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La puja en sept parties est la pratique de dévotion la plus importante dans la Communauté bouddhiste Triratna, et son contexte du Mahayana exige un peu plus d'explications que les autres pratiques. Le contexte de la puja en sept parties est l'idéal du bodhisattva, l'idéal de la réalisation de l'Éveil suprême pour le bien de tous les êtres sensibles. L'objectif le plus important de toute personne aspirant à cet idéal est d'engendrer le bodhicitta, la « volonté d'Éveil », la graine de la vue pénétrante et de la compassion qui, ultimement, se développera pour devenir le fruit de l'Éveil suprême. Avant l'apparition du bodhicitta, on n'est pas un bodhisattva, un être déterminé à atteindre l'Éveil, mais on peut néanmoins aspirer à l'idéal du bodhisattva, et travailler à l'atteindre.
L'anuttara-puja a donc été développée, dans le Mahayana, comme principale méthode de préparation et de pratique pour engendrer le bodhicitta. Dans sa forme, en tant que puja en sept parties, elle consiste en l'évocation d'une succession, ou en fait d'une progression, d'émotions spirituelles, chacune d'entre elles menant naturellement à la suivante, en une séquence cumulative qui crée un fort élan spirituel, lequel, après une pratique prolongée et intense, donnera naissance aux conditions conduisant à l'apparition du bodhicitta. Ceci ne veut cependant pas dire que la pratique de l'anuttara-puja ne prenne place que durant la récitation de la puja en sept parties dans la salle de méditation. Si l'on aspire sérieusement à l'idéal du bodhisattva, on essaiera de travailler à cultiver à tout moment les attitudes et sentiments exprimés sous une forme concentrée et poétique dans la puja : la puja est une recette pour l'action.
Que sont donc les actions impliquées dans la puja en sept parties, les émotions spirituelles qu'en la faisant on essaie de développer ? Les sept parties de la puja sont 1°) Vénération, 2°) Salutation, 3°) Aller en refuge, 4°) Confession des fautes, 5°) Réjouissance du mérite, 6°) Supplication, et 7°) Transfert du mérite et renoncement de soi. Dans la version de la puja utilisée dans la Communauté bouddhiste Triratna, les versets qui sont récités dans chacune de ces sections proviennent du Bodhicaryavatara (La marche vers l'Éveil) de Shantideva, un texte de l'Inde médiévale qui détaille la totalité de la voie du bodhisattva vers l'Éveil, et qui inclut certaines des plus belles expressions de l'anuttara-puja qui soient. Entre ces versets, l'on trouve dans la puja d'autres vers provenant de diverses autres sources, et qui sont décrits ci-dessous. Considérons tout à tour chacune des sections.
Premièrement, la vénération, ce qui est la signification spécifique du mot puja. Ici, le disciple reconnaît la valeur du Bouddha en lui faisant de belles offrandes, tant littéralement qu'en imagination. L'émotion est une sorte de réjouissance spirituelle, comme si l'on avait pour la première fois rencontré ou reconnu la beauté spirituelle du Bouddha, et que l'on avait été avivé, élevé et éveillé par cette beauté, de telle sorte que notre réponse est simplement de vouloir offrir des choses de beauté à cet bel être inspirant le respect.
Cette section est donc un moyen à la fois de développer et d'exprimer la shraddha, l'émotion spirituelle sur laquelle est basé tout ce qui suit. Quand elle apparaît, cette émotion est si forte que l'on est presque emporté, allant jusqu'à offrir en imagination des choses mythiques et étranges telles que des fleurs de mandarava, qui sont censées être aussi grandes que des roues de chariot et descendre en pluie des cieux ; après tout, nous sommes ici dans le domaine de la poésie et de l'imagination, et il n'y a aucun besoin de restreindre notre exubérance en n'offrant que des choses qui sont vraiment à notre disposition. À ce point de la puja, cependant, ayant récité les vers et fait des offrandes en imagination, il y a habituellement une possibilité pour chacun de faire ses propres offrandes de fleurs, de bougies, d'encens ou de toutes autres choses. Ceci prend place durant le chant du mantra OM MANI PADME HUM, le mantra d'Avalokiteshvara, le Bodhisattva de la Compassion.
Notre réponse initiale face au Bouddha, à l'idéal auquel nous aspirons, est donc simplement d'ouvrir notre cœur et de tout donner. Mais ayant fait cela, après avoir peut-être laissé notre excitation se calmer un peu, nous commençons à reconnaître le point où nous nous trouvons en relation avec cet idéal, et à réaliser qu'il y a en fait un gouffre entre nous et le Bouddha, entre nous-même, là où nous en sommes maintenant, et l'Éveil. Notre réponse à cette réalisation est la Salutation - nous nous inclinons par respect envers le Bouddha et envers tous les êtres Éveillés ou plus avancés sur la voie de l'Éveil. Ce faisant, nous générons ainsi une attitude saine de vénération envers tous ceux qui sont dignes de vénération, attitude qui va à l'encontre de notre tendance à laisser notre ego s'enfler avec des réalisations « spirituelles » imaginaires. Il est très important, dans la vie spirituelle, de maintenir cette attitude de salutation, et c'est un fait qui est attesté par la phrase de Shantideva :
Autant de fois qu'il y a d'atomes
Dans les mille millions de mondes
Autant de fois je fais de respectueuses salutations.
Ceci suggère que notre vie devrait être rien de moins qu'une salutation continue.
La troisième partie de la puja est Aller en refuge. Dans la seconde partie, nous avons reconnu le gouffre qui nous sépare de la bouddhéité, et dans cette partie nous exprimons notre détermination très importante à nous engager à le traverser, à réaliser nous-même la bouddhéité. Aller en refuge dans le Bouddha, le Dharma et la Sangha provient de la réalisation du fait qu'il n'y a pas d'autre refuge, que quelle que soit la chose sur laquelle nous voulons nous reposer ou derrière laquelle nous voulons nous cacher, dans l'univers conditionné, cette chose, ultimement, nous laissera tomber, étant impermanente, non-substantielle et insatisfaisante. Nous ne pouvons nous appuyer que sur les Trois joyaux, qui dans leur sens ultime sont hors du conditionné. Aller en refuge dans les Trois joyaux est donc, pour parler de façon réaliste, la seule route qui nous est ouverte. Dans la langue poétique de Shantideva, nous allons en Refuge
Dans les puissants protecteurs,
Qui sont là pour garder l'univers,
- c'est-à-dire dans tous les êtres Éveillés qui œuvrent à protéger l'univers dans le sens de laisser libre la route vers l'Éveil, et de montrer aux êtres non-éveillés le chemin par lequel ils peuvent eux-mêmes réaliser l'Éveil.
Nous étant engagé dans cet idéal, nous agissons immédiatement envers sa réalisation pratique. Tout d'abord, avant de continuer avec la partie de la puja provenant du texte de Shantideva, nous chantons les Refuges et les préceptes en pâli, nous lançant ainsi dans un entraînement explicite et positif : nous abstenir de faire du mal, de prendre ce qui n'est pas donné, de méconduite sexuelle, de parole mensongère, et d'absorber des produits enivrants ou intoxicants. Mais à ce point nous réalisons qu'il y a toujours toutes sortes de choses qui nous retiennent, telles que des mauvaises habitudes, des actions malhabiles ou défavorables - en bref, l'avidité, la haine et l'illusion. Nous continuons donc avec la Confession des fautes. Dans cette partie nous reconnaissons simplement nos fautes ; nous admettons que nous avons un côté « sombre », et que nous sommes conscient de nos imperfections. Si nous pouvons admettre cela, si nous voyons qu'une action que nous avons faite a eu ou a des mauvaises conséquences, alors, très naturellement, nous ressentons du remords et de la honte pour ce que nous avons fait, ainsi qu'un fort désir de ne plus le refaire à l'avenir. Ces sentiments forment l'essence de la confession bouddhique ; il n'y a pas d'élément de culpabilité, pas de misérabilisme morbide, on ne se frappe pas la poitrine. Idéalement, quand nous reconnaissons nos fautes, nous devrions les confesser à nos amis spirituels. De cette façon nous nous en défaisons, nous les laissons de côté, et elles ne se figent pas en sentiments de culpabilité. Dans le contexte de la puja, nous confessons nos fautes aux bouddhas comme représentant nos amis spirituels par excellence. Nous n'attendons cependant pas des bouddhas qu'ils nous pardonnent. Ceci est une distinction très importante entre la confession dans la tradition bouddhique et la confession dans la tradition chrétienne. Dans le bouddhisme, se confesser veut dire prendre la responsabilité de ses propres actions, ne pas s'attendre à échapper aux conséquences de ce que l'on a fait, et être de tout cœur déterminé à changer notre comportement futur.
L'acte de confesser le mal que nous avons fait et de le laisser de côté résulte en une sensation de liberté et de légèreté qui mène naturellement à la Réjouissance du mérite. Tout comme il n'est possible de ressentir de la metta pour les autres que sur la base de la metta pour nous-même, il est beaucoup plus facile de se réjouir du mérite des autres quand nous pouvons nous réjouir du nôtre ; en fait un sentiment plus extériorisé est quasiment inévitable. En fait, à partir de ce moment, la puja prend des tonalités de plus en plus ouvertes et altruistes. Dans la partie de Réjouissance du mérite, nous nous réjouissons des actions positives et favorables faites par tous les êtres, qui les font avancer sur la voie de l'Éveil - toutes leurs actions de générosité, de noblesse ou de sacrifice de soi, aussi petites soient-elles. Ayant fait ceci nous nous réjouissons des êtres éveillés, des bouddhas et des bodhisattvas ; nous ne nous réjouissons pas seulement de leurs nobles actions, nous nous réjouissons de leur nature même, car nous percevons qu'ils sont intrinsèquement merveilleux. En un sens, la partie de Réjouissance du mérite est analogue à la partie de Vénération, si l'on excepte le fait que la qualité des émotions spirituelles impliquées se trouve à un niveau beaucoup plus élevé, ayant été affinée par l'exécution des parties précédentes de la puja.
Dans la réjouissance du mérite, nous devrions donc être dans un état très joyeux, presque radieux, dans lequel nous sommes très conscient du mérite des autres, en particulier du mérite de bouddhas et des bodhisattvas. Et être conscient de leur mérite nous mène naturellement à nous réjouir d'eux. Étant dans cet état hautement positif de réjouissance dans les bouddhas et bodhisattvas, nous devenons aussi bien plus réceptif à leurs enseignements, et c'est ce sentiment d'ouverture et de réceptivité qui est développé dans la partie suivante de la puja, la Supplication.
Là, nous demandons et supplions les bouddhas de « faire briller la lampe du Dharma », pour le bien-être de tous les êtres. Pourquoi devrait-il être nécessaire de demander aux bouddhas d'enseigner ? La question peut être posée, car en un sens on peut s'attendre à ce qu'ils enseignent, qu'on leur ait demandé ou non. Mais ceci a plus à voir avec nous qu'avec les bouddhas. Ne pas réussir à demander l'enseignement et à montrer notre ouverture et notre réceptivité pourrait indiquer que nous ne sommes peut-être pas aussi réceptif que nous le pensions. Cela pourrait même suggérer que nous n'avons pas confiance dans le fait que les bouddhas vont vraiment nous enseigner.
Cependant, quand nous demandons aux bouddhas d'enseigner, nous ne considérons pas seulement notre propre avantage mais, en accord avec l'esprit altruiste de l'idéal du bodhisattva, nous demandons aux bouddhas de toutes les directions - c'est-à-dire à tous les êtres Éveillés de l'univers - d'enseigner le Dharma à tous les êtres vivants, et de laisser libre la voie vers l'Éveil.
Ayant atteint cet état de réceptivité à l'enseignement, et l'ayant exprimé de tout cœur, il s'ensuit la récitation du Soûtra du cœur, un texte fondamental du Mahayana qui résume l'essence des enseignements que nous avons juste demandés. Pour la même raison, il y a aussi habituellement à ce moment de la puja une lecture d'un extrait des écritures bouddhistes.
À ce point de la puja, si nous l'avons faite avec de réels sentiments, nous devrions faire vraiment l'expérience d'émotions très fortes, raffinées et positives, et notre sensibilité et notre attention devraient être beaucoup plus grandes que d'habitude : nous sommes prêts pour la dernière partie de la puja, son point culminant : le Transfert du mérite et renoncement de soi. Nous y générons un sentiment d'altruisme si intense, si total même, que nous abandonnons littéralement notre ego individuel et égoïste. Nous essayons de développer le sentiment que, bien que nous ayons beaucoup gagné du fait des actions bénéfiques que nous avons faites durant cette puja - et lorsque nous emportons avec nous ces actes dans notre vie quotidienne - nous ne voulons conserver aucun de ces bénéfices pour nous-même. Après tout, comment pouvons-nous espérer atteindre l'Éveil si notre ego « accumule » simplement des bonnes actions qu'il considère comme lui appartenant ? Être trop conscient de notre bonté (même si elle est véritable) peut nous retenir, et nous empêcher d'atteindre des réalisations spirituelles plus élevées. Nous « donnons » donc notre bonté, notre « mérite », en souhaitant qu'il puisse rejaillir vers la réalisation spirituelle de tous les êtres vivants : le bien-être des autres, voilà notre seul souci, il ne nous reste absolument aucun intérêt égoïste, même envers nos bonnes actions. Nous finissons en réfléchissant au fait que tous les éléments dont est composé l'univers (la terre, l'eau, le feu et l'air) sont disponibles pour que chacun les utilise sans restriction ni limitation, et nous exprimons l'aspiration de nous mettre nous-même à la disposition de tous les êtres, exactement de la même manière : nous sommes à leur service, ils peuvent nous apprécier.
Ainsi, donc, nous nous préparons complètement à l'apparition du bodhicitta. En fait, si nous avons vraiment fait le Transfert du mérite et renoncement de soi, le bodhicitta sera déjà apparu, car l'attitude et le sentiment que nous aurons alors développé sont ceux d'un bodhisattva. Dire, même, que nous avons développé le bodhicitta n'est plus juste, car il ne s'agit plus de nous-même dans le vieux sens égoïste et limité. Nous sommes devenu le bodhicitta en action, œuvrant pour l'Éveil de tous les êtres.
La puja en sept parties nous prépare pour cette grande expérience spirituelle, pour cette révolution et cette réorientation totales de tout notre être. Il va sans dire que le bodhicitta, que l'état de bodhisattva, ne peut être généré d'un coup ou sans un travail très grand, sans un grand sacrifice de soi. La puja, comme la méditation, est une pratique à laquelle il faut s'appliquer de tout cœur. Pour commencer, il peut sembler que très peu se passe : parfois, nous répétons les versets sans rien ressentir, ou très peu. Et cependant, peu à peu, nous apprenons plus quant à l'état de bodhisattva, non pas de l'extérieur, comme ce serait par exemple le cas en lisant un livre, mais en essayant de faire l'expérience de ce qui transforme un être humain en bodhisattva. Progressivement, cela deviendra de plus en plus clair pour nous, et cela mûrira de plus en plus en nous ; de plus en plus, la puja deviendra l'expression naturelle de ce que nous devenons.
La puja ne se termine cependant pas avec le Transfert du mérite et renoncement de soi. Nous ayant mené aussi loin que peuvent le faire les images poétiques, voire aussi loin que peut le faire la dévotion, nous ayant mené jusqu'au seuil du transcendant, elle nous laisse avec un aperçu de la Réalité elle-même, la Réalité telle qu'incarnée dans les bouddhas et bodhisattvas dont on récite les mantras pour conclure la puja. Ces symboles sonores nous permettent de faire directement et de façon non conceptuelle l'expérience des qualités de l'Éveil. Peut-être ceci nous mène-t-il presque au-delà des mots.
Puja and the Transformation of the Heart, © Tejananda, 1987, traduction © Ujumani, 2009.