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Lorsqu'un bouddhiste pense au bouddhisme - à ce que les bouddhistes appellent le Dharma - habituellement, la première chose qui lui vient à l'esprit c'est le Bouddha, « l'Éveillé ». Il est intéressant de remarquer que la première chose à laquelle un non bouddhiste pense généralement c'est aussi au Bouddha.
Nous ne savons peut-être rien du tout des enseignements du bouddhisme mais nous aurons au moins vu une image ou une illustration du Bouddha. Elle peut même nous être déjà très familière, et nous pouvons même avoir envers elle un sentiment particulier. Que montre donc cette image ou cette illustration ? Elle montre un homme dans la force de l'âge, bien bâti et beau. Il est assis en tailleur sous un arbre. Ses yeux sont à demi fermés et il y a un sourire sur ses lèvres. En regardant son image il nous semble que, dans son ensemble, il transmet une impression de solidité et de stabilité, ainsi que de force. Il transmet une impression de calme absolu, de repos absolu. Mais ce qui nous attire le plus, plus encore que la forme générale, c'est le visage, parce qu'il transmet quelque chose qui est extrêmement difficile à exprimer en paroles. Lorsque nous le regardons, lorsque peut-être nous nous concentrons sur lui, nous voyons que le visage est vivant, qu'il est illuminé, et dans cette lumière nous voyons le reflet d'une connaissance insondable, d'une compassion infinie et d'une joie ineffable. Ceci donc est la représentation, l'image ou l'illustration du Bouddha, de l'Éveillé. Elle représente en général Gautama, le Bouddha historique, le « fondateur » du bouddhisme, c'est-à-dire le grand maître indien qui vécut approximativement cinq cents ans avant le Christ. Mais le Bouddha possède aussi une signification plus grande. Il représente le sujet de cette conférence. En d'autres termes, il représente l'idéal de l'éveil humain.
L'éveil humain est le thème central, la préoccupation centrale du bouddhisme. C'est cela qui concerne principalement le bouddhisme, tant en théorie qu'en pratique. En fait c'est même la préoccupation principale d'un bouddhiste. Nous allons donc, durant cette conférence, essayer de comprendre ce que l'éveil signifie en général et, en particulier, ce que veut dire « l'éveil humain ».
Mais avant d'entrer dans ce sujet je veux dire quelques mots sur le troisième terme de notre titre. Je veux examiner le mot « idéal ». Nous parlons de « l'idéal de l'éveil humain », mais que veut dire ce mot ? Je ne veux pas simplement entrer dans les définitions du dictionnaire, et encore moins dans ce qui serait réellement des questions philosophiques. Dans le cadre de cette conférence nous nous limiterons à l'usage ordinaire et répandu de ce mot.
Le terme signifie tout d'abord « ce que l'on peut imaginer de mieux dans son genre ». Par exemple, il y a à Londres chaque été, une exposition bien connue qui s'appelle La Maison Idéale.
Chaque année des milliers, et même des centaines de milliers de gens s'y rendent et visitent les différents stands. Ils y voient des cuisines idéales, des salles de bains idéales, des garages idéaux, des miroirs à barbe idéaux, des couteaux à pain idéaux, des réfrigérateurs idéaux, des tondeuses à gazon idéales, des fauteuils idéaux et même des batteurs à œufs idéaux ! Ils y voient des centaines d'objets différents, et chacun prétend être « idéal », être le mieux que l'on puisse imaginer dans le genre (quoique bien entendu, chaque fabricant puisse avoir des idées différentes sur ce qui est vraiment « le meilleur »). Chacun de ces objets, nous assure-t-on remplit sa fonction de la meilleure manière possible, et tous ensemble ils constituent la « maison idéale » ; ou, en d'autres termes la meilleure maison que l'on puisse imaginer, la maison qui remplit parfaitement sa fonction de maison, la maison dans laquelle tout le monde aimerait vivre si seulement il en avait les moyens.
De la même façon, nous parlons de diverses autres choses. Nous parlons de l'épouse idéale, c'est-à-dire de celle qui est une bonne cuisinière et une bonne organisatrice, qui maintient la maison idéale en parfait état, qui conduit son mari au bureau tous les matins, qui ne lui demande jamais d'argent supplémentaire pour les dépenses ménagères et qui rit à toutes ses plaisanteries. Nous parlons même du mari idéal quoiqu'il soit bien entendu beaucoup plus rare. De même, nous parlons de la même manière du couple idéal, des vacances idéales, du temps idéal, des arrangements idéaux, de l'emploi idéal, de l'employeur idéal, de l'employé idéal, etc... En d'autres termes, nous parlons de quelque chose qui est, dans son genre, le mieux que l'on puisse imaginer, qui remplit le mieux sa fonction naturelle ou ce que l'on croit être sa fonction naturelle. C'est le premier usage du terme.
En second lieu, le mot « idéal » veut dire un modèle, ou un schéma : quelque chose qui peut être pris en modèle, en exemple dans son genre, et imité ou copié. De nos jours cet usage est moins fréquent que le précédent, bien que les deux coïncident en partie. Selon cet usage nous voyons que la maison idéale n'est pas simplement ce que l'on peut imaginer de mieux mais aussi le modèle, l'exemple à suivre pour toutes les maisons. C'est ce à quoi vous devriez essayer de faire ressembler votre maison, dans une certaine mesure tout du moins. Cet usage suggère donc que l'idéal est un modèle. Il indique une sorte de comparaison entre l'idéal d'un côté, et le réel de l'autre, dans ce cas, entre la maison réelle que nous avons vraiment et la maison idéale que nous aimerions avoir si nous en avions les moyens.
Mais le terme a encore un troisième usage. Par exemple, supposez que vous demandiez à un ami ce qu'il aimerait faire lorsqu'il sera à la retraite. Il pourrait vous répondre que ce qu'il aimerait vraiment, c'est s'en aller sur une belle île tropicale qui aurait un climat merveilleux, un soleil splendide, des plages splendides, une mer splendide, des vagues splendides, et y vivre pour le restant de ses jours, simplement pour tout laisser derrière lui. Mais il se peut alors qu'il ajoute : « Ah, je présume que je ne le ferai jamais. C'est juste un idéal » Dans ce cas-là, le mot « idéal » représente un état de choses que l'on considère très désirable, que l'on peut certainement imaginer - que vous pouvez même certainement concevoir très clairement - mais que, pour une raison ou une autre, l'on considère impossible à réaliser. Ce sont donc les trois sens que l'on donne au mot « idéal ».
Maintenant que nous avons à peu près compris l'usage que nous faisons du mot « idéal », abordons une question très importante, et avec cette question commençons à nous approcher du cœur de notre sujet. Nous avons parlé de la maison idéale, et nous comprenons tous à quoi cela fait allusion. Nous avons mentionné l'épouse idéale, le mari idéal, l'emploi idéal - même le batteur à œufs idéal. Mais nous avons peut-être oublié une chose. Qu'en est-il de la personne qui utilise tous ces articles, qui a toutes ces relations ? Qu'en est-il de l'être humain en tant qu'individu ? Il semble que nous l'ayons perdu de vue - comme cela se produit si facilement au sein des complexités de la vie moderne. La question que nous posons en réalité est : « Qu'est ce que l'être humain idéal » ? Nous pensons tous savoir ce que l'on entend par la maison idéale, la femme idéale ou l'époux idéal, mais nous sommes-nous jamais posé la question : « Quel est le meilleur genre possible d'être humain que nous puissions imaginer ? Non seulement la meilleure sorte d'employé, ou la meilleure sorte de citoyen, ou la meilleure sorte de membre d'un groupe social particulier, ou d'un groupe d'âge particulier, mais la meilleure sorte d'être humain en tant que tel, la meilleure sorte d'être humain en tant qu'être humain. Parce que nous sommes des êtres humains et que cette question nous concerne très sérieusement. Quel est l'idéal pour notre vie ? La réponse bouddhiste à cette question se présente très clairement, très catégoriquement et certainement sans aucune ambiguïté. L'être humain idéal est l'être humain éveillé. L'être humain idéal est le Bouddha. Cela veut dire que l'idéal pour l'humanité - l'idéal pour les êtres humains individuellement - est l'éveil. L'idéal est la bouddhéité.
Cela soulève trois questions que nous devons aborder séparément. Ces trois questions sont : premièrement « Qu'est-ce que l'éveil ou la bouddhéité ? ». Deuxièmement, « Comment savons-nous que l'état que nous appelons « Éveil » est l'idéal pour l'homme ? ». Et troisièmement, « D'où vient cet idéal de l'éveil ? D'où provient-il ? Où a-t-il son origine ? ». Quand nous aurons répondu à ces trois questions nous aurons peut-être une assez bonne idée - ou tout au moins une idée générale - de ce que veut dire « l'idéal de l'éveil humain ».
'Human Enlightenment' © Sangharakshita, Windhorse Publications 1980, traduction © Christian Richard 2003.