La façon dont la Communauté Triratna, un nouveau mouvement bouddhiste pour l'Occident, en est venue à s'établir chez des gens qui sont parmi les plus pauvres de l'Inde, est peut-être le chapitre le plus inattendu de son histoire. Expliquer comment des gens si éloignés socialement, culturellement et économiquement ont pu finir par pratiquer dans la même communauté spirituelle nécessite de commencer par présenter un peu de l'histoire indienne récente.
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Le bouddhisme a commencé en Inde ; le Bouddha était indien, mais au fil des ans, du fait des invasions musulmanes aux XIIème et XIIIème siècles et de l'absorption du bouddhisme dans l'hindouisme, l'enseignement du Bouddha a été de moins en moins présent dans son pays d'origine. Le mouvement de conversion des intouchables débuté en 1956 est un des importants facteurs ayant commencé à renverser cette tendance.
Ce mouvement naquit du travail de Dr Bhimrao Ramji Ambedkar, surnommé Babasaheb Ambedkar, lui-même un intouchable. Né en Inde en 1891, fils d'un soldat dans un des régiments d'intouchables de l'armée britannique, Ambedkar eut accès à une éducation rarement accessible aux intouchables. Il fut le premier intouchable à être reçu à l'examen de matriculation et reçut d'un prince indien d'esprit libéral une bourse pour continuer ses études. Il étudia la politique et l'économie en Inde et puis aux États-Unis et en Angleterre, où il devint avocat.
Il fit tout cela avec pour but l'élévation de son peuple, et à partir de son retour en Inde en 1923 il créa des journaux, ouvrit des écoles et des collèges, entra en politique, se battit devant les tribunaux et écrivit des livres et des articles. Pourtant, bien qu'il soit devenu un des hommes les plus éduqués et les plus brillants d'Inde, les hindous de caste le traitèrent toujours comme un intouchable.
En 1947, Nehru le nomma Ministre de la Justice au sein du premier gouvernement de l'Inde indépendante et le chargea de diriger la commission de rédaction de la nouvelle constitution du pays. Il essaya ainsi d'utiliser la politique et la loi pour changer la position des intouchables dans la société indienne, mais au fil du temps il reconnut que ce n'était pas possible, que le système des castes était trop profondément ancré dans l'esprit indien, et que les hindous de caste n'accepteraient jamais les intouchables en tant qu'êtres humains leur étant égaux.
En 1935, Ambedkar déclara qu'il était né hindou mais qu'il ne mourrait pas hindou, et en 1951, quatre ans après l'indépendance de l'Inde, il démissionna du gouvernement. Il avait essayé de réformer la loi hindoue, mais il y avait tellement d'opposition, même parmi ses collègues du gouvernement, qu'il était impossible de continuer ce travail. Il réalisa qu'il fallait chercher une autre solution : il fallait carrément faire sortir les intouchables de la religion qui les rendait intouchables. Ayant découvert le bouddhisme à l'âge de 16 ans, et l'ayant, plus tard dans sa vie, étudié avec les autres grandes religions du monde, il devint convaincu que le meilleur avenir pour lui et pour son peuple se trouvait dans la conversion au bouddhisme. En 1954 il annonça qu'il allait consacrer le reste de sa vie à la promulgation du bouddhisme en Inde. C'était à ce moment là qu'il entra en contact avec Sangharakshita, qui vivait à l'époque à Kalimpong ,au nord de l'Inde.
La conversion d'Ambedkar et de 380.000 autres intouchables à Nagpur le 14 octobre 1956 déclencha d'autres conversions en masse partout en Inde, et de cette façon des milliers d'intouchables se libérèrent de l'oppression du système des castes hindou. Malheureusement, six semaines après sa conversion, Ambedkar mourut, laissant des milliers de nouveaux bouddhistes sans dirigeant et sans guide pour ce nouveau chemin qu'ils ne connaissaient guère. Il se trouva qu'au moment du décès de ce grand homme Sangharakshita était à Nagpur et il alla de village en village, leur prêtant soutien et encouragement, leur enseignant le Dharma, et leur expliquant ce que voulait dire être bouddhiste. De cette façon il se fit beaucoup d'amis et de connaissances dans la communauté de nouveaux bouddhistes, et il continua à leur rendre visite de temps en temps pour les aider dans leur nouvelle démarche.