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Le deuxième lakshana est l'anitya (en pâli : anicca). Anitya signifie « impermanent » (nitya est « permanent », « éternel », et a- est le préfixe négatif ; anitya est donc « impermanent », « non éternel »). Cette caractéristique ne va pas nous occuper aussi longtemps que la duhkha, car elle est par comparaison plus facile à comprendre, du moins intellectuellement. Elle affirme que toutes les choses conditionnées, toutes les choses composées, sont constamment en train de changer (les choses conditionnées, par leur définition même en sanskrit et en pâli, sont composées, c'est-à-dire faites de parties). Ce qui est composé peut aussi être dé-composé : les parties peuvent être séparées. Ceci aussi, bien sûr, se produit tout le temps. Il est peut-être plus facile de comprendre cette vérité de nos jours qu'il ne l'était autrefois. La science nous apprend qu'il n'existe rien de tel que la matière solide et dure, parsemée par morceaux dans tout l'espace. Nous savons que ce que nous considérons comme étant de la matière n'est en réalité que de l'énergie, sous diverses formes.
La même vérité de l'impermanence s'applique à l'esprit. Dans la vie mentale, il n'y a rien qui ne change pas ; il n'y a pas d'âme permanente et immortelle et non changeante : il n'y a qu'une succession constante d'états mentaux. L'esprit change encore plus vite que le corps physique. Habituellement, nous ne pouvons pas voir le corps changer, mais si nous sommes un peu observateurs nous pouvons voir notre propre esprit changer. C'est pour cela que le Bouddha a dit qu'il était plus répréhensible de s'identifier avec l'esprit qu'avec le corps : penser que « je suis l'esprit » est plus répréhensible que penser que « je suis le corps », car le corps a au moins un certain degré de stabilité, alors que l'esprit n'a absolument aucune stabilité.
D'un point de vue plus large, la caractéristique d'anitya nous montre que tout l'univers, du plus grand au plus petit, dans toute son immensité, dans toute sa grandeur, n'est qu'une vaste rencontre de processus de différentes sortes, prenant place à différents niveaux, et tous reliés les uns aux autres ; rien ne reste immobile, pas même un instant. C'est une chose facile à oublier. Nous pensons que le ciel et les montagnes sont toujours là (les « collines éternelles ») ; nous pensons que notre corps est relativement permanent. Ce n'est que quand des changements infinitésimaux s'additionnent pour former un grand changement, ou peut-être une catastrophe, ou quand quelque chose se brise ou s'arrête, ou quand nous mourons, que nous réalisons la vérité de l'impermanence.
Le troisième et dernier lakshana est l'anatman (en pâli : anatta ; littéralement, le « non-soi »). Ceci nous enseigne que toutes les choses conditionnées sont dépourvues de soi permanent et non changeant. Je me souviens que mon propre maître, le moine bouddhiste indien Jagdish Kashyap, disait qu'il n'est pas possible de comprendre ce que le Bouddha voulait dire par l'anatman sans tout d'abord comprendre la conception contemporaine de l'atman, c'est-à-dire ce que l'hindouisme entendait par atman du temps du Bouddha. De nombreuses conceptions de l'atman sont mentionnées dans les Upanishads. Quelques Upanishads disent que l'atman est le corps physique, d'autres disent que l'atman n'est pas plus gros qu'un pouce, est matériel, et habite dans le cœur. Il y a beaucoup de vues différentes, mais la plus commune du temps du Bouddha, celle à laquelle il semble s'être le plus intéressé, était que l'atman, le soi, est immatériel, conscient, non changeant, individuel (comme je suis moi et tu es toi), souverain (dans le sens d'exerçant un contrôle complet de sa propre destinée), et heureux.
Le Bouddha maintenait qu'une telle entité n'existait pas. Il faisait appel à l'expérience. Si nous regardons en nous, si nous regardons notre propre vie mentale, nous voyons qu'il n'y a que les cinq agrégats (forme, sensations, perceptions, volitions et actes de conscience), qui tous sont constamment en changement : il n'y a rien de permanent. Nous voyons que les cinq agrégats apparaissent tous en dépendance de conditions : il n'y a rien de souverain. Nous voyons que d'une façon ou d'une autre ils sont tous pleins de souffrance : il n'y a rien d'« ultimement » heureux. Il n'y a donc pas de soi, l'atman. Les cinq agrégats sont anatman ; les cinq agrégats ne constituent nullement un soi tel que celui que les hindous du temps du Bouddha avaient en tête ; l'atman n'existe ni dans les cinq agrégats, ni en dehors d'eux, ni associé à eux de quelque autre manière.
Toutes les choses conditionnées, sans exception, sont souffrance (duhkha), impermanentes (anitya) et dépourvues de soi (anatman). Voilà les trois caractéristiques de l'existence conditionnée. Elles sont d'importance centrale, non seulement dans la philosophie bouddhique, mais dans la vie spirituelle bouddhique. Selon le Bouddha, nous ne voyons pas vraiment l'existence conditionnée tant que nous n'avons pas appris à la voir en ces termes. Si nous voyons n'importe quoi d'autre, ce n'est qu'une illusion, qu'une projection. Une fois que nous avons commencé à voir le conditionné en ces termes, alors, petit à petit, nous avons un aperçu de l'inconditionné, et cet aperçu nous guide sur notre chemin.
'Guide to the Buddhist path' © Sangharakshita, Windhorse Publications 1990, traduction © Christian Richard 2009.