Un système de méditation.

Les dhyanas du monde de la forme et du monde sans forme.

 < (8/10) > 

Le mot sanskrit dhyana (en pâli : jhana) dérive de la racine verbale dhyai qui veut dire « penser à », « imaginer », « contempler », « méditer sur », « appeler à l'esprit », « se remémorer ». Le terme prit plus tard une signification assez différente, et je pense que Marion Matics la touche du doigt lorsqu'il dit que le but du dhyana est « de passer par la porte de l'esprit vers des régions de l'expérience autres que celles qui sont atteintes par les facultés communes de la pensée et de la perception des sens ». C'est une bonne définition générale. Deux des significations secondaires de dhyana sont « l'insensibilité » ou « l'affaiblissement » - insensibilité concernant particulièrement les perceptions des sens, ce que le mysticisme chrétien appelle parfois la Sainte Insensibilité - et la représentation mentale des attributs personnels d'une déité, comme dans la visualisation.

Nous pouvons considérer dhyana comme comprenant deux choses : des états de conscience supernormaux ou élevés - des états de conscience au-dessus et au-delà de ceux de notre esprit ordinaire et quotidien et état d'éveil - et les diverses pratiques menant à l'expérience de ces états de conscience élevés.

Dans la tradition bouddhique il y a un grand nombre de listes qui décrivent les différents niveaux ou les différentes dimensions de la conscience élevée. Nous allons examiner ici deux listes : les « quatre dhyanas du monde de la forme » et les « quatre dhyanas sans forme ».

Les quatre dhyanas du monde de la forme.

Généralement, quatre dhyanas sont énumérés, mais il y en a parfois cinq. Ceci nous rappelle que nous ne devons pas prendre ces classifications trop littéralement. Les Quatre Dhyanas représentent des états successivement plus élevés de développement psychique et spirituel, lequel est en réalité un processus continu, se déroulant sans cesse.

Traditionnellement, il y a deux façons de décrire ces quatre dhyanas. L'une est en termes d'analyse psychologique - en essayant de comprendre quels facteurs psychologiques sont présents dans chacun de ces états de conscience élevés. L'autre façon est en termes d'images. Nous allons donc décrire ici les quatre dhyanas en termes d'analyse psychologique, puis en termes d'images.

En termes d'analyse psychologique, l'expérience du premier dhyana est caractérisée par une absence d'émotions négatives telles que le désir, la méchanceté, la paresse et la torpeur, l'agitation et l'anxiété, et le doute - en d'autres mots, les « cinq obstacles mentaux ». A moins que toutes les émotions négatives soient inhibées, supprimées ou suspendues, à moins que l'esprit soit libre non seulement des cinq obstacles mentaux mais aussi de la peur, de la colère, de la jalousie, de l'anxiété, du remords, de la culpabilité, pour un moment au moins, il n'y a pas d'entrée dans les états de conscience élevée. Il est donc très clair que si nous voulons sérieusement pratiquer la méditation, notre première tâche doit être d'apprendre à être capable d'inhiber, au moins temporairement, les manifestations grossières - au moins - de toutes ces émotions négatives.

Dhyana, dans le sens de l'expérience d'états superconscients, est une chose naturelle. Idéalement, dès que l'on s'assoit pour méditer, dès que l'on ferme ses yeux, on devrait directement se retrouver en dhyana. Ce devrait être aussi simple et naturel que cela. Si nous menions une vie véritablement humaine, alors cela se produirait. Dans notre pratique, nous devons faire des efforts, lutter et suer, non pas pour méditer, non pas pour atteindre les états de dhyana, mais pour ôter les obstacles qui nous empêchent d'atteindre ces états. Si nous pouvions simplement ôter ces obstacles, nous voguerions vers le premier dhyana.

Du côté positif, le premier dhyana est caractérisé par une concentration et une unification de toutes nos énergies psychophysiques. Nos énergies sont habituellement éparses, dispersées sur une multitude d'objets ; nos énergies fuient dans diverses directions et sont gaspillées ; nos énergies sont bloquées. Mais quand nous nous lançons dans la pratique de la méditation toutes nos énergies sont rassemblées : les énergies qui étaient bloquées sont débloquées, celles qui étaient gaspillées ne le sont plus. Nos énergies se regroupent - elles sont concentrées, elles sont unifiées, elles coulent ensemble. Ce flot d'énergies rassemblées, cette élévation de l'énergie, est caractéristique du premier dhyana (c'est en fait une caractéristique des quatre dhyanas, à des degrés croissants).

Cette concentration et cette unification des énergies de notre être total sont, dans le premier dhyana, expérimentées comme quelque chose d'intensément agréable, voire plein de félicité. Ces sensations agréables sont de deux sortes ; il y a un aspect purement mental et un aspect physique. L'aspect physique est souvent décrit comme le ravissement (en sanskrit : priti). Il se manifeste de diverses façons. Il peut par exemple se manifester par l'expérience de cheveux se dressant sur la tête. Lorsqu'elles pratiquent la méditation, certaines personnes peuvent se mettre à pleurer abondamment. Ceci aussi est une manifestation de ravissement, au niveau physique ; c'est une manifestation bonne, saine et positive, quoiqu'elle passe après quelque temps.

Le premier dhyana est aussi caractérisé par une certaine quantité d'activité mentale discursive. On peut entrer dans le premier dhyana en ayant suspendu toutes les émotions négatives, en ayant unifié ses énergies, en ayant aussi fait mentalement et physiquement l'expérience de diverses sensations agréables, mais avec des vestiges d'activité discursive mentale - au moins au sujet de la méditation elle-même -, quoique ces vestiges ne soient pas suffisants pour déranger sa concentration. Après quelque temps il peut sembler que cette activité mentale s'éloigne vers les lisières de son expérience, mais qu'elle est toujours présente.

Dans le second dhyana, l'activité mentale discursive disparaît. Elle s'éteint avec l'augmentation de la concentration. Le second dhyana est donc un état de non-pensée. Quand on parle en termes de non-pensée, les gens prennent souvent un peu peur. Ils imaginent que quand il n'y a plus de pensées on cesse presque d'exister - on entre peut-être dans une espèce de transe, voire dans une espèce de coma. Il faut insister sur le fait que dans le second dhyana il n'y a simplement aucune activité mentale discursive ; on est, en même temps, complètement réveillé, complètement conscient. En fait, au contraire, toute notre conscience, tout notre être est élevé : on est plus alerte, plus réveillé, plus conscient que normalement. Même si l'activité mentale discursive s'éteint, même si l'esprit n'est plus actif dans ce sens-là, on expérimente toujours un état clair, pur et lumineux de prise de conscience.

Dans le second dhyana, nos énergies psychiques deviennent toujours plus concentrées et unifiées, et il en résulte que les sensations agréables du premier dhyana, tant mentales que physiques, persistent toujours.

En passant du premier au second dhyana, l'activité mentale discursive est éliminée. En passant du second au troisième dhyana, ce sont les sensations physiques agréables qui disparaissent. L'esprit est plein de félicité, mais la conscience se retire de plus en plus du corps, et on ne fait plus dans son corps ou avec son corps l'expérience de ces sensations agréables, voire pleines de félicité. En fait, à ce stade, la conscience du corps peut être vraiment très périphérique. C'est comme si vous étiez conscient de votre corps comme étant très loin, tout à fait à la périphérie de votre expérience, et non en plein centre, comme c'est habituellement le cas. Dans le troisième dhyana, les autres facteurs restent comme précédemment, mais ils sont encore plus intenses.

Dans le quatrième dhyana, même l'expérience mentale de bonheur disparaît. Ce n'est pas, bien sûr, que l'on devienne mal à l'aise ou malheureux de quelque manière que ce soit, mais plutôt que l'esprit passe au-delà du plaisir et de la douleur. C'est quelque chose qu'il nous est assez difficile à comprendre ; nous ne pouvons nous empêcher de penser qu'un tel état - qui n'est ni de plaisir ni de douleur - est un état gris et neutre, plutôt moins élevé que le plaisir ou la douleur. Mais ce n'est pas ainsi. Dans le quatrième dhyana, l'esprit passe au-delà du plaisir, au-delà de la douleur, au-delà même de la félicité mentale des dhyanas précédents, et il entre dans un état d'équanimité. Pour être paradoxal, on pourrait dire que l'état d'équanimité est plus agréable même que l'état agréable lui-même (il n'est cependant pas vrai de dire qu'il est plus douloureux que l'état de douleur). Dans le quatrième dhyana, toutes nos énergies sont complètement unifiées, de telle sorte que le quatrième dhyana est un état d'harmonie et d'équilibre mentaux et spirituels parfaits.

Ces quatre dhyanas sont illustrés dans l'enseignement du Bouddha par quatre comparaisons appropriées, et très belles aussi :

« Tout comme un assistant aux bains expert, ou son apprenti, met de la poudre de savon dans un plat, y ajoute de l'eau, les mélange et dissout la poudre de telle sorte que le savon soit plein d'eau, soit saturé d'eau sans qu'il en reste en dehors, de la même manière le moine répand dans son corps, imprègne son corps, emplit son corps du plaisir et de la joie apparaissant de l'isolement, et il n'y a aucune partie de son corps qui n'est pas touchée par le plaisir et la joie apparaissant de la l'isolement...
« Tout comme un lac avec une source souterraine, où ne se jette de ruisseau ni de l'est, ni de l'ouest, ni du nord ni du sud, et sur lequel les nuages ne versent pas leur pluie, mais où seule sourd la source souterraine fraîche, se répandant, envahissant et emplissant complètement le lac de telle sorte qu'il n'y ait pas la plus petite partie du lac qui ne soit saturée d'eau fraîche, de la même manière le moine... emplit son corps du plaisir et de la joie naissant de la concentration...
« Tout comme dans un lac où poussent des lotus, certaines fleurs de lotus sont nées dans l'eau, se sont développées dans l'eau, restent sous la surface de l'eau et tirent leur nourriture des profondeurs de l'eau, et leurs racines comme leurs fleurs sont imprégnées d'eau, de la même manière le moine ... emplit son corps de plaisir sans joie. ...
« Tout comme un homme s'enroule des pieds à la tête dans une robe blanche, de telle sorte qu'il n'y ait pas la plus petite partie de son corps qui ne soit couverte par sa robe blanche, de la même manière le moine est assis, ayant couvert son corps d'un état d'équanimité et de concentration extrêmes... »

De ces quatre comparaisons, on peut voir qu'il y a une progression certaine lorsque l'on passe d'un dhyana à l'autre. Dans la première comparaison il y a l'eau et il y a la poudre de savon ; en d'autres termes il y a dualité. Mais il y a une résolution de cette dualité lorsque l'eau et la poudre sont mélangées. Dans le premier dhyana il y a une unification complète des énergies de l'esprit conscient à un niveau conscient.

La deuxième comparaison décrit l'écoulement, le passage à travers, et peut-être enfin le déversement, des énergies superconscientes en tant que source d'inspiration, une fois que les énergies ont été unifiées au niveau de l'esprit conscient.

La troisième comparaison, les lotus imprégnés d'eau, décrit les énergies de l'esprit conscient envahies et transformées par les énergies superconscientes.

La quatrième comparaison, l'homme couvert d'une robe blanche, décrit les énergies superconscientes non seulement imprégnant, mais aussi dominant, entourant et enveloppant les énergies de l'esprit conscient. Dans le second dhyana, les énergies superconscientes, sous la forme de l'eau coulant de la source souterraine, sont contenues dans l'esprit conscient unifié (le lac). Dans le quatrième dhyana, c'est l'esprit conscient qui est contenu dans les énergies superconscientes (la robe blanche). La situation a été complètement renversée.

Les quatre dhyanas sans forme.

Les quatre dhyanas sans forme consistent en l'expérience d'objets de degré toujours croissant de subtilité et de raffinement.

Le premier de ces quatre états de conscience élevée associés avec le monde sans forme est connu sous le nom de sphère de l'espace infini, ou d'expérience de l'espace infini. Ici, notre expérience n'est pourvue d'aucun objet. Souvenons-nous que lorsque l'on atteint le quatrième dhyana du monde de la forme, on laisse derrière soi la conscience corporelle. Si l'on s'abstrait des sens au travers desquels sont perçus les objets dans l'espace, on reste avec l'expérience de l'espace infini - l'espace s'étendant infiniment dans toutes les directions, dans tout l'espace, partout. Ce n'est pas qu'une sorte d'expérience visuelle, où l'on regarderait l'espace infini depuis un certain point dans l'espace ; c'est une sensation de liberté et d'expansion, une expérience de tout son être s'étendant infiniment.

Le second dhyana sans forme est connu sous le nom de sphère de la conscience infinie. On l'atteint en « réfléchissant » sur le fait que l'on a fait l'expérience de l'espace infini ; dans cette expérience il y avait une conscience de l'espace infini. Ceci veut dire qu'adjacente à l'infinité de l'espace, il y a une infinité de la conscience : le corrélatif subjectif de cet état objectif ou de cette expérience objective. En s'abstrayant ou en se soustrayant de l'expérience de l'espace, et en se concentrant sur l'expérience de la conscience, sur l'infinité de la conscience, on fait l'expérience de la conscience infinie, s'étendant une fois encore dans toutes les directions, sans partir d'un point particulier - la conscience qui partout est toute-présente.

Le troisième dhyana sans forme est encore plus raréfié - quoique toujours mondain. Cet état de superconscience est connu sous le nom de sphère de nulle chose, de sphère de non-particularité. Dans cette expérience, on ne peut pas prendre une chose en particulier et la voir distincte de toute autre chose. Avec notre conscience quotidienne ordinaire, nous pouvons prendre une fleur et la voir distincte d'un arbre, ou voir un homme distinct d'une maison, mais dans cet état il n'y a pas d'existence particulière des choses en tant que choses. On ne peut pas identifier ceci comme étant « ceci », et cela comme étant « cela ». Ce n'est pas comme si les choses étaient confuses ou mélangées, mais la possibilité d'en prendre une n'existe pas. Ce n'est pas un état de « rien », mais un état de « nulle chose ».

Le quatrième dhyana sans forme est la sphère de ni perception ni non-perception. On est passé de l'objet infini au sujet infini, et maintenant on va au-delà des deux. On atteint un état dans lequel on ne peut pas dire - car en un sens il n'y a personne pour le dire - si on perçoit quelque chose ou si l'on ne perçoit rien. On n'est pas complètement au-delà du sujet et de l'objet, mais on ne peut plus penser ou expérimenter en termes de sujet et d'objet.

'A Guide to the Buddhist path' © Sangharakshita, Windhorse Publications 1990, traduction © Christian Richard 2004.

 < (8/10) > 
  1. Un système de méditation.
  2. La pratique de la méditation des six éléments.
  3. Les quatre étapes du système de méditation.
  4. Les cinq méthodes fondamentales de méditation.
  5. Prise de conscience aliénée et prise de conscience intégrée.
  6. Les niveaux d'expérience et de non-expérience de soi.
  7. Les quatre brahma viharas.
  8. Les dhyanas du monde de la forme et du monde sans forme.
  9. Le symbolisme des cinq éléments dans le stûpa.
  10. L'énergie des cinq éléments.