Alors l'Exalté vit le frère couché où il était tombé, dans ses propres excréments, et le voyant il alla vers lui, s'approcha de lui et lui dit : « Frère, qu'as-tu ? » « J'ai la dysenterie, Seigneur. » « Mais y a-t-il quelqu'un qui prenne soin de toi, frère ? » « Non, Seigneur. » « Comment se fait-il, frère, que les frères ne prennent pas soin de toi ? » « Je suis sans utilité pour les frères, Seigneur. Les frères ne prennent donc pas soin de moi. »
Le point principal de ce paragraphe est contenu dans la dernière réponse du moine malade au Bouddha : « Je suis sans utilité pour les frères, Seigneur. Les frères ne prennent donc pas soin de moi. » C'est une déclaration très choquante. Elle implique, tristement, que les gens ne sont intéressés par vous que tant que vous pouvez leur être utile. Elle implique que les gens ne vous voient pas comme une personne, mais comme une chose (la distinction entre traiter une personne comme une personne et la traiter comme une chose a été faite dans la pensée occidentale par le philosophe Kant, dans Les fondements de la métaphysique des mœurs). Traiter une personne comme une chose est la traiter de façon non éthique. C'est comme cela que les autres moines traitaient le moine malade. Il ne leur était pas utile, et ils ne s'intéressaient donc pas à lui. Il était donc laissé là, couché dans ses propres excréments. Personne ne prenait soin de lui. Il n'y avait pas de bienveillance entre le moine malade et les autres moines. Il n'y avait pas d'amitié humaine ordinaire. Il n'y avait pas non plus de sympathie, ni de sensibilité, ni d'attention. Il ne pouvait pas y en avoir, car ce sont des qualités dont vous ne pouvez faire l'expérience qu'en relation avec une personne que vous voyez réellement en tant que personne. Les autres moines ne voyaient pas le moine malade en tant que personne. Pour eux, il était comme un balai usé ou un pot brisé. Il était sans utilité pour eux, et ils ne s'occupaient donc pas de lui.
Je n'ai guère besoin de vous rappeler que, nous aussi, nous nous comportons souvent comme cela. Souvent, nous considérons les gens d'abord en termes de leur utilité. Nous faisons même cela dans la communauté spirituelle. Parfois nous sommes plus intéressé par les talents ou les capacités de quelqu'un, en tant que maçon, comptable ou conférencier, que par ce que cette personne est en elle-même. Si, lorsque vous ne voulez plus ou n'êtes plus capable d'utiliser vos talents, on vous traite de cette manière, vous pouvez faire l'expérience décevante et pleine de désillusion que plus personne ne veut vous connaître. Plus personne ne veut être votre ami.
Nous devons donc apprendre à voir les personnes en tant que personnes. Il doit y avoir de la bienveillance entre nous. Il doit y avoir de l'amitié spirituelle (kalyana mitrata). Il doit y avoir de la sympathie, de la sensibilité et de l'attention.
Il y a deux aspects principaux caractérisant des personnes se traitant mutuellement en tant que personnes. Ce sont la communication et la réjouissance. Ces deux choses sont l'essence de l'amitié (l'amitié est ce qui se développe quand deux personnes commencent mutuellement à se traiter en tant que personnes).
Même dans le cas de l'amitié ordinaire il y a le grand bénéfice et la grande bénédiction de pouvoir partager toutes nos pensées et tous nos sentiments avec un autre être humain. Il a été dit que le fait de se révéler, de se faire connaître d'un autre être humain (être connu de lui et savoir qu'il vous connaît) est essentiel à la santé et au bonheur humains. Si vous êtes enfermé en vous-même sans aucune possibilité de communication avec une autre personne, vous ne restez pas sain et heureux pendant longtemps. Dans le cas de l'amitié spirituelle, nous partageons notre expérience du Dharma lui-même. Nous partageons notre enthousiasme, notre inspiration, et notre compréhension. Nous partageons même nos erreurs. La communication prend alors la forme de la confession.
L'aspect de réjouissance signifie que non seulement nous voyons l'autre personne comme une personne, mais qu'aussi nous aimons ce que nous voyons. Nous nous réjouissons de ce que nous voyons, comme avec une belle peinture ou une poésie. Mais la peinture ou la poésie est ici vivante, ce qui la rend bien sûr très stimulante et passionnante. Ici nous voyons, nous apprécions, nous aimons une personne entièrement pour elle-même. Ceci arrive aussi dans une certaine mesure avec une amitié ordinaire, et dans une bien plus grande mesure avec une amitié spirituelle. Vous vous souvenez peut-être que la première signification de kalyana est « beau ». Dans l'amitié spirituelle nous nous réjouissons de la beauté spirituelle de notre ami ; nous nous réjouissons de ses mérites. Ainsi, la communication et la réjouissance sont l'essence de l'amitié.
‘A Guide to the Buddhist Path’ © Sangharakshita, Windhorse Publications 1990,
traduction © Ujumani 2003.