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Au cours de ces dernières décennies, diverses parties du monde, et l'Occident peut-être en particulier, ont subi un bon nombre de changements : des changements politiques, des changements sociaux et culturels, ainsi que d'importants changements dans la technologie. Nous pourrions presque dire que, durant ces dernières décennies, le monde, et surtout l'Occident, a vu plus de changements que durant toute autre période historique de durée égale.
En ce qui concerne les affaires humaines tout au moins, nous avons vu durant cette période un rythme de changement s'accélérant constamment. Il semble qu'il y ait de plus en plus de changements, en moins en moins de temps.Auparavant, quand le rythme de la vie était plus lent et que les gens avaient le temps de « grandir », plusieurs générations pouvaient se succéder avant qu'un changement dans un domaine particulier de la vie devienne visible. Mais il n'en est plus ainsi. A présent, ces changements se remarquent au cours d'une génération, parfois même en l'espace de dix ans - ou de cinq. Et nous voyons ces changements de plus en plus rapides dans pratiquement tous les domaines de la vie et des entreprises humaines, qu'ils soient politiques, sociaux, économiques ou culturels.
Mais nous ne considérerons ici que l'un de ces domaines que, pour utiliser un terme pratique, neutre et général, j'appellerai le domaine culturel. Dans ce domaine particulier, l'un des plus vastes, et potentiellement l'un des plus importants, des changement récents concernent le sujet de la méditation.
Il y a quinze ou vingt ans, l'Occident avait à peine entendu parler de la méditation. La connaissance ou l'intérêt qui existait à ce propos était confiné à des groupes obscurs et à des individus excentriques. Mais nous pouvons aujourd'hui dire qu'à peu près tout le monde a entendu le terme de « méditation ». Néanmoins, bien que le mot soit largement répandu, cela ne veut pas dire que ce qu'il signifie - ce qu'est réellement la méditation - soit vraiment bien compris.
Bien des fois, j'ai entendu des gens dire : « méditer, c'est ne plus penser, c'est faire le vide. ». D'autres pensent que méditer veut dire simplement s'asseoir et ne rien faire. S'asseoir et ne rien faire peut être - et ne pas être - une bonne chose, mais ce n'est pas méditer. Parfois vous entendez aussi dire, ou même vous lisez, que la méditation consiste à s'asseoir et à se regarder le nombril, peut-être en louchant, ou que cela consiste à « entrer dans une sorte de transe » (il est regrettable qu'un auteur connu et généralement fiable de livres sur le bouddhisme ait dans une certaine mesure popularisé le terme de « transe » comme étant synonyme de méditation). D'autres personnes pensent que méditer c'est simplement s'asseoir tranquillement et penser aux choses, « retourner des choses dans son esprit ». D'autres encore pensent que cela consiste à se mettre soi-même dans une sorte d'état hypnotique. Et ce ne sont là que quelques uns des malentendus les plus populaires et les plus répandues sur la méditation.
Le pourquoi de ces malentendus paraît assez évident. La méditation est relativement nouvelle en Occident, tout au moins dans l'Occident moderne. Il n'y a rien de semblable dans l'éventail de notre expérience, dans l'histoire récente du moins. Nous n'avons même pas les mots adéquats, les termes spécialisés adéquats pour décrire les états de la méditation et ses processus. Il est donc bien naturel qu'à l'origine il y ait des malentendus.
Nous devons également nous souvenir que la méditation est essentiellement quelque chose qui doit se pratiquer, que c'est quelque chose que l'on fait, ou dont on fait l'expérience. Mais la plupart des gens ne connaissent la méditation que par ouï-dire. Leur connaissance n'a pas pour base une pratique et une expérience personnelles. Ils se basent donc sur des informations qui ont été relayées deux, trois, ou même quatre fois. Certains ont puisé, ou peut-être ont du puiser leur connaissance de la méditation exclusivement dans des livres. Il y a maintenant un bon nombre de livres disponibles qui traitent ou prétendent traiter de la méditation. Mais malheureusement, ces livres eux-mêmes sont souvent basés sur des ouïs dire plutôt que sur une connaissance et une expérience personnelles. Dans certains cas ils peuvent même être basés sur une pure imagination, pour ne pas dire une spéculation. Il y a déjà dans ce domaine un certains nombre de soi-disant experts. Lorsque quelque chose devient populaire, et c'est le cas de la méditation, il n'y a que trop de gens prêts à profiter de l'aubaine. Cela me rappelle mon expérience personnelle pendant l'année du Bouddha Jayanti, année qui, dans le monde bouddhiste, marquait le 2.500ème anniversaire du parinirvana (la mort physique) du Bouddha et donc les 2.500 ans du bouddhisme. Le gouvernement indien patronna des célébrations en Inde, tandis que différents gouvernements d'Asie du Sud-Est organisèrent des célébrations dans leur pays respectif. Tout cela créa une grande vague d'intérêt et, comme il y avait une forte demande d'ouvrages écrits, toutes sortes de gens se mirent à écrire des livres, des pamphlets et des articles sur le bouddhisme, dans beaucoup de cas sans avoir la moindre qualification. Et tous ces gens, compilant des documents divers et variés, parfois de sources fiables et parfois de sources douteuses, de produire chacun ainsi un autre « ouvrage » sur le bouddhisme.
En Occident, il y a de nos jours un boom sur la spiritualité en général et, dans une moindre mesure, sur la méditation. Beaucoup de gens sont insatisfaits de leur vie de tous les jours, de la manière conventionnelle dont ils vivent et agissent. En dépit des grands succès pratiques de la science en ce qui concerne le monde matériel, les gens ne peuvent accepter une explication purement scientifique de la vie alors que, en même temps, il ne peuvent non plus accepter les explications traditionnelles, essentiellement judéo-chrétiennes des choses. Ils se mettent donc en quête de quelque chose qui les satisfasse de manière plus profonde, plus permanente, plus créative et plus constructive. Certains cherchent dans la direction des traditions spirituelles orientales et particulièrement dans celle de la méditation. Ils veulent apprendre ce qu'est la méditation et la pratiquer - ils veulent suivre des cours de méditation, aller à des week-ends de méditations - et c'est ainsi qu'une demande pour la méditation se crée.
Il y a trop de gens, bien sûr, qui sont prêts à répondre à cette demande - parfois moyennant rémunération. Certains peuvent être tout à fait qualifiés pour répondre à cette demande, je veux dire qualifiés pour enseigner la méditation, et d'autres ne peuvent pas l'être. Ainsi se créent aussi toutes sortes de malentendus. La méditation est souvent identifiée avec une forme particulière de méditation, ou avec une technique de concentration particulière. Les gens ne comprennent peut-être pas toujours bien qu'il y a de nombreux types de méditation - de nombreuses méthodes - et de nombreuses techniques de concentration. Il arrive que des gens qui ne connaissent, ou qui ne pratiquent qu'une méthode aient tendance à identifier la méditation en général exclusivement avec cette méthode ou cette technique particulière. Ils peuvent prétendre que cette méthode est la meilleure, ou même que c'est la seule, et que vous ne méditez pas du tout à moins que vous ne le fassiez de cette manière-là, en utilisation cette technique-là. D'après eux, les autres techniques, les autres méthodes, les autres traditions, n'ont aucune valeur. C'est le genre d'affirmation que l'on trouve. Il devient donc d'autant plus important de clarifier ce qui est confus et de résoudre les malentendus. Il devient important de comprendre en quoi consiste vraiment la méditation. Pour ce faire, nous devrons garder à l'esprit la distance entre l'idéal et le réel, entre l'homme Éveillé, ou le Bouddha, et l'homme ordinaire, non-éveillé. Nous devrons garder à l'esprit la nature même du bouddhisme.
Le Bouddha ou homme Éveillé, représente un état, une réalisation, une façon d'être et un mode de conscience qui n'ont pas vraiment d'équivalent dans la pensée occidentale, et pour lesquels nous n'avons, par conséquent, pas de mot ou de terme équivalent. « Bouddha » ne signifie pas Dieu, Être suprême, créateur de l'univers, ni non plus incarnation de Dieu. « Bouddha » ne signifie pas non plus homme dans le sens ordinaire. Il vaut mieux plutôt penser au Bouddha, à l'Être Éveillé, en terme d'évolution. Le Bouddha, l'Éveillé, est un homme. Mais, c'est un homme d'un genre tout à fait particulier, un homme plus développé. En fait c'est un homme infiniment développé. C'est-à-dire que c'est un homme qui a atteint et réalisé pleinement l'état de perfection spirituelle que nous appelons l'Éveil. Voilà ce que « Bouddha » veut dire. Et le bouddhisme est tout ce qui aide à franchir l'abîme entre l'idéal et le réel, tout ce qui aide à transformer l'être humain non-éveillé en être humain Éveillé, tout ce qui nous aide à grandir, à évoluer, à nous développer. Lorsque l'homme réel devient l'homme idéal - lorsque l'homme non-éveillé se transforme en homme Éveillé - un changement extraordinaire a lieu - peut-être le changement et le développement humain le plus grand qui puisse arriver. Et c'est ce genre de développement que nous appelons la vie spirituelle, ou le processus de ce que l'on nomme parfois Évolution. Mais qu'est-ce qui change ? En quoi consiste ce développement ?
Il est évident que ce n'est pas le corps physique qui change, l'homme Éveillé ressemblant physiquement à celui qui ne l'est pas. Le changement qui a lieu est un changement purement mental, en utilisant ce dernier terme dans son sens le plus large. C'est la conscience qui se développe . Nous pourrions dire que c'est là que réside la grande différence entre l'« Évolution Supérieure » d'une part, et l'« Évolution Inférieure » de l'autre. Ce que nous appelons l'Évolution Inférieure correspond à tout le processus de développement qui part de l'amibe et qui aboutit à l'homme ordinaire, c'est-à-dire à l'homme non éveillé. C'est un processus essentiellement biologique, qui ne devient psychologique que vers la fin. L'Évolution Supérieure correspond à tout le processus exclusivement psychologique et spirituel, un processus qui part de l'homme non-éveillé et aboutit à l'homme Éveillé ; et c'est un processus exclusivement psychologique et spirituel, un processus qui peut en fin de compte devenir totalement dissocié du corps physique.
Le bouddhisme traditionnel parle de quatre stades ou niveaux de conscience, chacun étant plus élevé que le précédent. Il y a tout d'abord la conscience associée avec le « monde » ou le niveau d'expérience sensorielle. Deuxièmement, il y a la conscience associée au « monde » ou au niveau des formes mentales et spirituelles - le monde ou niveau des archétypes. Puis il y a la conscience associée au « monde » ou au niveau du sans forme. Et enfin, il y a la conscience associée à la voie transcendantale, c'est-à-dire à la voie qui mène directement au Nirvana, à l'Éveil, à la Bouddhéité, et aussi associée au Nirvana, à l'Éveil et à la Bouddhéité mêmes.
Il existe une autre classification que nous utilisons parfois et qui est peut être plus pratique. Il y a là aussi quatre stades ou niveaux de conscience, quoiqu'ils ne correspondent pas exactement à ceux que nous avons déjà énumérés. Nous commençons par ce que nous appelons la conscience sensorielle, c'est-à-dire la conscience associée aux objets tels que nous en faisons l'expérience au travers des sens physiques. Elle est parfois connue sous le nom de conscience simple, ou conscience animale. C'est la conscience que nous partageons avec des membres du royaume animal. Deuxièmement, il y a la conscience de soi : non pas la conscience de soi dans le sens familier du terme, mais la conscience de soi dans le sens d'être conscient que nous sommes conscients, dans le sens de savoir que nous savons. Cela est parfois appelé la conscience réflexive, parce qu'ici en quelque sorte, la conscience se replie sur elle-même, se connaît, fait l'expérience d'elle-même, prend conscience d'elle-même. Nous pourrions peut-être dire que cette conscience de soi, ou conscience réflexive, est la conscience humaine au sens plein du terme. Troisièmement, il y a ce que nous appelons la conscience transcendantale, c'est-à-dire dire la conscience de la Réalité - la Réalité ultime - voire le contact personnel direct avec la Réalité, ressentie comme un objet se trouvant « au dehors ». Il y a enfin la Conscience absolue dans laquelle la relation sujet-objet est entièrement dissoute, et dans laquelle la Réalité ultime est totalement réalisée et transcende complètement la dualité sujet-objet.
Dans ces deux classifications, le premier niveau de conscience est celui qui est, de façon prédominante, celui de l'homme ordinaire non éveillé, de l'homme qui n'essaie même pas de se développer spirituellement. Et, dans les deux cas, le quatrième niveau de conscience est celui de l'homme Éveillé.
Nous pouvons maintenant commencer à voir en quoi consiste essentiellement la vie spirituelle - c'est-à-dire l'Évolution Supérieure. Nous pouvons dire qu'elle consiste en une progression continue d'états d'être et de conscience du plus bas vers le plus élevé, le toujours plus élevé : du monde de l'expérience sensorielle à celui de la forme mentale et spirituelle, du monde mental et spirituel au monde sans forme vers le Nirvana, ou l'Éveil, ou bien de la conscience sensorielle à la conscience de soi, de la conscience de soi à la conscience transcendantale, et de la conscience transcendantale à la conscience absolue.
Nous pouvons maintenant commencer à voir ce qu'est réellement la méditation. Nous le verrons d'autant plus clairement que nous avons passé un peu de temps sur ces définitions fondamentales. Il y a néanmoins encore une chose que nous devons considérer. Nous avons dit que la vie spirituelle consistait en un développement de la conscience, et que le bouddhisme, le Dharma, l'enseignement du Bouddha, était tout ce qui aide à ce développement. Mais il y a deux manières différentes de développer la conscience, ou au moins, deux méthodes différentes pour l'aborder. Nous les appelons la méthode subjective et la méthode objective, ou la méthode directe et la méthode indirecte. Ayant reconnu cette distinction, nous avons enfin la base pour voir ce qu'est réellement la méditation. La méditation est la méthode subjective ou directe qui nous permet d'élever le niveau de notre conscience, en travaillant directement sur l'esprit lui-même.
Cependant, je dois d'abord dire quelque chose des méthodes « objectives » ou indirectes utilisées pour élever le niveau de la conscience. Certains semblent penser que la méditation est la seule méthode pour élever le niveau de la conscience, disant ainsi que la conscience ne peut être élevée qu'en travaillant directement sur l'esprit. Ces gens-là identifient donc la méditation avec la vie spirituelle, et la vie spirituelle exclusivement avec la méditation. Ils affirment que vous ne pouvez pas avoir une vie spirituelle si vous ne méditez pas. Ils associent même parfois la vie spirituelle à une méthode spécifique de méditation, ou à une technique de concentration particulière. Mais c'est une perspective beaucoup trop étroite. Elle nous fait oublier ce qu'est vraiment la vie spirituelle - c'est-à-dire l'élévation du niveau de conscience - et elle nous fait parfois oublier ce qu'est réellement la méditation. Il est vrai bien sûr qu'il est au moins aussi important d'élever la conscience par des méthodes directes que de le faire par des méthodes indirectes ; nous pourrions même dire que c'est peut-être plus important. Mais nous ne devons pas oublier qu'il existe d'autres méthodes : si nous l'oublions, notre approche devient trop partielle, et si nous agissons ainsi nous avons tendance à rendre la vie spirituelle elle-même partielle, voire à exclure certaines personnes, par exemple celles qui ont un caractère particulier, ou qui ne sont peut-être pas intéressées par la méditation. Considérons donc brièvement quelques-unes de ces méthodes indirectes, non méditatives, qui aident à élever le niveau de conscience.
Il y a tout d'abord le changement d'environnement. Nous utilisons cela tout à fait consciemment comme un moyen indirect pour changer et, espérons-le, élever notre niveau de conscience, lorsque nous allons en retraite - peut-être à la campagne, dans un centre de retraite. Nous y passons quelques jours, voire quelques semaines, dans un environnement plus plaisant, plus agréable, en ne faisant peut être même rien de spécial. Cela aide souvent plus qu'on ne le réalise, et suggère que l'environnement dans lequel nous devons normalement vivre et travailler n'est pas particulièrement bon pour nous - ne nous aide pas à élever le niveau de notre conscience. Il semble que, dans la plupart des cas, un changement positif d'environnement conduit tout naturellement à une élévation du niveau de conscience - même sans aucun effort supplémentaire.
Une autre manière pratique, simple et indirecte d'accroître le niveau de la conscience, est ce que le bouddhisme appelle le travail éthique. Presque tout le monde doit travailler pour vivre. Bon nombre d'entre nous font le même genre de travail tous les jours, cinq jours par semaine, quarante-huit semaines par an. Et nous le ferons peut-être pendant cinq, dix, vingt, vingt-cinq ou trente ans jusqu'à ce que nous atteignions l'âge de la retraite. Tout cela affecte continuellement nos états d'esprit. Si notre travail est mentalement, moralement, ou spirituellement malsain, l'effet qu'il aura sur notre esprit sera également malsain. Le bouddhisme, l'enseignement du Bouddha, nous conseille fortement d'examiner la manière dont nous gagnons notre vie et de pratiquer le travail éthique, c'est-à-dire une occupation qui n'abaisse pas le niveau de notre conscience, qui ne nous empêche pas non plus de l'augmenter, et qui ne porte pas dommage à d'autres êtres vivants. La tradition bouddhique liste un nombre d'occupations qu'elle considère nuisible au développement mental : être boucher, négociant en armements, vendeur de boissons alcoolisées, etc… Ce changement dans la nature de votre occupation (à supposer que la profession que vous exercez à présent ne soit pas tout à fait éthique), ce seul fait de changer de travail, d'endroit, d'environnement, ce changement de genre de personnes avec lesquelles vous travaillez, du type de choses que vous faites chaque jour, aura un effet positif et vous aidera à améliorer le niveau de votre conscience - ou tout au moins il ne l'empêchera pas de s'élever.
De manière plus spécifique et concrète nous pouvons ajouter l'importance d'avoir une vie régulière et disciplinée : quelque chose qui semble être de moins en moins populaire. Cela peut consister dans l'observation et la pratique de certains préceptes et principes moraux ; avoir des heures régulières pour les repas, le travail, la relaxation et l'étude, le sommeil et la parole - peut-être même jeûner de temps en temps, ou observer le silence pendant quelques jours ou quelques semaines. Lorsque cette vie disciplinée est pratiquée dans sa forme complète nous l'appelons la vie monastique. Au cours des années, on peut voir très clairement le changement dans l'état, le niveau de conscience de ceux qui vivent une vie aussi régulière et disciplinée, même s'ils ne pratiquent pas la méditation.
Il y a d'autres méthodes, telles que le hatha yoga (yoga dans le sens physique). Il y a en particulier ce qu'on nomme les asanas yogiques, qui affectent non seulement le corps mais aussi l'esprit. Ils affectent l'esprit par le biais du corps et même ceux qui méditent régulièrement peuvent parfois les trouver très utiles. Il arrive que même une personne expérimentée dans la pratique de la médiation soit parfois un peu trop fatiguée à la fin d'une journée de travail, ou ait un peu trop de soucis pour méditer convenablement. Elle pratiquera alors quelques asanas jusqu'à ce que son esprit devienne plus calme et plus concentré. Sa fatigue se dissipera et elle se sentira rafraîchie presque comme si elle avait médité.
Il y a également les Do ou « voies » japonaises, comme l'ikebana ou arrangement floral. Arranger des fleurs dans un vase d'une manière traditionnelle peut sembler quelque chose de très simple et de très ordinaire, mais l'esprit, la conscience de ceux qui l'ont fait pendant des années ont clairement changé. On peut également mentionner le t'ai chi ch'uan, etc. Tout cela a un effet sur l'esprit. Ce sont des méthodes indirectes d'élever le niveau de la conscience.
De même la jouissance des grandes œuvres d'art - la poésie, la musique, la peinture de hauts niveaux - contribue à élever le niveau de la conscience. Cette jouissance élève la conscience si les œuvres en question sont vraiment de grandes œuvres, si elles sont l'expression d'un état de conscience plus élevé que notre état habituel.
A un niveau plus terre-à-terre, il y a l'aide que nous pouvons donner aux autres. Nous pouvons consacrer notre vie à aider les malades, les destitués, les malades mentaux, ou à visiter les prisonniers. Nous pouvons faire tout cela de bon cœur et joyeusement, sans souci pour notre confort ou ce qui nous arrange le mieux ; le faire sans motif personnel ou égoïste. C'est ce que la tradition hindoue appelle le nishkama karma yoga, le yoga de l'action désintéressée. Et cela aussi est une méthode indirecte pour élever le niveau de notre conscience.
Nous pouvons aussi nous lier avec des gens qui ont une vie spirituelle, en particulier avec ceux qui sont plus développés spirituellement que nous-mêmes, si nous arrivons à les trouver. Certaines traditions, certains maîtres, regardent ce genre de relation comme la plus importante des méthodes indirectes. La littérature indienne religieuse et spirituelle s'y réfère sans arrêt sous le terme de satsangha. Sat veut dire vrai, réel, authentique, pur, spirituel - voire transcendantal ; sangha signifie association, communion, fraternité. La satsangha est simplement le fait d'être ensemble, souvent dans un esprit de joie et d'insouciance avec des gens qui suivent la voie spirituelle et dont l'intérêt prédominant porte sur des choses spirituelles. Cela déteint sur nous pratiquement sans que nous ayons à faire aucun effort. La satsangha est donc aussi une méthode indirecte d'élévation du niveau de conscience. C'est ce que le bouddhisme appelle le kalyana mitrata, l'amitié spirituelle.
Et puis il y a aussi le chant de mantras et la vénération rituelle. On dénigre beaucoup le rituel de nos jours, en particulier les gens les plus intelligents - je devrais peut-être dire les plus « intellectuels ». Mais c'est une façon d'élever le niveau de conscience et qui a fait ses preuves. Le seul fait d'offrir quelques fleurs ou d'allumer une bougie en face d'une statue ou d'une image modifie notre esprit, et nous sommes parfois surpris de voir l'étendue du changement. Nous pouvons lire beaucoup de livres sur la vie spirituelle ; nous pouvons même avoir essayé de méditer (et peut-être réussi), mais nous trouvons parfois que le simple accomplissement d'une action rituelle symbolique quand elle est chargée de sens, nous aide beaucoup plus.
On pourrait mentionner beaucoup d'autres méthodes indirectes, qui peuvent être combinées les unes avec les autres. Certaines peuvent être combinées avec la méthode directe, avec la pratique de la méditation. Il faut néanmoins noter que, quelle que soit leur valeur, certaines de ces méthodes indirectes ne peuvent nous conduire très loin. Elles ne peuvent nous élever à tous les niveaux de conscience. Mais, comme dans la plupart des cas, il nous faudra attendre longtemps avant de passer à des niveaux de conscience plus élevés, les méthodes indirectes peuvent nous être utiles pendant longtemps. Même si, par le biais de ces méthodes, nous arrivons à nous approcher de ces niveaux plus élevés, nous devrons tout de même pratiquer la méditation de plus en plus afin de progresser plus avant. Nous devrons commencer à travailler directement sur l'esprit.
Comment fait-on cela ?
En quoi consiste ce travail direct de l'esprit ?
Jusqu'à maintenant je n'ai utilisé que le terme très général de « méditation », parce que c'est celui qui est compris en Occident. Mais ce terme de « méditation » ne correspond à aucun mot indien ou bouddhique. Ce que nous appelons « méditation » correspond à au moins trois choses différentes, et couvre en fait trois manières différentes de travailler directement sur l'esprit - nous pourrions dire trois étapes différentes dans le développement de la conscience - pour lesquelles le bouddhisme, comme d'autres traditions spirituelles indiennes, a des termes bien différents. Le terme de « méditation » couvre en fait la concentration, l'absorption, et la vue pénétrante.
© 'Human Enlightenment' Sangharakshita, Windhorse Publications 1980, traduction © Christian Richard 2003.