< (3/3)
La Communauté bouddhiste Triratna est certainement un mouvement spirituel bouddhiste. Mais elle ne confond le bouddhisme avec aucune de ses formes culturelles orientales. De la même manière, la Communauté bouddhiste Triratna ne s'identifie exclusivement avec aucune secte ou école particulière du bouddhisme, ni avec le Hinayana, ni avec le Mahayana, ni avec le Vajrayana, ni avec le Théravada, ni avec le Zen, le Shin ou les Nyingmapas. Elle est simplement bouddhiste. En même temps, elle ne rejette aucune des sectes ou écoles qui se sont formées au cours de la longue histoire du bouddhisme. Elle les apprécie toutes et cherche à apprendre de toutes, puisant en elles tout ce qui contribue au développement spirituel de la personne, en Occident. En ce qui concerne la pratique de la méditation par exemple, nous enseignons l'attention sur le souffle et le metta bhavana, le développement de la bienveillance universelle, qui sont des pratiques venant de la tradition Théravada. Nous récitons la puja en sept parties, qui vient de la tradition Mahayana indienne. Nous chantons des mantras qui viennent de la tradition tibétaine. Et bien sûr l'accent que nous mettons sur le travail dans la vie spirituelle est aussi un accent caractéristique du Zen. Naturellement, nous avons aussi certains traits qui nous sont propres et que l'on ne peut trouver dans aucune autre forme du bouddhisme en existence : par exemple, l'accent que nous mettons sur les moyens d'existence justes, ou bien l'importance de l'aller en Refuge ou encore l'adage « toujours plus de moins ».
Bien que nous empruntions ce dont nous avons besoin à toutes ces sources, notre attitude n'est pas l'éclectisme. L'éclectisme est une attitude purement intellectuelle. Nous prenons peut-être différents éléments, provenant de différentes formes du bouddhisme, mais nous les prenons en fonction de nos besoins spirituels réels et non en fonction d'idées intellectuelles préconçues. Nous prenons tout ce qui peut nous aider à croître dans le contexte de la vie en Occident.
Nous adoptons une attitude très semblable vis-à-vis des écritures bouddhiques. Il y en a une quantité énorme, comme vous vous en êtes déjà rendu compte, et il serait impossible de les étudier toutes. En fait, nous ne sommes pas censés le faire ; elles représentent les mêmes enseignements fondamentaux à divers degrés d'expansion ou de contraction. Au lieu de cela nous lisons et étudions de manière intensive ce que nous trouvons le plus utile à notre vie spirituelle. Les textes que nous étudions sont donc tirés de toutes les sources : du pâli, du sanskrit, du chinois et du tibétain. Nous étudions notamment l'Udana tiré du Tipitaka pâli, le Bodhicaryavatara (la Marche vers l'Éveil)un texte du mahayana indien en sanskrit compilé en Inde, Dhyana pour débutants qui est basé sur une série de conférences d'un maître chinois, le Précieux ornement de la libération, œuvre d'un maître tibétain et les Chants de Milarépa, les enseignements de l'un des plus grands yogis tantriques de la tradition bouddhique.
Nous devrions maintenant pouvoir apprécier la nature du rapport entre les bouddhistes occidentaux - ou au moins entre les bouddhistes occidentaux de la Communauté Triratna - et les différents bouddhismes orientaux. Mais il se peut qu'une autre question émerge à présent. Si, comme nous avons vu, la Communauté Triratna ne suit aucun bouddhisme oriental en tant que tel, cherche-t-elle donc à créer un bouddhisme distinctivement occidental ? Essaie-t-elle d'exprimer le bouddhisme dans les termes de la culture occidentale ?
La réponse est à la fois oui et non, et dépend fortement de ce que l'on entend par culture occidentale. Comme nous l'avons déjà vu, la Communauté bouddhiste Triratna n'est pas « contre » la culture occidentale en tant que telle. Il y a certaines affinités entre les œuvres de grands poètes, philosophes, musiciens occidentaux et certains aspects du bouddhisme. Mais cela n'est pas vrai de la culture occidentale dans sa totalité, qui comprend nos systèmes économiques et sociaux. La culture occidentale, prise tout entière et telle qu'elle est, est tout à fait incompatible avec le bouddhisme, et il n'est pas question d'exprimer le bouddhisme dans les termes de cette culture-là. Il est plutôt question de trouver une expression pour le bouddhisme occidental dans le cadre d'une nouvelle culture occidentale, culture qui, à sa propre manière, à son propre niveau, aiderait les gens à se développer au moins psychologiquement sinon spirituellement. En créant cette nouvelle culture nous garderions bien sûr les meilleurs éléments de la culture occidentale traditionnelle, mais une grande partie devrait disparaître.
En ce qui concerne la Communauté bouddhiste Triratna, il n'est pas question pour nous de chercher simplement à nous faire une petite place dans le monde occidental contemporain, sans essayer de changer ce monde. Il ne s'agit pas seulement d'étudier le bouddhisme et puis de faire la même chose que tout le monde fait au quotidien, et de vivre comme tout le monde vit. Ceci est un des points qui fait de la Communauté bouddhiste Triratna un nouveau mouvement bouddhiste : elle ne se satisfait pas seulement d'occuper une petite niche.
La Communauté bouddhiste Triratna a été fondée en 1967. À cette époque il y avait deux sortes différentes de groupes bouddhistes en Angleterre. En premier lieu, il y avait des groupes dirigés par des bouddhistes orientaux, cingalais, tibétains, thaïs, etc., qui y étaient venus à cette fin. Ils propageaient tous le bouddhisme sous une forme ou dans un cadre culturel oriental particulier ; parfois, malheureusement, ils propageaient une culture orientale plutôt que le bouddhisme.
En deuxième lieu, il y avait des groupes dirigés par des bouddhistes anglais. Ces derniers avaient tendance à simplement étudier le bouddhisme : à lire des livres, à assister à des conférences et, dans certains cas peut-être, à pratiquer un petit peu la méditation.
Je me rappelle par exemple que l'on m'a dit, lors de mon retour à Londres en 1964, que les bouddhistes anglais n'étaient pas capables de pratiquer la méditation pendant plus de cinq minutes à la fois et que je ne devais sous aucun prétexte essayer de leur en faire faire plus. C'était la norme à cette époque. Les gens avaient tendance à seulement étudier le bouddhisme, à lire des quantités de livres à propos du bouddhisme, à assister à des quantités de conférences relatives au bouddhisme et, dans certains cas, à faire un tout petit peu de méditation. Mais dans leur vie de tous les jours, ils vivaient comme tout le monde, avec les mêmes idées et idéaux sociaux, économiques et politiques que les non-bouddhistes (de la même classe sociale). Le fait d'être bouddhistes ne changeait rien dans aucun de ces domaines ; ils pratiquaient même rarement les moyens d'existence justes et ne pensaient même pas à les pratiquer. De plus, bien qu'étudiant le bouddhisme, ils l'étudiaient rarement d'un point de vue bouddhique. Dans beaucoup de cas, ils ne se considéraient même pas bouddhistes. Ils étudiaient le bouddhisme, aussi étrange que cela puisse paraître, d'un point de vue chrétien, ou tout au moins avec un conditionnement chrétien inconscient.
Très récemment, un groupe d'étudiants suivant des cours universitaires par correspondance, accompagnés de leur directeur d'études, rendirent visite à notre centre bouddhiste de Londres. Au cours de cette visite il apparut que les étudiants comme leur directeur d'études, qui était un pasteur méthodiste, avaient des idées très étranges à propos du bouddhisme. D'après le manuel qu'ils utilisaient pour leurs cours sur le bouddhisme - écrit par un prêtre jésuite belge - le Théravada était nihiliste, le Mahayana était corrompu et dégénéré, et le Vajrayana n'était qu'absurdités magiques. Pas étonnant qu'ils aient été déconcertés !
C'est le genre de choses qui est encore courant dans les milieux académiques. Mais, quand je revins en Angleterre en 1964, puis en 1967, les choses allaient presque aussi mal dans les milieux ostensiblement bouddhistes. Par exemple, les bouddhistes anglais qui étudiaient les écritures en pâli disaient non seulement que les écritures en pâli étaient la parole du Bouddha, mais encore que ces écritures seules étaient la parole du Bouddha et que les autres écritures bouddhiques n'étaient pas du tout la parole du Bouddha. Naturellement, il n'était permis de remettre en question aucune partie des écritures en pâli. Après tout, le Bouddha était Éveillé et le Bouddha avait prononcé chaque mot de ces écritures. Ces bouddhistes anglais étaient en fait des fondamentalistes du pâli ! Ils adoptaient envers les écritures en pâli le même genre d'attitude que les fondamentalistes chrétiens, particulièrement protestants, adoptent envers la Bible. C'était comme s'ils avaient transféré leurs attitudes chrétiennes du christianisme au bouddhisme, sans y apporter aucun réel changement.
La Communauté bouddhiste Triratna, je l'espère, adopte une attitude différente. Elle essaie de voir le bouddhisme d'un point de vue bouddhique. Et elle cherche à créer une nouvelle civilisation occidentale et une nouvelle culture occidentale, une culture qui exprimera des valeurs spirituelles bouddhiques, qui aidera la personne à se développer au lieu de l'en empêcher, une culture qui fournira le fondement d'une communauté spirituelle et d'une nouvelle société.
Nous avons donc vu que le bouddhisme, d'après le Bouddha, est tout ce qui aide la personne à croître. Nous avons aussi vu que le bouddhisme ne se limite pas exclusivement à tout ce qui est étiqueté « bouddhisme ». En même temps, nous avons vu que le bouddhisme n'est pas seulement un vague principe de croissance mais qu'il s'incarne dans des principes et des pratiques spirituelles spécifiques. Nous avons vu aussi que la Communauté bouddhiste Triratna fait une distinction claire et nette entre bouddhisme et cultures bouddhiques orientales, et qu'elle ne se limite à aucune école particulière du bouddhisme mais les apprécie toutes et cherche à apprendre - à tirer de l'inspiration - de toutes les formes du bouddhisme, sans exception. Nous avons aussi vu qu'elle cherche à créer une nouvelle culture occidentale basée sur d'authentiques valeurs bouddhiques, et qu'elle cherche à voir le bouddhisme du point de vue du bouddhisme, c'est-à-dire du point de vue de la personne évoluant dans la direction de ce que l'on ne peut qu'appeler l'Éveil.
'Western Buddhists and Eastern Buddhism' © Sangharakshita, Windhorse Publications 1992, traduction © Ujumani 2003.