Le champ gravitationnel de ce que nous appelons « conditionné » porte dans la terminologie bouddhique le nom de samsara. C'est le champ gravitationnel du conditionné. Et ce samsara est décrit dans une œuvre d'art très connue du bouddhisme oriental : la roue de la vie tibétaine. Si vous visualisez cette roue, vos verrez qu'elle consiste en quatre cercles concentriques :
Le premier cercle, qui est le centre, contient dans ses représentations dessinées trois animaux : un coq, un serpent et un cochon. Ils représentent l'envie, l'aversion et l'ignorance ou, pourrions-nous dire de façon plus abstraite, ils représentent les forces d'attraction et de répulsion et de ténèbres à l'intérieur desquelles ces deux forces sont à l'œuvre.
Le second cercle est divisé en deux moitiés, deux segments égaux, un blanc et un noir. Ils représentent les voies montante et descendante à l'intérieur de l'existence conditionnée, à l'intérieur du champ gravitationnel du conditionné lui-même. En d'autres termes, ils représentent les voies qui nous mènent dans un sens vers la périphérie du champ gravitationnel du conditionné, et dans l'autre vers son centre.
Le troisième cercle concentrique est divisé en cinq, parfois six segments. Ces cinq ou six segments représentent tellement de plans de l'existence conditionnée, et dans la terminologie traditionnelle, presque mythologique, ce sont les plans des dieux, des asuras ou titans, des êtres humains, des animaux, des êtres affamés, et des êtres en état de souffrance. L'état humain, notre état, se trouve au milieu. Les dieux et les titans occupent un plan supérieur, alors que les animaux, les êtres affamés et les êtres en état de souffrance occupent des plans inférieurs. En d'autres termes, les premiers états sont près du bord du champ gravitationnel, alors que les derniers états sont près du centre, et l'homme est entre les deux.
Puis, le quatrième et dernier des cercles concentriques, formant le bord de la roue si vous voulez, est divisé en douze segments qui représentent différentes étapes dans le processus de l'esprit réactif. Ces douze segments sont considérés traditionnellement comme étant distribués sur trois vies successives. Voici donc comment est décrit le champ gravitationnel du conditionné, du samsara, dans la roue de la vie tibétaine.
Le champ gravitationnel de l'inconditionné est appelé le dharmadhatu. Il n'y a pas d'équivalent français au terme sanskrit dharmadhatu. « Dharma », qui a plusieurs sens, signifie ici « vérité de la réalité », dans le sens de vérité ultime, de réalité ultime. En d'autres termes, il évoque l'inconditionné à proprement parler. « Dhatu », qui a aussi plusieurs sens, signifie ici « sphère d'action » ; en d'autres termes, il évoque le champ gravitationnel. Le dharmadhatu est donc le champ d'action de l'inconditionné, le champ gravitationnel. Le mandala, incidemment, le cercle sacré, a la même signification générale, et particulièrement le mandala des cinq bouddhas. Vous en rappelez-vous ? Le bouddha blanc est au centre, le bouddha vert au nord, le bouddha jaune au sud, le bouddha rouge à l'ouest, et le bouddha bleu à l'est.
Nombre de textes dans nombre de traditions parlent aussi de ce qui est appelé le bouddhakshetra. « Kshetra » veut dire « champ, terre », le bouddhakshetra est donc la terre du bouddha, et représente la zone à l'intérieur de laquelle agit l'influence d'un bouddha particulier, l'influence spirituelle, le pouvoir spirituel d'un bouddha. Cette influence est souvent nommée adhisthana, surtout dans la tradition tibétaine. Un mot intraduisible que l'on peut traduire grosso modo par « grâce », si l'on entend par là simplement l'attraction gravitationnelle de l'inconditionné, de l'absolu. L'on pourrait aussi mentionner en lien avec ceci la Vraie Terre Pure, venant de la tradition japonaise. La Vraie Terre Pure est aussi un symbole du dharmadhatu, un symbole du champ gravitationnel de l'inconditionné, car la Terre Pure, selon son propre enseignement, est la zone à l'intérieur de laquelle agit la lumière infinie et la vie éternelle du bouddha Amitabha, la zone où ces deux éléments sont la force dominante, l'influence dominante.
Les champs gravitationnels du conditionné et de l'inconditionné se chevauchent, comme le font ceux de la Terre et du Soleil. Cela veut dire que la roue de la vie, d'une part, et le dharmadhatu, d'autre part, se chevauchent. Et cela donne, à nouveau, trois zones :
Une zone dans laquelle seule est à l'œuvre la force gravitationnelle du conditionné;
Une zone dans laquelle seule est à l'œuvre la force gravitationnelle, ou la « grâce », si vous préférez, de l'inconditionné ;
Une zone dans laquelle les deux forces sont à l'œuvre, où, dans un sens, elles sont en conflit.
Traçons à présent une ligne du conditionné à l'inconditionné, et disons que cette ligne représente la voie de la vie spirituelle, la voie de l'évolution supérieure. Cela signifie que la ligne qui représente la voie de l'évolution supérieure sera divisée en trois sections, et ces sections représentent les trois grandes étapes successives de la voie spirituelle. Dans la terminologie traditionnelle, ces trois étapes sont les étapes de la moralité, de la méditation et de la sagesse.
Comme lorsque l'on a fait un long voyage circulaire, on se croit très loin de chez soi, mais il suffit d'un tournant et d'un virage pour se retrouver quasiment devant sa porte. Nous avons fait ce détour, nous sommes partis dans des considérations abstraites, mais nous revoilà en terre connue. Rien qui ne soit plus familier, pour des bouddhistes, que le śila, la samadhi et la prajña : la moralité, la méditation, et la sagesse.
‘The Higher Evolution’ © Sangharakshita, 1969, traduction © Centre Bouddhiste Triratna, 2002.