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Par vue pénétrante, nous entendons une vision claire, une perception claire de la nature intrinsèque des choses - ce que la terminologie bouddhiste traditionnelle appelle les choses « comme elles sont véritablement ». En d'autres termes, et pour utiliser une phraséologie plus abstraite et plus philosophique, c'est la perception directe de la Réalité elle-même. C'est ce qu'est la méditation à son plus haut niveau - c'est ce qu'est la vue pénétrante ou vision. Une telle perception a deux aspects. C'est la vue pénétrante de ce qui est conditionné (c'est-à-dire du « monde » ou de ce qui est terrestre, transitoire, et ainsi de suite) ; et c'est la vue pénétrante qui est Inconditionnée et transcende le monde : l'Absolu, l'Ultime.
La vue pénétrante du conditionné comprend trois choses, ou a trois aspects. Nous voyons tout d'abord que ce qui est conditionné, ce qui est du monde, ne peut, de par sa nature, donner une satisfaction qui soit permanente et durable. Pour cela, il nous faut chercher ailleurs. Deuxièmement, nous voyons que tout ce qui est conditionné est impermanent. Nous ne pouvons rien posséder pour toujours. Et enfin troisièmement, nous voyons que tout ce qui est conditionné n'a qu'une existence relative. Tout cela n'existe pas dans l'absolu, ne possède pas de réalité permanente et ultime.
La vue pénétrante de l'Inconditionné elle, consiste en ce qui est connu, selon une certaine formulation, sous le nom des Cinq connaissances, ou des Cinq sagesses. Il ne s'agit pas de connaissance dans le sens ordinaire, mais de quelque chose qui est bien au-delà. Il y a tout d'abord ce que nous ne pouvons décrire que comme la connaissance de la totalité des choses, pas tant dans l'agrégat de leur particularité que dans et à travers leur profondeur ultime et leur essence spirituelle - dans la lumière de leur principe unificateur commun. Il y a ensuite la connaissance de toutes les choses, conditionnées et Inconditionnées sans aucune trace de distorsion subjective. Cette connaissance est parfois appelée la Connaissance du miroir . Elle est appelée ainsi parce que, comme un grand miroir, elle reflète tout exactement tel quel, sans subjectivité ou préjugé, sans atténuation, sans rien cacher ou obscurcir. Les choses sont vues exactement comme elles sont. Troisièmement, il y a la connaissance des choses dans leur ressemblance et leur identité absolue - ne voir partout qu'un esprit, une réalité, une shunyata. Quatrièmement, il y a la connaissance des choses dans leur différence. L'unité absolue n'efface pas la différence absolue, mais nous les voyons aussi dans leur multiplicité absolue, dans le fait que chacune est totalement unique. Nous les voyons des deux manières à la fois. Et, finalement, il y a la connaissance de ce qu'il faut faire pour le bien-être spirituel des autres êtres vivants.
Ces Cinq connaissances, ces Cinq sagesses, sont symbolisées dans l'iconographie bouddhiste par ce qu'on appelle le mandala des cinq Bouddhas. Si nous visualisons ce mandala, nous voyons tout d'abord une grande étendue de ciel bleu, très profond et très brillant. Au centre de cette étendue, nous voyons apparaître un Bouddha d'un blanc pur, qui tient dans sa main une brillante roue dorée. Puis, à l'est, nous voyons un Bouddha d'un bleu sombre et profond, qui tient à la main un vajra, un « sceptre de diamant ». Au sud, nous voyons un Bouddha jaune or qui tient un joyau rutilant. A l'ouest, nous voyons un Bouddha rouge foncé tenant un lotus rouge. Et au nord, nous voyons un Bouddha vert, qui tient deux « sceptres de diamant » croisés.
Lorsque les Cinq connaissances apparaissent, l'Éveil est atteint. Nous devenons nous-même l'incarnation de ces cinq Bouddhas. A ce stade, la vue pénétrante a été complètement réalisée, la méditation a été pratiquée jusqu'à ses limites extrêmes, et nous avons compris par nous-même ce qu'est réellement la méditation.
© 'Human Enlightenment' Sangharakshita, Windhorse Publications 1980, traduction © Christian Richard 2003.