C'est ainsi qu'avec des représentants de plusieurs traditions bouddhiques différentes, j'allais, un beau matin de la deuxième semaine de novembre 1956, à la modeste résidence du Dr Ambedkar, rue Alipore. Comme il n'y avait de pièce suffisamment grande pour nous recevoir tous, des chaises furent installées dans l'enclos, et là, en demi-cercle, nous nous assîmes sous le chaud soleil, face à notre hôte. Le leader des hors-castes - qui était maintenant un leader bouddhiste - s'assit à une petite table, sa femme près de lui.
Je vis tout de suite qu'il était loin de bien se porter, et que sous le casque colonial le visage piriforme brun était fatigué et hagard. Il était si fatigué et hagard, et ses yeux noirs si pleins de souffrance, que je m'excusai de le déranger, disant que nous étions simplement venus pour le saluer et pour le féliciter pour sa conversion au bouddhisme.
Mon intention était que nous ne restions pas plus d'un quart d'heure, mais finalement nous restâmes deux heures. Ambedkar n'avait pas envie de nous laisser partir. Ou plutôt, il n'avait pas envie de me laisser partir, car durant toute la rencontre c'est à moi seul qu'il s'adressa, à l'exclusion de Dhardo Rimpoché, de Sonam Topgay, et du reste des éminents bouddhistes. C'était un homme très inquiet. Le mouvement de conversion de masse avait été bien inauguré, mais qu'allait-il en être du futur ? Il y avait toujours tant à faire…
À voir la façon dont il parlait, assis là les bras reposant sur la table et la tête baissée, il était clair que le poids de ses responsabilités était devenu presque trop grand pour lui, et qu'il voulait en transférer une partie sur des épaules plus jeunes. En fait, j'avais la claire impression que les épaules sur lesquelles il voulait en transférer une partie étaient les miennes. Ceci étant, la rencontre le fatigua de façon évidente. Les phrases entrecoupées de silence sortaient de ses lèvres avec une difficulté de plus en plus grande, et s'espaçaient de plus en plus.
Finalement, alors que sa tête reposait presque sur ses bras étendus, ses yeux se fermèrent de la fatigue la plus grande. Alors, au soulagement évident de sa femme, nous partîmes tous.
‘In the sign of the Golden Wheel’ © Sangharakshita, Windhorse Publications 1996, traduction © Christian Richard 2007.