Tertio, la troisième grande étape : la sagesse. La sagesse correspond aux six maillons positifs :
La connaissance-et-vision des choses telles qu'elles sont apparaît en dépendance de la concentration.
Le retrait (du conditionné) apparaît en dépendance de la connaissance-et-vision des choses telles qu'elles sont.
La dépassion apparaît en dépendance du retrait.
La liberté apparaît en dépendance de la dépassion.
La connaissance de la destruction des ashravas (poisons mentaux) apparaît en dépendance de la liberté.
Le point d'équilibre E est le point où finit la méditation et où commence la sagesse. Non que lorsque l'on développe la sagesse, on s'arrête de méditer. Au-delà de ce point, nous ne sommes plus attiré par le conditionné. Ce point de non-retour est appelé « l'entrée dans le courant ». Ces termes amènent une nouvelle comparaison. Le « courant » représente la force d'attraction irrésistible de l'inconditionné, une fois que l'on s'en est approché assez près. Imaginons un fleuve ; la terre d'un côté du fleuve est le conditionné. Nous nous tenons à un certain point sur cette terre qui borde le fleuve ; la distance qui nous sépare du fleuve correspond à l'étape de la moralité. Et la distance du bord du fleuve jusqu'au milieu du courant correspond à l'étape deux, la méditation. Une fois que l'on sent la force du courant qui coule vers l'océan, lorsqu'on est au milieu du courant, il suffit de s'y abandonner. Ce point où l'on s'abandonne à la force du courant est le point de non-retour. Et la distance de ce point jusqu'à l'océan est la troisième étape : celle de la sagesse.
Incidemment, je me souviens d'une parabole de Sri Ramakrishna, un grand saint et maître indien contemporain. Il décrivait la relation et la différence entre travail et grâce, mais cela est aussi pertinent en ce qui concerne l'entrée dans le courant. Il disait, c'est comme être dans une petite barque et ramer jusqu'au milieu du fleuve. Il disait que le processus de ramer avec les avirons et d'avancer ainsi avec peine jusqu'à mi-fleuve représente le travail, le karma. Mais il disait qu'une fois à mi-fleuve, on peut monter les voiles et se laisser porter par le vent, en posant les avirons. Il faut juste tenir la barre. Et le vent représente la grâce ou, en d'autres termes, la force gravitationnelle de l'inconditionné.
Nous avons donc localisé le point de non-retour, et apprécié son importance ; nous avons compris ce qu'est l'entrée dans le courant. L'importance de l'atteinte de l'entrée dans le courant devrait maintenant être évidente. Le but ultime est l'éveil, la bouddhéité, le nirvana, quel que soit le nom que l'on veut lui donner, mais ce ne sont que des mots, dont on ne sait pas vraiment ce qu'ils veulent dire ; on ne peut y attacher aucune signification. Ils ne peuvent nous donner une idée adéquate de la nature du but vers lequel nous sommes censé diriger nos efforts. C'est trop au-delà de nous, trop distant. Notre but immédiat est donc d'atteindre le point de non-retour. Et une fois là, selon la tradition, l'éveil est garanti, dans un délai de sept vies au plus.
Mais revenons à la force d'attraction du conditionné. Cette force est à l'œuvre dans tous les aspects de la vie humaine. Il est capital de la voir à l'œuvre, dans toute sa puissance et son omniprésence. On se rend alors compte qu'on ne peut jamais se reposer, se relaxer, tant que l'on n'a pas atteint le point de non-retour.
‘The Higher Evolution’ © Sangharakshita, 1969, traduction © Centre Bouddhiste Triratna, 2002.