« J'ai vraiment du mal à croire que c'est vrai. C'est vraiment avec une immense joie - et je suis très émue en fait de voir Bhante Sangharakshita ici parmi nous au Centre Bouddhiste de Paris. Je ne vais pas parler longtemps parce que vous êtes là pour l'entendre lui et pas moi. Vous pouvez m'entendre tous les jours de la semaine. Mais je voulais quand même évoquer un petit peu pourquoi c'est si important pour moi. D'abord, personnellement, le Dharma a complètement changé ma vie. J'ai un sens dans ma vie, j'ai une direction dans ma vie et j'ai vécu énormément de choses que je n'aurais pas vécues si je n'avais pas reçu le Dharma. Donc j'ai déjà une immense gratitude envers Bhante parce que c'est à travers lui que j'ai découvert le Dharma. Et ce que je voulais dire surtout en fait, c'est que depuis que j'ai commencé à enseigner le Dharma moi-même je réalise beaucoup mieux quel don tu nous as donné. Et c'est surtout quand je vois les gens qui viennent au centre bouddhiste, les questions qu'ils me posent, particulièrement après avoir découvert un peu de bouddhisme tibétain, de Zen, d'une école ou d'une autre. Et c'est là que je vois la grandeur de la vision que tu nous apportes, et qui me permet de rencontrer chacune de ces personnes à travers le Dharma, et aussi de les aider parfois à voir, un peu plus clairement, une plus grande vision du bouddhisme. Donc je suis vraiment reconnaissante que Bhante ait fait ce trajet pour nous voir, et qu'il soit prêt à répondre à nos questions. Je vais donc m'asseoir maintenant. Juste pour expliquer, je vais lire les questions en anglais d'abord, pour donner à Bhante un petit moment de réflexion, je les lirai ensuite en français et puis je lui laisserai la parole. »
« J'ai quitté l'Angleterre en 1944 et je suis revenu en 1964, donc une absence de 20 ans. La plupart du temps, j'étais en Inde, un peu au Sri Lanka, et aussi à Singapour. Quand je suis revenu, 20 ans plus tard, d'une certaine façon cela a été un peu un choc. La première chose que j'ai remarquée, spécialement quand j'ai commencé à rencontrer des gens, et particulièrement des membres de ma famille, j'ai remarqué que tout le monde semblait plus prospère, aisé, on pourrait même dire plus riche. En Inde, il y avait, et il y a encore, vous le savez, tant de pauvreté. Et j'ai aussi remarqué d'autres choses. J'ai remarqué que souvent les gens n'avaient pas l'air très heureux. Parfois je prenais le métro à Londres, et je regardais tout simplement les gens dans le wagon, et souvent ils avaient l'air très fatigué et pas très heureux. Après avoir démarré l'AOBO (ancien nom de la Communauté Triratna), et commencé à connaître les gens un peu mieux, je me suis aussi rendu compte que pas mal de gens avaient des problèmes psychologiques. Alors qu'en Inde, je ne pense pas avoir rencontré de personnes avec des problèmes psychologiques, mis à part un ou deux Occidentaux venus me rendre visite. Quelque chose d'autre en particulier que j'ai remarqué lorsque j'ai commencé à mieux connaître les gens, c'est que fréquemment les jeunes qui venaient vers l'AOBO n'étaient pas en très bons termes, en très bonnes relations avec leurs parents. Cela me paraissait assez étrange parce qu'en Inde les liens familiaux sont habituellement très forts. Voilà donc quelques-unes de mes impressions. »
J'aurais pensé que la souffrance aurait été un moteur pour que les gens changent, mais il me semble qu'il n'y ait pas autant de personnes que ça qui se soit engagées sur le chemin de la sagesse, de la connaissance de soi, qui essayent de voir les choses telles qu'elles sont, et aussi qui se détachent de leurs liens.
Pourquoi est-ce ainsi ? Pourquoi est-ce que parmi toutes les personnes qui souffrent, seules quelques-unes voient leurs attachements et les schémas qu'ils suivent en pilote automatique ? »
« La souffrance en elle-même n'enseigne rien à personne, il faut aussi un développement de vision pénétrante. Une chose dont je me suis rendu compte quand je suis revenu en Angleterre, c'est qu'il y avait des méprises vis-à-vis de l'enseignement de la méditation.
Vous avez tous entendu parler de l'enseignement du Bouddha des Quatre nobles vérités, la vérité de la souffrance, etc ? Des gens enseignaient que si, dans une longue méditation, vous faisiez l'expérience de toutes sortes de souffrance physique dans vos articulations, et aussi de souffrance mentale, eh bien c'était l'expérience de la vérité de la souffrance. Mais ce n'est pas le cas. La souffrance est une chose, faire l'expérience de la vérité de la souffrance est toute autre. Si vous pratiquez sérieusement, vous pouvez faire l'expérience de la vérité de la souffrance même en étant heureux, parce que même le bonheur est souffrance, parce que le bonheur ne dure pas, et s'il ne dure pas, nous souffrons. Donc de cette façon il y a une très grande différence entre juste souffrir et comprendre pourquoi l'on souffre.
Il y a un vers d'un poète anglais, Matthew Arnold, qui dit :
« Nous voulons tout le plaisir, mais nous n'utiliserons aucun moyen difficile ».J'aime ces citations de poésie anglaise. Oui, donc, nous aimons les solutions de facilité. Pour revenir à cette question de la souffrance, tout le monde souffre, mais en général on continue à souffrir parce qu'on ne développe pas de vision pénétrante sur le pourquoi de la souffrance. La principale raison pour laquelle les gens souffrent est leur attachement. Si nous voulons nous débarrasser de notre attachement, nous devons développer la vision pénétrante, nous devons développer la sagesse, et ce n'est pas facile. Nous devons entrer en contact avec l'enseignement du Bouddha et le pratiquer.
En Orient on rencontre beaucoup de gens qui se considèrent bouddhistes, mais eux aussi souffrent, parce que leur bouddhisme est souvent juste une étiquette, ils ne pratiquent pas vraiment, ils n'essaient pas de se débarrasser de leur attachement, de développer une vision pénétrante.
Pour en revenir à ce que je disais tout au début, la souffrance en elle-même ne nous enseigne rien. Parfois cela rend les gens simplement misérables et égoïstes. Si nous voulons vraiment transcender la souffrance, nous devons pratiquer le Dharma. Même quand nous pratiquons le Dharma, il se peut que nous ne soyons pas libérés de souffrances physiques, parce que nous avons un corps physique, qui parfois a des problèmes, et qui vieillit.
Même le Bouddha, après son éveil, a fait l'expérience de souffrance physique. Il y a un passage dans le canon en pâli où le Bouddha dit :
« Shariputra, j'ai mal au dos, je vais aller m'allonger. Peux-tu enseigner aux bhikkhus s'il te plaît ? »•Par ceci on peut comprendre que le Bouddha était un être humain, mais il était un être humain éveillé : il n'y avait pas de souffrance mentale. Son état d'esprit était complètement libre de souffrance, complètement heureux, et bien sûr empli de sagesse et de compassion. Le Dharma est le seul chemin, le seul vrai chemin pour transcender la souffrance. »
• 1.5, Sangiti Sutta 33, Digha Nikaya III.
« Ce monde est une illusion auquel je prête forme, et qui me prête forme.
Et en même temps je sens un lien qui unit toutes les formes du monde à la vie. Et je sens que toute forme, à un moment donné, est importante pour sentir ce lien, pour le vivre.
Est-ce que la note de musique existe ? Peut-être pas - mais elle me pénètre. Est-ce que j'existe ? Peut-être pas, mais l'amour qui me remplit existe.
A cinquante ans je peux me retourner sur le chemin que j'ai parcouru. J'ai vu des représentations tomber, des illusions se dissoudre, et je sais qu'il y en aura d'autres… Mais je vois aussi qu'il en reste quelque chose de profond, de constructif, de constructeur… Alors qu'est-ce qui se construit ? Lorsque la représentation tombe, c'est comme si elle n'avait été là que pour prêter forme, et pour me conduire à quelque chose d'essentiel qui ne tombe pas, mais qui se renforce jour après jour.
Pour moi, refuser toute forme et toute représentation serait aussi illusoire que de s'y accrocher.
La vacuité n'est pas vide. Elle est pleine d'amour et de sens. Toute forme en est le reflet.
La première question est : suis-je sur le chemin de la pensée bouddhique ou qu'est-ce qui m'en éloigne ?
Et ensuite : si "je" n'existe pas, qu'est-ce qui se construit en moi ? Qu'est-ce qui peut échapper aux rondes des renaissances et qu'est-ce qui atteint l'éveil (ou qui ne l'atteint pas) ? Et que veut dire le mot "être" quand on parle des bodhisattvas qui refusent l'éveil tant que tous les "êtres" ne l'ont pas atteint. »
« En écoutant la question, je n'ai pas pu m'empêcher de penser à une écriture bouddhique qui s'appelle le Soûtra du Diamant. Il y a un passage qui donne un peu le ton du soûtra, son essence. Et dans ce soûtra, le bodhisattva réfléchit ainsi :
« donc je vais mener tous les êtres au Nirvana ».Et en même temps il n'y a pas d'êtres qui sont menés au Nirvana. Et c'est pour cela que le bodhisattva peut mener tous les êtres au Nirvana. C'est donc un paradoxe, et je pense que la question, qui est une question très importante, ne peut être répondue qu'à l'aide de tels paradoxes. Les paradoxes sont des choses sur lesquelles il nous faut méditer. Quand je dis méditer, je ne veux pas dire y réfléchir mentalement, essayer de les résoudre mentalement. Il nous faut juste garder le paradoxe à l'esprit, et si l'on peut dire, juste le regarder. En d'autres termes, le traiter comme l'on traite un koan dans le Zen. En procédant ainsi, graduellement, un petit peu de signification apparaîtra. Voici donc ma courte réponse. »
« On peut donner de très nombreux exemples, parce que la vie elle-même est pratitya-samutpada, on ne peut pas y échapper. Mais je vais donner un exemple de ma propre vie. Vous le savez tous, je l'ai mentionné tout à l'heure, je suis allé en Inde en 1944. Comment se fait-il que je sois allé en Inde ? Eh bien j'y suis allé parce qu'à l'époque j'étais dans l'armée. Et dans quelle unité étais-je ? J'étais dans le corps des transmissions, c'est pour cela qu'on m'a envoyé en Inde. Comment se fait-il que j'aie été dans le corps des transmissions ? Eh bien j'y étais parce que je connaissais l'alphabet Morse. Comment se fait-il que j'aie connu le Morse ? Parce que quand j'étais petit, j'appartenais à un groupe pour les enfants qui s'appelait la Brigade des Garçons, et là j'ai appris l'alphabet Morse. Comment ai-je fait partie de la Brigade des Garçons ? Ma mère avait une amie et cette amie avait un garçon qui était dans la Brigade des Garçons. Donc l'amie de ma mère, un jour, dit à ma mère : "Peut-être votre fils voudrait-il aussi être dans la Brigade des Garçons ?"
Vous voyez donc le lien : une chose mène à l'autre. Notre vie est faite d'une telle suite de pratitya-samutpada. Oui, c'est mon exemple. »
« Oui, cela est lié d'une certaine façon à l'Abhidharma, qui est un système très compliqué. Dans la pratitya-samutpada, le premier maillon est l'avidiya (l'ignorance), puis viennent les samskaras (les activités formatrices) et ensuite la vijñana (la conscience).
Cette conscience, qui est le troisième maillon, n'est pas la conscience en général. Elle a un nom bien particulier ; en pâli, dans l'Abhidharma c'est la patisambhi-vijñana, qui veut dire « conscience re-liante ». Et selon l'Abhidharma, c'est cette conscience qui fait le lien entre le dernier moment de la vie précédente, et le premier moment de la nouvelle vie dans le ventre de la mère. Voilà donc la conscience re-liante, et quand la vijñana apparaît plus loin dans la chaîne de la pratitya-samutpada, c'est la conscience en terme général. Donc bien que les maillons soient énumérés l'un après l'autre, ils ne sont pas mutuellement exclusifs.
Comme je l'ai dit, l'Abhidharma est quelque chose d'assez compliqué, d'une certaine manière, c'est un sujet d'étude en soi. Je l'ai étudié avec mon maître Jagdish Kashyap qui lui-même a écrit un traité sur l'Abhidharma.
Je vais vous donner un exemple. Chaque nidana successif est conditionné par celui qui le précède. Mais que voulons-nous dire par « conditionné » ? Selon l'Abhidharma, il y a 24 sortes de conditions, et le genre de condition qui conditionne chaque nidana successif n'est pas toujours le même. Donc l'une des choses dont traite l'Abhidharma, est d'établir quelles sont les conditions particulières entre tel ou tel nidana. »
« Bien, je vais commencer par donner une note personnelle. Les gens ont des objectifs différents dans la vie, et un grand nombre d'entre eux ont pour objectif d'être heureux. Mais personnellement, je n'ai jamais été à la recherche du bonheur. Pour moi, le bonheur est un produit dérivé. Quand vous êtes engagés dans quelque chose en quoi vous croyez profondément, et auquel vous êtes complètement dédié, alors le bonheur apparaît. Même s'il y a des difficultés, vous êtes quand même heureux. Mais si vous cherchez seulement à être heureux, vous allez être déçu. Il y a des millions, des milliards même de gens dans ce monde, j'en connais très peu donc je trouve un peu difficile de généraliser à propos du bonheur ou du malheur. Mais une chose dont je suis certain, c'est que s'ils recherchent quelque chose en quoi ils croient vraiment, et à quoi ils dévouent leur vie, que ce soit la religion, l'art ou une autre quête similaire, alors ils seront heureux. Mais si leur effort conscient est seulement pour être heureux, pour obtenir le bonheur, au bout du compte ils échoueront probablement. »
« Quand j'ai commencé, ou avant de commencer l'AOBO (ancien nom de la Communauté bouddhiste Triratna), je me suis posé une question. Je me suis demandé : "Qu'est-ce que tous les bouddhistes ont en commun ? Qu'ils soient de la tradition théravada, ou zen, ou tibétaine ou quoi que ce soit d'autre."
La réponse à laquelle je suis parvenu était que ce qu'ils avaient tous en commun est que tous vont en refuge dans le Bouddha, dans le Dharma et dans la Sangha. J'ai donc décidé de commencer un mouvement qui mettrait l'accent sur la centralité et l'importance de l'aller en refuge. L'aller en refuge vient en premier, et tout le reste vient en second ou après. Ce qui était important, ce n'était pas d'être un laïc ou un moine ; ce qui était important, c'était d'aller en refuge dans le Bouddha, dans le Dharma et dans la Sangha. Donc c'est ainsi que l'AOBO a commencé, et ensuite l'OBO, l'Ordre Bouddhiste Occidental.
Je fais la distinction entre différents niveaux d'aller en refuge. Au premier niveau, il y a l'aller en refuge des gens qui sont nés dans des pays bouddhistes et qui se considèrent bouddhistes, ils récitent peut-être les refuges et préceptes mais ne pratiquent pas sérieusement. J'appelle parfois cela un “aller en refuge culturel” ou un “aller en refuge ethnique”. Ensuite il y a ce que j'appelle “l'aller en refuge provisionnel”. C'est quand vous essayez l'allez en refuge ; si l'on peut dire, parfois vous allez en refuge, et parfois vous laissez tomber. Puis il y a ce que j'appelle “l'aller en refuge effectif”. L'aller en refuge effectif est quand vous allez en refuge dans le Bouddha, dans le Dharma et dans la Sangha de tout votre cœur, et que vous essayez de mettre en harmonie toutes les activités de votre vie avec cela. Et parfois vous allez de l'avant, parfois vous chutez un peu, mais en général vous faites l'effort. Quatrièmement, et dernièrement, il y a ce que j'appelle “l'aller en refuge réel”. Et cela, cela se passe quand on entre dans le courant, comme on dit dans le bouddhisme. Cela signifie que votre aller en refuge est tellement fort, tellement certain, que vous ne pouvez plus retourner en arrière. Donc c'est ainsi qu'on explique l'aller en refuge dans les Amis de l'Ordre Bouddhiste Occidental, et dans l'Ordre Bouddhiste Occidental. Et c'est le critère par lequel nous évaluons tout. »
« Il vous suffit de faire du mieux que vous pouvez. Cependant vous avez un très grand avantage : vous avez ce Centre, au cœur de Paris. Vous avez un lieu où vous pouvez venir, où vous pouvez pratiquer le Dharma, où vous pouvez méditer, où vous pouvez discuter le Dharma avec d'autres, et où vous pouvez vous faire des amis spirituels. Donc ne vous inquiétez pas trop si vous n'avez pas de communauté ou de moyen d'existence juste basé sur le travail en équipe. Si, individuellement et collectivement, vous continuez a pratiquer le Dharma, sincèrement, de tout votre cœur, alors tôt ou tard ces autres possibilités apparaîtront. Peut-être la prochaine fois que je viendrai vous rendre visite, si je reviens, dans quelques années, peut-être verrai-je des communautés et des moyens d'existence justes basés sur le travail en équipe. Ce qui a vraiment de la valeur prend généralement du temps à développer. Vous avez très bien démarré, donc si vous continuez de la même façon, de nombreux développements se produiront certainement. »
« D'une certaine façon, vous avez déjà les prémisses d'une nouvelle société : parce que vous vous rencontrez tous ici, vous vous rencontrez sur la base de certains idéaux, et vos relations les uns avec les autres sont sur la base de ces idéaux. Donc une fois encore, c'est une question de développement, je ne peux pas vraiment dire plus que cela. Si l'on continue de la façon dont on a commencé, des développements apparaîtront.
En Angleterre, où l'AOBO a démarré, cela a pris quelques années avant qu'il y ait des moyens d'existence justes basés sur le travail en équipe. Habituellement on se rend compte d'une série d'étapes partout ou l'AOBO se développe. D'abord il y a la création d'un centre, ensuite il y a des communautés, quand des personnes qui se sont rencontrées au centre réalisent qu'elles voudraient vivre et pratiquer ensemble. Et ensuite, la troisième phase de développement arrive quand certaines personnes se rendent compte qu'elles ne veulent pas seulement se rencontrer au centre, qu'elles ne veulent pas seulement vivre ensemble, mais qu'elles veulent aussi travailler avec d'autres bouddhistes. Commencer un centre est relativement facile, je dis relativement. Commencer une communauté pour vivre ensemble est un peu plus difficile, c'est un peu plus radical. Mais le plus difficile entre tous est le moyen d'existence juste basé sur le travail en équipe, parce que dans ce cas, vous devez vraiment vous engager avec le monde, prendre part à l'activité économique de la société. Vous êtes donc sujets à toutes sortes d'influences extérieures. Vous avez un centre, l'étape suivante sera la communauté, et après cela, peut-être oui, les moyens d'existence justes.
Ou peut-être penserez-vous à une autre forme de pratique, à un développement radicalement différent ? N'oubliez pas que vous avez fait la révolution il y a deux cents ans. Peut-être de nouvelles révolutions sont-elles à venir ? »
« Évidemment j'aimerais voir le Dharma, l'AOBO, se développer dans tous les pays du monde. Je ne peux pas dire que j'aie un pays bien particulier en tête que j'imagine particulièrement mûr pour le Dharma. Tous les pays sont mûrs, et aucun ne l'est. En fait, nous faisons référence à des individus, pas à des sociétés. Après tout c'est tout d'abord à l'individu de pratiquer le Dharma. Cependant je suis plein d'espoir, et j'encourage les membres de l'Ordre, et les autres, à commencer des activités de l'AOBO partout où il y a une occasion.
Parfois je suis étonné de voir la façon dont notre mouvement s'est étendu. En ce moment, l'un de mes livres est traduit en tibétain. Qui aurait pu imaginer ça, il y a quelques années ? Donc oui, j'encourage le développement d'activités du Dharma, ou de l'AOBO, dans chacun des quelque cent quatre-vingt dix pays du monde. Il est très difficile de dire où sont les gens qui ont le plus besoin du Dharma parce qu'il y a de la souffrance partout, il y a des conflits partout, même si ce ne sont pas forcément des guerres ouvertes. Il est difficile de dire si l'Occident riche est un lieu plus propice pour le Dharma que l'Orient appauvri.
Au cours des cent dernières années, on peut dire que le bouddhisme a subi pas mal de sévices. En Chine il y a eu la Révolution Culturelle pendant laquelle des milliers de temples bouddhistes ont été détruits, et pareillement au Tibet. L'armée rouge chinoise a envahi le Tibet et a tant détruit du bouddhisme. Et il y a eu la guerre et la destruction de temples aussi au Cambodge et au Laos. Dans d'autres pays d'Orient, le capitalisme et l'industrialisation de l'Ouest ont provoqué une occidentalisation et une sécularisation de la société. C'est vrai au Japon, et en Corée du Sud. Si l'on regarde les pays orientaux où le bouddhisme avait fleuri à l'origine, l'image aujourd'hui est plutôt triste. Au cours des cent dernières années, le bouddhisme a perdu une grande influence.
Mais il y a au moins deux raisons de se réjouir. L'une, c'est qu'au cours des cent dernières années, le bouddhisme s'est développé d'une manière très significative en Occident. Il a atteint l'Europe, et l'Amérique du Nord et du Sud. Dans la plupart des pays occidentaux, vous trouverez différents groupes bouddhistes. Et il y a cent ans, il n'y avait pratiquement rien du bouddhisme en Occident. Donc il y a eu ce grand, grand changement.
Et l'autre point de réjouissance est l'Inde. Le bouddhisme s'était éteint en Inde il y a environ sept cents ans, et pendant des centaines d'années, il n'est resté quasiment rien du bouddhisme en Inde, bien que le bouddhisme ait commencé en Inde. Mais au cours des cinquante dernières années, il y a eu une grande renaissance du bouddhisme en Inde. Certains d'entre vous savent probablement que cette renaissance du bouddhisme est associée au Docteur Ambedkar. En Inde maintenant, il y a plusieurs millions de personnes qui se considèrent bouddhistes. L'AOBO, ou le TBMSG (son nom indien) est présent et actif en Inde, donc tout n'est pas perdu.
Le bouddhisme a souffert beaucoup au cours de ces cent dernières années, mais il y a quand même ces deux grands lieux de réjouissance. On peut probablement dire que dans la plupart des pays maintenant, il y a des traces du bouddhisme, même si ce sont des petites traces. Même en Chine, il semble que le gouvernement devienne un peu plus tolérant vis-à-vis du bouddhisme. Donc, j'aimerais vraiment que l'AOBO soit représenté partout dans le monde. »
« Tout ce que je peux dire, c'est qu'il y a de nombreuses années, j'ai lu certains textes bouddhiques et j'ai réalisé que j'étais un bouddhiste. Et je suis allé en refuge dans le Bouddha, dans le Dharma et dans la Sangha. Aujourd'hui, après, oh, plus de 60 ans de cela, je vais toujours en refuge dans le Bouddha, dans le Dharma et dans la Sangha. Donc d'une certaine façon, il n'y a pas de différence dans ma pratique, j'essaie juste d'aller en refuge de plus en plus profondément qu'auparavant. Et c'est ce que font tous les bouddhistes, ou ce qu'ils devraient faire. »
« La langue parlée par le Bouddha a été le sujet de très nombreuses discussions entre savants. On dit en général qu'il parlait le magadhi. Le magadhi était le langage du Magadha, qui correspond grosso modo à l'Etat moderne du Bihar et une partie de l'Etat du Uttar Pradesh. Il voyageait aussi parfois dans ce qu'on appelait à l'époque le royaume de Kosala, et on pense qu'il y parlait le kosali. Ces deux langues n'étaient pas si différentes l'une de l'autre, elles étaient plutôt deux dialectes différents de la même langue, et d'une parenté très lointaine avec le sanscrit. Le pâli des écritures bouddhistes théravada dérive d'un de ces dialectes. Le point important à noter ici est que le Bouddha parlait la langue du peuple. Il ne parlait pas le sanscrit, même s'il le comprenait probablement. Et non seulement il parlait le langage du peuple, mais il a dit aussi en une occasion que tout le monde devrait étudier le Dharma dans sa propre langue. Ceci est un principe très important. Pour les gens qui parlent d'autres langues, et qui peuvent comprendre les enseignements du Bouddha dans une langue qui n'est pas la leur, lorsqu'ils entendent le Dharma dans leur propre langue, il obtiennent quelque chose de différent, quelque chose de plus. Partout où les écritures bouddhiques sont allées, partout où le bouddhisme est allé, les écritures ont été traduites dans la langue locale. C'est grâce à cela qu'on a des traductions des écritures bouddhiques en chinois, en mongolien, en tibétain et plein d'autres langues.
Et maintenant que le bouddhisme arrive en Occident, il est tout à fait naturel que les écritures bouddhiques soient traduites dans les langues européennes. C'est pour cela que dans l'AOBO, même si partout nous récitons les Refuges et les Préceptes en pâli, quand il s'agit d'étudier le Dharma, nous le faisons naturellement dans notre propre langue, ou bien nous avons la Puja dans notre propre langue. Nous avons les Refuges et Préceptes en pâli car c'est un facteur d'unification. Que nous soyons en Angleterre, en France, en Inde ou en Amérique, nous avons les Refuges et Préceptes en pâli et tout le reste dans la langue locale. Le pâli nous donne aussi un lien avec l'Inde et avec le Bouddha historique, ainsi qu'une source d'unité dans l'AOBO. Je suis donc très heureux de savoir qu'il y a quelques nouvelles traductions de mes écrits en français, et j'espère que ce processus va durer. Si nous entendons le Dharma dans notre propre langue, cela a beaucoup plus de chance de nous toucher le cœur. »
« Je ne pense pas connaître suffisamment la situation ici pour pouvoir donner beaucoup de conseils. Si je dois donner un conseil, je dirai simplement "continuez votre pratique du Dharma", et tout partira de là. Vous-mêmes verrez, si vous en discutez entre vous, vous verrez quelles sont les priorités. Je ne pense pas que je puisse dire plus que cela. Je dis parfois aux gens en Angleterre "il faut toujours de plus en plus de tout." Oui, plus de méditation, plus d'étude du Dharma, plus d'amitié spirituelle. Et si vous pratiquez ainsi, tout ira bien. »