J'espère que nous pouvons maintenant commencer à voir tout le système de méditation, au moins dans ses grandes lignes. Il y a quatre grandes étapes, que je vais brièvement récapituler. La première grande étape est l'étape d'unification. C'est la première chose que vous devez faire en liaison avec la méditation. L'unification est essentiellement atteinte par la pratique de l'attention sur le souffle, ainsi que par la pratique de l'attention et de la prise de conscience en général. Ici, dans cette étape, nous développons un soi unifié.
La deuxième grande étape est l'étape de positivité émotionnelle. Ceci est essentiellement atteint par le développement de la metta, de la karuna, de la mudita, etc. Ici, le soi unifié est élevé à un niveau plus haut, plus raffiné et en même temps plus puissant, symbolisé par la belle fleur ouverte du lotus blanc.
Puis vient la troisième grande étape de mort spirituelle, atteinte essentiellement par la remémoration des six éléments, mais aussi par la remémoration de l'impermanence, la remémoration de la mort, et les méditations de shunyata. Ici, on voit au travers du soi affiné, et on fait l'expérience du Vide, de la shunyata, de la mort spirituelle.
Et puis, quatrièmement, il y a la grande étape de la renaissance spirituelle. Ceci est atteint par la pratique de la visualisation et de la récitation du mantra. La visualisation abstraite (c'est-à-dire la visualisation de formes géométriques et de lettres) aide aussi. Voilà, dans ses grandes lignes, le système de méditation.
Mais vous vous demandez peut-être : Où se situe l'ordination ? Où se situe l'apparition du bodhicitta ? Qu'en est-il de la pratique du juste assis ? Je vais brièvement traiter chacune de ces questions.
Tout d'abord, où se situe l'ordination ? Ordination veut dire Aller en refuge. Aller en refuge veut dire s'engager. L'engagement est possible à différents niveaux. D'un point de vue théorique, on pourrait être ordonné sans jamais avoir pratiqué la méditation ; en pratique, cependant, je dirais que cela a fort peu de chances de se produire - pour autant que je sache, cela ne s'est encore jamais produit. On ne peut pas s'engager - ce qui est ce que signifie l'ordination - sans être raisonnablement unifié. Sans cela vous vous engagez aujourd'hui dans cette direction, et demain vous retirez votre engagement, car la totalité de votre être n'a pas été impliquée. Vous ne pouvez pas non plus vous engager sans que vous ayez une certaine quantité de positivité émotionnelle, sans quoi vous n'avez rien pour vous faire avancer. Pour s'engager, il devrait aussi y avoir une petite lueur de Vision parfaite, ou au moins le reflet d'une petite lueur de Vision parfaite. Cette petite lueur - ou ce reflet d'une petite lueur - ne suffit pas vraiment pour faire de vous une personne qui Entre dans le Courant, mais quelque chose de cette nature est cependant nécessaire. L'ordination semblerait donc se situer quelque part entre la deuxième et la troisième des étapes principales de méditation. On pourrait dire qu'elle vient quand on a juste commencé à entrer dans la troisième étape, l'étape de mort spirituelle, ou quand on est au moins ouvert à la possibilité de faire l'expérience de cette mort spirituelle. Ceci, bien sûr, est selon le Chemin des pas réguliers ; nous savons qu'il y a aussi un Chemin des pas irréguliers.
Deuxièmement, où se situe l'apparition du bodhicitta ? Bodhicitta veut dire « Volonté d'Éveil ». Ce n'est pas une volonté égoïste ; c'est plus de la nature d'une aspiration supra-individuelle. Le bodhicitta n'apparaît que quand l'individualité (dans le sens ordinaire) a dans une certaine mesure été transpercée. Le bodhicitta est l'aspiration à atteindre l'Éveil pour le bénéfice de tous - c'est ainsi qu'il est communément décrit. Non pas qu'il y ait une « personne autonome » cherchant à atteindre l'Éveil pour le bien de « vrais autres ». Le bodhicitta apparaît au-delà du soi et au-delà des autres - quoique non sans soi et sans autres. Il apparaît quand le soi mondain est transpercé, mais avant que le soi transcendantal ait réellement émergé. Il apparaît quand on ne recherche plus l'Éveil pour (ce qu'on appelle) le soi, mais que l'on ne s'est pas encore complètement dédié à atteindre l'Éveil pour (ceux qu'on appelle) les autres. Le bodhicitta apparaît donc entre la troisième et la quatrième étape, entre l'étape de mort spirituelle et l'étape de renaissance spirituelle. Le bodhicitta est la graine de la renaissance spirituelle. Il y a une anticipation de ceci, lors de l'ordination privée, lorsque l'on reçoit le mantra. A cette occasion, le mantra est la graine de la graine du bodhicitta. Après tout, lorsque l'on est ordonné on est allé de l'avant ; notre ordination est notre départ en avant ; on a quitté le groupe, au moins psychologiquement si ce n'est physiquement ; on est mort pour le groupe : on aspire à l'Éveil. Et, sûrement, on n'y aspire pas seulement pour son propre bien, mais, de façon ultime, pour le bien de tous. Il n'est donc pas surprenant qu'à ce moment-là quelque léger reflet du bodhicitta apparaisse, au moins dans certains cas.
Troisièmement, qu'en est-il de la pratique du juste assis ? Il est difficile d'en dire beaucoup plus que « quand on est juste assis, on est juste assis ». Mais au moins on peut dire qu'il y a des moments où l'on est juste assis et des moments aussi où l'on n'est pas juste assis. On n'est pas juste assis quand on pratique d'autres méditations. On n'est pas juste assis quand on pratique l'attention sur le souffle, le metta bhavana, la remémoration des six éléments, etc. Dans toutes ces autres méditations, un effort conscient est requis. Mais on doit faire attention à ce que cet effort conscient ne soit pas trop voulu, voire trop volontaire, et pour contrer cette tendance on peut pratiquer le juste assis. En d'autres termes, nous pratiquons le juste assis entre les autres méthodes. Il y a une période d'activité (pendant laquelle nous pratiquons, par exemple, l'attention sur le souffle ou le metta bhavana), puis une période de ce que l'on pourrait qualifier de passivité, une période de réceptivité. De cette façon, nous continuons : activité - réceptivité - activité - récepivité - et ainsi de suite ; attention sur le souffle - juste assis - metta bhavana - juste assis - remémoration des six éléments - juste assis - visualisation - juste assis. Nous pouvons continuer ainsi sans cesse, ayant un rythme et un équilibre parfaits dans notre méditation : nous prenons et nous lâchons prise, nous saisissons et nous relâchons, il y a action et non-action. Ainsi, nous atteignons une pratique de méditation parfaitement équilibrée, et tout le système de méditation devient complet.
'A Guide to the Buddhist path' © Sangharakshita, Windhorse Publications 1990, traduction © Christian Richard 2004.