Le Vimalakirti Nirdesa.

Comment le bodhisattva construit-il la terre de bouddha ?

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Comment le bodhisattva construit-il la terre de bouddha ? La réponse à cette question devrait être encore plus évidente que la précédente, et le Bouddha y a déjà répondu. Il dit qu'un champ de bouddha de bodhisattvas est un champ de pensée positive, un champ de haute résolution, un champ d'application vertueuse, un champ des six perfections, un champ des quatre incommensurables, un champ des trente-sept aides à l'éveil, un champ des dix préceptes. En d'autres termes un bodhisattva purifie un champ de bouddha dans la mesure où il purifie son propre esprit. Ou il construit une terre de bouddha dans la mesure où il se développe spirituellement lui-même, dans la mesure où il pratique le dharma lui-même pour le bien de tous. C'est comme cela qu'il construit la terre de bouddha. Et là, le bodhisattva est mis au singulier parce que le dharma doit être pratiqué par chacun individuellement. Mais chacun le pratique cependant, dans un contexte de compagnonnage spirituel avec d'autres qui le pratiquent aussi, en d'autres termes avec d'autres bodhisattvas. La terre de bouddha est construite par l'union de leur pratique individuelle du dharma.

Nous avons maintenant traité notre sujet. Nous l'avons traité en répondant à cinq questions. Nous avons vu que la terre de bouddha est l'environnement idéal pour mener la vie spirituelle, envisagé à une échelle cosmique. Nous avons vu qu'elle est construite par l'union des efforts spirituels des bodhisattvas. Nous avons vu qu'ils la construisent parce que, s'ils veulent vraiment être bodhisattvas ils n'ont pas d'alternative, parce que le développement spirituel d'une personne entraîne le développement spirituel de tous, et vice-versa. Nous avons vu que les bodhisattvas construisent la terre de bouddha avec eux-mêmes, avec leurs propres vies. Et nous avons également vu qu'ils la construisent grâce à leur pratique individuelle du dharma dans le contexte d'un compagnonnage spirituel. Mais d'un côté, simplement répondre à ces questions ne nous avance pas beaucoup parce que cela nous laisse avec une plus grande question encore, et cette question doit sûrement être : qu'est-ce que cela a voir avec nous ? Le contenu coloré de ce sûtra mahayana magique, qu'est-ce que cela a voir avec nous ? Après tout la terre de bouddha est quelque chose que nous ne pouvons même pas imaginer, construite principalement par des bodhisattvas évolués, des êtres que nous pouvons à peine imaginer, grâce à une pratique du dharma que nous pouvons à peine imaginer, alors qu'est-ce que tout cela a faire avec nous ? Je vais maintenant essayer de répondre à cette question, ce qui veut dire revenir sur terre. En fait, je vais essayer d'y répondre indirectement à l'aide d'une considération sur l'art.

L'art et la créativité.

L'art est souvent un bon moyen pour servir d'intermédiaire entre le monde des valeurs spirituelles les plus hautes, et la vie ordinaire au quotidien. En se déplaçant, on entend les gens dire toutes sortes de choses. Parfois ils se plaignent, mais l'une des choses que l'on entend souvent les gens dire, spécialement je pense dans le contexte de l'AOBO, est : « je ne suis pas très créatif. » Parfois c'est dit sur un ton apologétique, parfois avec défiance, parfois pensivement, parfois ironiquement. En tous cas, d'une manière ou d'une autre, c'est ce qu'ils disent, et généralement ils veulent dire bien sûr, qu'ils ne savent pas peindre, ou écrire des poèmes, ou composer de la musique, ou même faire un pot en terre (non pas que cela soit facile.) La créativité artistique a l'air d'être plutôt à la mode de nos jours. Tout le monde est sensé être créatif. Que voulons-nous dire par ne pas être créatif ? Que voulons-nous dire par être créatif ? Est-ce simplement une question de savoir peindre, etc ? Pour répondre à cette question, nous allons devoir considérer au moins un aspect de la créativité. Il n'y a aucun espoir d'aborder le sujet correctement juste en quelques instants, mais nous le ferons suffisamment pour les besoins présents.

La créativité suppose une distinction entre sujet et objet. D'un côté il y a la personne qui crée. De l'autre il y a la matière à partir de laquelle elle crée, il y a aussi « l'idée » en accord avec laquelle elle crée, et cette idée peut être plus ou moins consciente. Le matériau à partir duquel l'artiste crée est de trois sortes différentes.
D'abord il y a son environnement matériel - ou une partie de celui-ci - comme par exemple, un lopin de terre, un morceau de bois ou de marbre, des pigments et une toile.
Deuxièmement, il y a sa propre personne, comme par exemple sa voix, son corps, ses états mentaux et affectifs.
Troisièmement, il y a les autres, et cette catégorie peut être sous-divisée en deux ;
a) les gens qui sont seulement du matériau passif pour la créativité de l'artiste,
b) les gens qui coopèrent activement avec la créativité de l'artiste, ceux qui sont eux-mêmes créatifs, relativement à la créativité de l'artiste.

Donc là il n'y a pas de distinction absolue entre la personne qui crée et le matériau à partir duquel elle crée, c'est-à-dire d'autres personnes. Elles sont mutuellement créateurs et matériau de création. Je ne donnerai pas d'exemple des différentes œuvres d'art produites à partir de ces trois différentes sortes de matériau. Je laisse cela pour vous.

Je veux revenir à la distinction entre sujet et objet. Nous faisons l'expérience de nous-mêmes, en tant que sujets en relation avec tout le monde extérieur. Le monde extérieur est objet dans le sens le plus large. Mais nous ne sommes pas simplement passifs relativement au monde extérieur. Nous ne faisons pas qu'enregistrer des impressions. Oui le monde empiète sur nous, mais nous aussi empiétons sur le monde, sur notre propre environnement, nous empiétons sur notre propre soi, sur nous-mêmes, considéré comme objet par nous-mêmes, c'est-à-dire considéré de manière réflexive, et nous empiétons sur les autres. Nous ne faisons pas qu'empiéter sur le monde, nous l'affectons aussi de diverses façons. Nous le modifions, nous l'arrangeons, nous le réarrangeons - du moins dans une certaine mesure, aussi infime soit-elle. De plus nous n'empiétons pas sur le monde au hasard. Nous ne modifions, arrangeons et réarrangeons pas par hasard. Nous empiétons en accord avec une certaine idée, en accord avec un certain schéma, ou image, ou gestaltisme, ou mythe en nous, ou qui est même, nous.

Cette idée, etc, n'est pas toujours réalisée consciemment. En fait, elle est même très rarement réalisée consciemment. Qu'est-ce que tout cela veut donc dire ? Cela veut dire que notre relation avec le monde est essentiellement créative. Le sujet, le sujet humain, est essentiellement créatif en relation avec son objet. Nous créons tout le temps. Il n'est donc pas question que quelqu'un ne soit pas créatif. C'est seulement une question de degré, une question de plus ou moins de succès, de plus ou moins de clarté, plus ou moins de positivité, une question de la qualité, pour ainsi dire, de notre créativité. Nous sommes créatifs quand nous parlons, nous sommes créatifs quand nous peignons et décorons une pièce, nous sommes créatifs quand nous écrivons une lettre, et ceci comme certains d'entre vous ont dû le réaliser, est le principe de base de ce que l'on peut appeler le « Zen appliqué », c'est-à-dire Zen appliqué à l'art de vivre lui-même. La créativité n'est pas limitée au domaine de l'art.

Si notre relation au monde est essentiellement créative, on en arrive à une conclusion intéressante : il s'ensuit que le monde, notre monde, est notre création, que nous créons notre monde. La question n'est donc pas d'être créatif ou non. La question n'est pas si nous devons créer un monde ou non. Nous n'avons pas le choix. Il est seulement question de ce que nous créons, de quel genre de monde nous créons. En termes bouddhistes traditionnels, nous pouvons nous créer un monde des dieux, c'est-à-dire un monde de plaisir, raffiné, sensuel, intellectuel, esthétique, mais de plaisir plutôt égoïste et complaisant. Ou nous pouvons nous créer un monde des hommes, un monde ordinaire d'obligations et d'activités domestiques, civiques, politiques et culturelles. Ou nous pouvons nous créer un monde des Asuras ou anti-dieux, un monde de jalousie, de polarisation sexuelle excessive, d'agressivité, de concurrence sans merci, et de conflit, ouvert ou dissimulé. Ou nous pouvons nous créer un monde de fantômes affamés, c'est-à-dire un monde de désir névrotique, intensément possessif, aux relations caractérisées par une dépendance émotionnelle extrême. Ou nous pouvons nous créer un monde d'esprits tourmentés, c'est-à-dire un monde de douleur et de souffrance, de détresse physique et mentale intense. Ou nous pouvons nous créer un monde d'animaux, c'est-à-dire un monde de nourriture, de sexe et de sommeil.

Ou, tournant le dos à tout cela, nous nous dédions à notre développement en tant qu'individu. Nous pouvons nous dédier à l'idéal du bodhisattva. Nous pouvons nous dédier, directement ou indirectement, à construire la terre de bouddha.

'The Inconceivable Emancipation - Themes from the Vimilakirti Nirdesa', © Sangharakshita, 1990, traduction © Centre Bouddhiste Triratna, 2002

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  1. La magie d'un sûtra mahayana.
  2. Construire la terre de bouddha.
    1. Construire la terre de bouddha.
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  3. Être toutes les choses pour tous les hommes.
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  5. L'histoire contre le mythe dans la quête de l'homme pour un sens.
  6. La porte du dharma de la non-dualité.
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