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« Frères, vous n'avez ni père ni mère pour prendre soin de vous. Si vous ne prenez pas soin les uns des autres, qui donc, je vous le demande, le fera ? Frères, que celui qui s'occuperait de moi s'occupe des malades. S'il a un maître, que son maître s'occupe de lui tant qu'il est vivant, et s'occupe de sa guérison. S'il a un tuteur ou un compagnon de vihara, un disciple, un condisciple ou d'autres confrères, ceux-ci devraient s'occuper de lui et attendre sa guérison. Si personne ne s'occupe de lui, cela sera compté comme une offense. »
« Frères, vous n'avez ni père ni mère pour prendre soin de vous. » Le Bouddha, ici, énonce une discontinuité absolue entre la famille biologique et la famille spirituelle, ou entre le « groupe » et la « communauté spirituelle ». Une fois que vous entrez dans la communauté spirituelle, vous n'appartenez plus au groupe. Le Bouddha ne veut pas dire que vos père et mère sont morts, littéralement. Il veut dire que d'un point de vue spirituel ils n'existent plus. En d'autres termes, ils n'existent plus en tant que votre père et que votre mère. Vous ne pouvez donc plus dépendre d'eux pour prendre soin de vous. »
C'est ce que signifie « aller de l'avant ». Vous allez de l'avant, du groupe vers la communauté spirituelle. Spirituellement parlant, le groupe n'existe plus. Puisqu'il n'existe plus, vous ne comptez plus sur lui, vous n'y prenez plus refuge.
Une fois que vous êtes entré dans la communauté spirituelle, seule existe la communauté spirituelle. Vous ne prenez Refuge que dans les Trois joyaux : le Bouddha, le Dharma et la Sangha. Vous ne vous fiez qu'aux autres membres de la communauté spirituelle. Cela signifie aussi que les autres membres de la communauté spirituelle se fient à vous. Vous vous fiez les uns aux autres. Vous prenez soin les uns des autres. Vous vous encouragez les uns les autres. Vous vous inspirez les uns les autres.
Supposez, cependant, que quelqu'un soit malade, ou déprimé, ou ait des difficultés psychologiques, ou ne trouve pas la vie spirituelle très agréable. Si cette personne est laissée seule, comme l'était le moine malade, alors cette personne peut retourner vers le groupe. Elle peut retourner vers la famille : vers sa mère, sa femme ou sa petite amie. Elle peut aller à la recherche de confort et de consolation.
Il est important que les membres de la communauté spirituelle réalisent qu'ils n'ont pas de réel Refuge, à l'exception des uns des autres. Ils n'ont pas de réels amis, à l'exception de leurs amis spirituels. Du groupe, ils ne peuvent absolument rien attendre - pas plus qu'ils ne le devraient. « Frères, vous n'avez ni mère ni père pour prendre soin de vous. » Ils appartiennent de manière absolue à la communauté spirituelle ; ils appartiennent de manière absolue les uns aux autres. Ils devraient donc être prêts à vivre et à mourir les uns pour les autres, sans quoi ils ne sont pas réellement allés en Refuge. Leur futur est avec les uns et les autres ; ils sont le futur les uns des autres ; ils n'ont pas de futur en dehors des uns des autres.
Le Bouddha dit : « Si vous ne prenez pas soin les uns des autres, qui donc, je vous le demande, le fera ? » Si les membres de la communauté spirituelle ne s'aiment pas les uns les autres, qui d'autre les aimera ? S'ils ne s'inspirent pas les uns les autres, qui d'autre les inspirera ? S'ils ne peuvent pas être heureux les uns avec les autres, avec qui d'autre peuvent-ils l'être ? Peut-être devraient-ils apprécier plus leur compagnie mutuelle, s'apprécier plus les uns les autres, reconnaître plus leur valeur mutuelle. Le Bouddha appréciait beaucoup la valeur des frères. Il dit : « Frères, que celui qui s'occuperait de moi s'occupe des malades. » Le Bouddha n'est ici ni mystique ni métaphysique : il s'occupe des réalités de la vie dans la communauté spirituelle. Par « les malades » il veut dire les frères malades, c'est-à-dire d'autres membres de la communauté spirituelle. Si quelqu'un veut s'occuper du Bouddha, il devrait s'occuper d'eux. En un sens, ainsi, le Bouddha rend les membres de la communauté spirituelle égaux à lui-même. Il ne serait guère possible de leur donner plus de valeur que cela.
« S'il a un maître, que son maître s'occupe de lui tant qu'il est vivant, et s'occupe de sa guérison. S'il a un tuteur ou un compagnon de vihara, un disciple, un condisciple ou d'autres confrères, ceux-ci devraient s'occuper de lui et attendre sa guérison. » Ainsi, toutes les relations possibles à l'intérieur de la communauté spirituelle sont couvertes. Le maître devrait prendre soin de l'élève, et l'élève du maître ; les condisciples devraient prendre soin des condisciples ; les occupants du même vihara (de la même communauté spirituelle résidentielle) devraient prendre soin les uns des autres. Dans la maladie et dans la santé, il devrait y avoir entre eux une bienveillance et une amitié spirituelles sans faille.
« Si personne ne s'occupe de lui, cela sera compté comme une offense ». « Offense », en liaison avec ceci, signifie action défavorable, une action qui doit être confessée. La communauté spirituelle tout entière a la responsabilité du soin de chacun de ses membres. De façon ultime, tout le monde est responsable de chacun et chacun, dans la mesure de sa robustesse, est responsable de tout le monde. Sans cela il ne peut y avoir de communauté spirituelle, il ne peut y avoir d'Ordre.
Il ne s'agit donc pas seulement, dans cet épisode, du cas d'un moine malade, négligé par ses frères. Il ne s'agit pas que d'un simple cas de diarrhée. Il s'agit de bienveillance mutuelle sans faille, il s'agit d'intérêt dans la personne, il s'agit d'action harmonieuse et efficace, il s'agit de considérer les personnes en tant que personnes, il s'agit de communication et de réjouissance, il s'agit de reconnaissance de la discontinuité absolue entre le groupe et la communauté spirituelle. Par-dessus tout, il s'agit de responsabilité mutuelle, et d'amitié spirituelle mutuelle. Il ne s'agit pas de quelque chose qui s'est produit dans le passé, il y a deux mille cinq cents ans ; il s'agit de quelque chose qui se passe maintenant, aujourd'hui. Il ne s'agit pas de quelque chose qui concernait les anciens frères ; il s'agit de quelque chose qui concerne leurs successeurs modernes.
‘A Guide to the Buddhist Path’ © Sangharakshita, Windhorse Publications 1990,
traduction © Ujumani 2003.