Finalement, ayant réalisé pour lui-même ce qu'était la vraie voie, celle qui passait par les étapes de la méditation, Siddhartha se fixa son but, avec une résolution inébranlable. À ce point, des paroles belles et fortes sont mises entre ses lèvres par certains des premiers compilateurs des écritures : « Que le sang sèche, que la chair se flétrisse, mais je ne bougerai pas de cet endroit avant d'avoir atteint l'Éveil. » Il ne dit pas : « Bien, je vais essayer cela pendant quelques jours, et si ça ne marche pas, je suppose qu'il me faudra juste essayer quelque chose d'autre. » Son engagement, une fois qu'il avait vu la voie devant lui, fut total et sans compromission. Rien de moins que cela n'aurait suffit pour le but qu'il s'était fixé, qui était de renverser l'existence conditionnée. L'Éveil du Bouddha est donc très souvent décrit en simple termes héroïques comme une victoire, une victoire contre Mara, l'incarnation bouddhique du mal. Le nom « Mara » signifie littéralement « mort », et Mara personnifie toutes les forces du mal existant dans notre propre esprit, nos émotions négatives, nos conditionnements psychologiques, etc., tout ce qui nous lie à une souffrance répétée – en bref, notre avidité, notre haine, et notre ignorance. Et du fait de sa victoire sur Mara, un autre des titres donnés au Bouddha est Marajit, le conquérant de Mara.
L'atteinte de l'Éveil par le Bouddha ayant été de manière si évidente l'expression – l'expression ultime – de l'idéal héroïque, il n'est pas surprenant que son enseignement insiste tant sur l'indépendance de soi, sur le fait de ne se reposer sur personne, pas même sur lui. Il y a une célèbre exhortation faite par le Bouddha qui apparaît plusieurs fois dans les écritures en pâli : « Tout ce qu'un maître peut faire, je l'ai fait pour vous. Voilà les racines de l'arbre. Asseyez-vous et méditez ; c'est à vous de faire le reste. » Il poussait toujours les moines, leur demandant où ils en étaient, comment cela se passait, ne les laissant jamais se relâcher, les encourageant sans cesse, les inspirant à faire de plus grands efforts. Et, pour la plupart, ils répondaient. D'autres se lassèrent un peu, rechignant à la vitesse à laquelle le Bouddha les faisait avancer ; mais ils partirent rapidement à la recherche d'un autre maître.
Le Bouddha savait par expérience personnelle que ce n'était pas une chose facile. En plus d'une occasion, il parla de la vie spirituelle comme d'une bataille et s'adressa aux moines en termes martiaux : « Nous sommes des kshatriyas, des guerriers », leur dit-il. Et il ne voulait pas dire que ses disciples étaient de la caste des kshatriyas, car ses disciples venaient de toutes les castes, des brahmanes aux intouchables (candalas), et aucune distinction de caste n'était respectée dans la Sangha. Il dit : « Nous sommes des guerriers car nous sommes des combattants. Et que combattons-nous ? Nous nous battons pour la shila, la vie éthique ; nous nous battons pour la samadhi, la conscience supérieure ; nous nous battons pour la prajña, la sagesse, et nous nous battons pour la vimukti, l'émancipation spirituelle complète. » Dans de tels passages, le Bouddha apparaît comme l'incarnation de l'intrépidité et de la confiance en soi. Il n'a pas de fausse humilité, il ne fait pas de bravades. Sa parole est appelée son simha-nada, son rugissement de lion. Nous connaissons tous des gens qui bêlent comme des moutons, voire même qui bêlent faiblement comme des petits agneaux, et nous connaissons des gens qui jappent ou aboient comme des chiens. Mais les paroles du Bouddha sont comparées au rugissement d'un lion car, selon la mythologie indienne, lorsque le lion rugit toutes les autres bêtes de la jungle se taisent. Quand le Bouddha présente la vérité, personne ne peut y résister.
'Who is the Buddha?' © Sangharakshita, Windhorse Publications 1994, traduction © Ujumani, 2011.