contre le mythe dans la quête de l'homme pour un sens.
    1. Le Bouddha jayanti.
    2. La rencontre entre Manjusri et Vimalakirti.
    3. L'histoire contre le mythe dans la quête de l'homme pour un sens.
    4. Le mythe de Manjusri.
    5. Le Bouddha du Vimalakirti Nirdesa.
    6. La réalité historique et la réalité archétypale.
  6. La porte du dharma de la non-dualité.
  7. Le mystère de la communication humaine.
  8. Les quatre grandes bases fiables.