Le symbolisme des cinq éléments a été incorporé dans la structure du stûpa durant la phase Vajrayana (tantrique) de développement du bouddhisme en Inde.
Les cinq éléments sont la terre, l'eau, le feu, l'air et l'espace. Les quatre premiers sont les éléments « matériels », qui ensemble forment l'univers « matériel ». Dans la pensée de toutes les écoles du bouddhisme, ces quatre éléments sont collectivement connus sous le nom de rupa (rupa, à son tour, est le premier des « Cinq Skandhas », les « Cinq Agrégats » en lesquels la totalité de l'existence phénoménale conditionnée est divisée).
Les premiers traducteurs de textes bouddhiques en langues occidentales traduisaient rupa par « matière », matière en tant qu'opposée à esprit ; mais ceci est en fait tout à fait erroné (dans le bouddhisme, et surtout dans le Tantra, il n'y a pas de dualisme esprit / matière). Littéralement, rupa signifie « forme ». Cela représente ce que les philosophes occidentaux appellent le contenu objectif de la situation perceptuelle. Nous allons voir ce que cela veut dire. Nous faisons une expérience ; une perception a lieu. Par exemple, nous voyons une fleur ou entendons une mélodie. C'est une situation perceptuelle. Nous pouvons y distinguer deux éléments. Premièrement, il y a ce que nous y contribuons. Il y a, par exemple, une sensation de couleur, rouge ou blanc. Nous y contribuons. Ou bien, il y a une sensation de douceur ou de dureté du son - nous y contribuons. Il y a une sensation de plaisir - nous y contribuons aussi. Deuxièmement, il y a dans la situation perceptuelle une chose à laquelle nous-mêmes ne contribuons pas : il y a quelque chose dont il semble que nous faisons l'expérience, quelque chose auquel la situation perceptuelle semble se référer, ou que la situation perceptuelle semble désigner. Cette chose, pour l'instant encore inconnue et non identifiée, est ce que, techniquement, nous appelons le contenu objectif de cette situation perceptuelle. C'est ce contenu objectif que le bouddhisme nomme rupa.
Rupa, en tant que contenu objectif de la situation perceptuelle, n'est pas seulement perçu, mais il est perçu comme possédant certaines qualités. Il y a quatre qualités principales, techniquement connues sous le nom de mahabhutas. Rupa est perçu comme quelque chose de solide et de résistant, comme quelque chose de fluide et cohésif, comme ayant une certaine température, et comme léger et mobile. Ces quatre qualités de rupa sont symbolisées dans la pensée, la tradition et l'art bouddhiques par les quatre éléments matériels : la terre, l'eau, le feu et l'air. Ces éléments ne sont pas des « choses » (la terre n'est pas une motte de terre, et l'eau n'est pas l'eau du robinet), mais des symboles de ces qualités principales de rupa. En d'autres termes, tout ce qui est solide et résistant dans une situation perceptuelle donnée est symbolisé par la terre ; tout ce qui dans cette situation est fluide et cohésif est symbolisé par l'eau, tout ce qui dans cette situation a une température est symbolisé par le feu, et tout ce qui possède légèreté et mobilité est symbolisé par l'air.
Mahabhutas veut littéralement dire « grands éléments » ou « éléments primaires ». Ils sont appelés ainsi car tous les autres éléments secondaires de rupa dérivent de ces quatre éléments primaires. Mais ceci n'est que la signification la plus évidente du mot ; il a d'autres significations intéressantes. Mahabhuta signifie aussi grande transformation magique, telle que celle qu'accomplit un magicien lorsqu'il vous fait voir une chose comme autre. Cela veut aussi dire grand fantôme, dans le sens d'un esprit hantant et horrible. Un magicien, qui transforme de l'argile en or, vous fait percevoir l'argile en tant qu'or. De la même manière, nous percevons rupa, le contenu objectif de la situation perceptuelle, comme terre (comme solidité), comme eau, comme feu, comme air. Mais ce que rupa est en soi - si tant est que ce soit quelque chose -, nous ne le savons pas et nous n'en faisons pas l'expérience. Nous pourrions dire que nous n'expérimentons pas l'argile - nous ne savons même pas s'il y a là de l'argile ; nous n'expérimentons que l'or.
De façon similaire, nous dit-on, le grand fantôme, qui est ici une yakshini, un terrible esprit femelle, apparaît par une nuit noire sous la forme d'une très belle jeune fille. Vous ne savez pas que c'est un terrible esprit femelle qui pourrait vous avaler le matin suivant ; vous pensez que c'est une belle jeune fille. Vous ne faites l'expérience que de la belle jeune fille, vous ne faites pas l'expérience de la réalité du fantôme qui est derrière. C'est donc la même chose dans ce cas : ce que rupa est en soi, nous ne le savons pas et nous n'en faisons pas l'expérience ; à travers nos cinq sens nous ne faisons l'expérience que de ces quatre grands éléments, de ces quatre grandes qualités.
L'espace, qui dans ce contexte est le cinquième élément, est ce qui contient les quatre autres. En un sens, l'espace est ce qui rend la terre, l'eau, le feu et l'air possibles : c'est la possibilité de leur existence. Nous pourrions aussi dire que l'espace est ce qui soutient, ce qui rend possible l'existence de tout l'univers matériel. En un sens, donc, dans la pensée bouddhique, l'espace est considéré comme étant d'une certaine manière plus réel, plus ultime que les quatre éléments matériels.
Chacun de ces cinq éléments est associé à une couleur particulière et à une forme géométrique particulière. La terre est associée au jaune et au cube, l'eau au blanc et à la sphère (ou parfois l'hémisphère), le feu au rouge et au cône ou à la forme pyramidale, l'air au vert pâle et à une sorte d'hémisphère (la partie plate vers le haut) ou parfois à une forme de bol, et l'espace au bleu et à la goutte enflammée.
Après cette étude préliminaire, nous pouvons commencer à voir comment le Tantra a incorporé le symbolisme des cinq éléments dans la structure du stûpa. Ce qu'a fait le Tantra est très simple et plutôt drastique. Il a placé les formes géométriques - le cube, la sphère, le cône, la demi-sphère inversée et la goutte enflammée - l'une au-dessus de l'autre, et puis en est venu à considérer le stûpa dans sa totalité comme étant essentiellement fait de ces formes géométriques, comme étant construit à partir d'elles. En d'autres termes, le Tantra en est venu à considérer le stûpa comme un symbole architectural de tout l'univers matériel tel qu'il existe dans l'espace.
Ayant fait cela, le Tantra est allé plus loin. Il a donné au symbolisme des cinq éléments, et au symbolisme du stûpa lui-même, une signification encore plus profondément tantrique. L'ordre dans lequel le Tantra a placé les formes géométriques l'une sur l'autre n'est pas arbitraire. Les symboles sont placés dans l'ordre croissant de subtilité des éléments qu'ils représentent, le plus grossier en bas et le plus subtil en haut. L'eau est plus raffinée et plus subtile que la terre, le feu est plus raffiné et plus subtil que l'eau, l'air est plus raffiné et plus subtil que le feu et, tout en haut, l'espace est le plus raffiné et le plus subtil de tous les éléments. Cela suggéra aux sages tantriques que ce qui était vrai du monde matériel était aussi vrai du monde de l'esprit. Dans le monde matériel certains éléments sont plus grossiers, tandis que d'autres sont plus raffinés, plus subtils. C'est exactement la même chose dans le monde mental. L'esprit aussi a ses niveaux - des niveaux plus bas, plus grossiers, et des niveaux plus élevés, plus raffinés, plus subtils. En transposant ce symbolisme - en transposant le stûpa lui-même - du monde matériel au monde mental et spirituel, ces niveaux mentaux et spirituels peuvent aussi être symbolisés par les cinq éléments. De cette manière, pour le Tantra, le stûpa devint un symbole non seulement du monde matériel, mais aussi du monde de l'esprit, du monde des niveaux de conscience successifs, ou plutôt des stades successivement plus élevés de la transformation de l'énergie psychospirituelle.
'Guide to the Buddhist path' © Sangharakshita, Windhorse Publications 1990, traduction © Christian Richard 2004.