Que font les membres de la communauté spirituelle, pour eux-mêmes, les uns pour les autres, et pour le monde ? Que font les membres de la communauté spirituelle pour eux-mêmes ? Avant tout, ils poursuivent tous leur pratique spirituelle individuelle : ils continuent à étudier, ils méditent, ils pratiquent les moyens d'existence justes, ils observent les préceptes.
Deuxièmement, un membre de la communauté spirituelle fait en sorte de se trouver en relation avec les autres sur une base purement spirituelle, ou au moins principalement spirituelle, c'est-à-dire sur la base d'un engagement spirituel commun envers un idéal spirituel commun. Je vais expliquer ce que cela signifie.
Nous rencontrons sans cesse des gens, à la maison, au bureau, dans la rue, au club, etc. Nous sommes en relation avec ces gens de différentes façons, mais habituellement sur la base de nos propres besoins. Ce sont parfois des besoins sexuels, parfois des besoins psychologiques ou émotionnels, parfois des besoins économiques ou sociaux. Mais ce sont des besoins, et la relation est donc très souvent une relation d'exploitation (les besoins peuvent être réciproques, auquel cas c'est une relation d'exploitation réciproque). Très souvent, nous n'aimons pas admettre que nous entretenons des relations basées sur nos besoins ; nous n'aimons pas dire ce que nous voulons vraiment des autres ; parfois nous n'en sommes pas entièrement conscient. Cela veut dire que trop souvent nos relations sont malhonnêtes ou, au mieux, confuses. Elles sont accompagnées d'un certain degré de malentendu et de rationalisation réciproques.
Dans la communauté spirituelle nous ne sommes pas en relation avec les autres de cette façon. Dans la communauté spirituelle nous voulons nous développer spirituellement, et d'autres veulent se développer spirituellement ; ils sont allés en Refuge et nous sommes allé en Refuge. Nous sommes donc en relation sur la base de notre engagement commun, de notre idéal commun, de ce qui nous importe le plus à tous. Si nous sommes en relation avec les autres de cette façon, alors nous faisons l'expérience des autres d'une façon non habituelle : nous faisons l'expérience d'eux en tant qu'êtres spirituels. Comme nous faisons l'expérience des autres en tant qu'êtres spirituels, nous faisons aussi l'expérience de nous-même en tant qu'être spirituel. Comme nous faisons chacun l'expérience de nous-même en tant qu'être spirituel, le rythme du développement spirituel s'accélère, et nous faisons l'expérience de nous-même de plus en plus réellement et intensément.
En des termes plus ordinaires, dans le contexte de la communauté spirituelle nous pouvons être nous-même, c'est-à-dire être nous-même quand nous sommes au meilleur et au plus élevé. Très souvent, quand on parle d'« être soi-même », on veut dire soi-même au pire ; on veut dire donner libre cours à cette partie de soi-même que l'on n'aime généralement pas reconnaître. Mais être soi-même peut vouloir dire donner libre cours à ce qu'il y a de meilleur en soi. Très souvent c'est le meilleur, plutôt que le pire, qui n'a pas l'occasion de s'exprimer. Dans le contexte de la communauté spirituelle nous pouvons être nous-même au meilleur, voire au pire si nécessaire, mais nous pouvons être complètement, entièrement, parfaitement nous-même.
Dans le contexte de la vie ordinaire c'est rarement possible, comme la plupart des gens ne le savent que trop bien. C'est rarement possible, même avec ceux qui nous sont les plus proches et les plus chers. Il peut s'agir de notre propre père ou mère, de notre propre mari ou femme, de notre propre ami, mais bien trop souvent, à certaines occasions ou en liaison avec certains sujets, nous ne pouvons pas réellement être nous-mêmes. Un grand nombre de gens passent leur vie sans être capables d'être eux-mêmes, de manière complète et continue, avec n'importe qui, et ils trouvent donc difficile de ne jamais faire l'expérience d'eux-mêmes tels qu'ils sont.
Dans le contexte de la communauté spirituelle nous pouvons être nous-même, même avec de nombreuses personnes. Nous pouvons rencontrer cinq ou six personnes, dix ou douze personnes, et être toujours nous-même (en présence de quarante, cinquante, soixante personnes peut-être, chacun est toujours lui-même). Ceci est sans précédent dans l'expérience de la majorité des gens, mais c'est tout à fait possible dans la communauté spirituelle, parce que chacun y est en relation avec les autres sur la base de ce qu'il y a de meilleur et de plus élevé, en chacun et en tous.
Dans la communauté spirituelle vous faites donc l'expérience d'un grand soulagement et d'une grande joie. Il n'y a pas besoin de mettre en place une quelconque défense. Il n'y a aucun besoin de prétendre quoi que ce soit. Il n'y a pas besoin de malentendu. Vous pouvez être vous-même avec d'autres qui sont eux aussi eux-mêmes. Il y a une clarté complète entre les gens, sans même, dans les meilleurs des cas, de possibilité de malentendu. Dans une telle situation vous vous développez naturellement plus rapidement qu'il ne le serait autrement possible. En conséquence, vous faites beaucoup pour vous-même simplement en étant membre d'une communauté spirituelle - un membre actif, cependant (il n'y a réellement, bien sûr, aucune autre sorte de membre).
Que font les uns pour les autres les membres de la communauté spirituelle ? Ils s'entraident de toutes les manières possibles. Ils s'entraident spirituellement. Ils s'entraident aussi psychologiquement, économiquement, voire dans les affaires ordinaires de la vie quotidienne. Je vais mentionner deux manières de s'entraider qu'ont les membres de la communauté spirituelle, qui sont particulièrement pertinentes.
J'ai dit que dans la communauté spirituelle nous sommes en relation sur la base d'un engagement commun et d'un idéal commun. Ce n'est pas toujours facile. De nombreuses personnes joignent la communauté spirituelle. Il y a des gens venant d'horizons très différents, ayant différentes perspectives et différents tempéraments. Nous trouvons facile de nous entendre avec certains, plus difficile avec d'autres. Nous pouvons même découvrir, à notre plus grande horreur, que nous n'aimons pas certains membres de la communauté spirituelle. Que faisons-nous ? Nous ne voulons pas quitter la communauté spirituelle, et nous ne pouvons guère leur demander de la quitter. La seule chose que nous puissions faire est d'y travailler ensemble. Nous devons reconnaître que ce que nous avons en commun est beaucoup plus important que ce que nous n'avons pas en commun, et nous devons apprendre - douloureusement, même - à être en relation sur la base de ce que nous avons en commun. De cette façon, les membres de la communauté spirituelle s'aident à dépasser des antipathies et des limitations purement subjectives, et s'aident à être en relation sur la base de ce qui est commun et le plus élevé.
Répétons-le, la vie spirituelle n'est pas facile. Il n'est pas facile d'éradiquer les pensées défavorables et de développer des pensées favorables. Parfois, nous pouvons avoir envie de tout laisser tomber. Nous pouvons ressentir que c'est trop pour nous, que c'est aller trop à contre-courant, qu'il y a trop de difficultés. Nous pouvons avoir envie de quitter la communauté spirituelle. À de tels moments, les membres de la communauté spirituelle s'apportent mutuellement soutien, encouragement, inspiration. La chose la plus importante qu'ils puissent faire est peut-être celle-ci : se soutenir mutuellement quand ils sont dans cette situation difficile et troublante, quand ils deviennent assez déprimés même, comme cela leur arrive parfois, au moins jusqu'à ce qu'ils se soient fermement établis sur la voie. Quand vous traversez ce genre de crise, il est d'un grand réconfort d'avoir autour de vous des membres de la communauté spirituelle qui souhaitent sincèrement que vous alliez bien et qui désirent votre bien-être spirituel.
Finalement, que font les membres de la communauté spirituelle pour le monde ? Tout d'abord, je voudrais clarifier une chose. Les membres de la communauté spirituelle ne sont pas obligés de faire quoi que se soit pour le monde. Le mot clef, ici, est « obligés ». Quoi qu'ils fassent, ils le font très librement, car ils ont choisi de le faire. Ils le font même comme faisant partie de leur propre développement spirituel. Pour dire cela de façon légèrement différente, la communauté spirituelle n'a pas à justifier son existence au monde. Elle n'a pas à montrer qu'elle apporte des améliorations sociales ou économiques, ou qu'elle apporte son aide au gouvernement. Elle n'a pas à montrer que le monde en bénéficie dans un sens mondain.
En général, les membres de la communauté spirituelle font deux choses pour le monde. Tout d'abord, ils assurent l'existence de la communauté spirituelle elle-même. On pourrait dire que c'est une bonne chose pour le monde qu'une chose telle que la communauté spirituelle puisse simplement être là, qu'il y ait des gens qui se consacrent à la vie spirituelle, qui essaient de développer des états mentaux favorables. Cela est bien car cela aide à créer une atmosphère plus saine.
Deuxièmement, les membres de la communauté spirituelle aident le monde en construisant un pont entre le monde et la communauté spirituelle, ou au moins en aidant à franchir le gué. Un ou plusieurs d'entre eux s'installent quelque part, et y conduisent diverses activités qui mènent au développement d'états mentaux favorables et qui aident les gens à évoluer. Ils conduisent des activités telles que des cours de méditation, des retraites, des conférences, des classes de yoga. Ils donnent à ceux qui viennent l'occasion d'une véritable communication, de véritables échanges.
‘A Guide to the Buddhist Path’ © Sangharakshita, Windhorse Publications 1990,
traduction © Ujumani 2003.