La méditation est la méthode de développement personnel, mais cela ne suffit pas. D'une certaine façon, il n'y a rien de tel que la méditation ; on ne peut pas simplement pratiquer la méditation, simplement méditer. Il y a un certain nombre de méthodes spécifiques, et pratiquer la méditation signifie en fait avoir recours à l'une, à l'autre, ou à plusieurs de ces méthodes. Le bouddhisme est très riche en méthodes de méditation. Certaines sont communes à toutes les écoles, tandis que d'autres sont, si l'on veut, la propriété exclusive de certaines traditions. Certaines méthodes sont destinées à des personnes d'un certain tempérament, d'autres le sont à ceux qui veulent développer certaines qualités, ou des aspects particuliers d'eux-mêmes, ou surmonter une faiblesse particulière.
Pour illustrer cela, je vais décrire une méthode particulière. C'est une méthode qui sera sans doute familière à certaines personnes mais complètement nouvelle à d'autres qui n'ont pas, jusqu'à présent, eu de curiosité pratique pour la méditation. Cette méthode s'appelle en pâli le metta bhanava. Metta signifie simplement « bienveillance », mais dans un sens positif, très puissant, un sens que ce mot ne possède pas vraiment en français. Et bhavana signifie « amener à exister », ou « développement ». On peut donc traduire metta bhavana par « développement de la bienveillance universelle », ce qui est sans doute l'une des méthodes les plus importantes et effectives de développement personnel. Elle sert surtout à ceux qui veulent atteindre des états de conscience plus élevés en surmontant la haine et en développant la bienveillance. Comme toutes les autres méthodes de méditation, cela nous rappelle une chose extrêmement importante : on peut changer, la conscience peut être restructurée, re-développée - dans cet exemple particulier, la haine peut être transformée en amour. Et nous pouvons dire que c'est là un des points forts du bouddhisme : il ne nous exhorte pas seulement à aimer notre prochain - c'est facile à dire - mais il nous montre aussi exactement comment le faire. Des exhortations morales ne suffisent pas : on a besoin d'aide pratique, sans quoi on ne ressent que frustration et ressentiment, et on peut même commencer à se demander si le développement personnel est vraiment possible.
On pratique d'habitude le metta bhavana en cinq étapes successives. On développe tout d'abord la bienveillance envers soi-même, parce que c'est là qu'elle commence : si l'on n'est pas heureux avec soi-même, si l'on n'est pas à l'aise avec soi-même, si l'on ne s'aime pas - et de nos jours beaucoup de gens, malheureusement, ne s'aiment pas -, on ne peut pas aimer les autres. Notre amour des autres ne peut pas être ce que Nietzsche appelait « notre mauvais amour de nous-même », c'est-à-dire notre aversion envers nous-même. Soyez donc bienveillant envers vous-même. Ayez de bons rapports avec vous-même. Aimez vous, même, si vous voulez employer le terme. Charité bien ordonnée commence vraiment par soi-même - et soi-même c'est bien soi-même, ici. Voilà où l'on commence. On développe la bienveillance envers soi-même, puis on l'étend vers l'extérieur.
On étend sa bienveillance envers un ami proche et cher, quelqu'un que l'on connaît personnellement bien, quelqu'un qui a à peu près le même âge, quelqu'un qui est du même sexe - parce que le sentiment de bienveillance ou d'amour n'est pas un sentiment érotique, il en est très distinct -, et quelqu'un qui est en vie, car en pensant à quelqu'un qui est récemment décédé on pourrait se sentir triste et trouver le développement du sentiment de bienveillance difficile. Un ami proche et cher, donc.
Puis, une personne neutre. Une personne que l'on connaît bien de vue, que l'on a peut-être rencontrée plusieurs fois sans avoir de sentiment particulier envers elle. Elle ne nous plaît ni ne nous déplaît. On essaie d'étendre le même sentiment que l'on avait pour soi, puis pour un ami, et maintenant pour cette personne neutre.
Puis, quatrièmement, une personne que nous n'aimons pas, voire que nous détestons. Quand nous en venons à cette quatrième étape nous trouvons d'habitude, avec un peu de pratique, que nous avons un tel élan de bienveillance qu'il est assez facile de se sentir assez chaleureux envers cette personne avec laquelle nous ne nous entendons d'ordinaire pas du tout. Tous nos sentiments de haine, d'antagonisme, d'inimitié se trouvent dissous et on se retrouve à vouloir laisser le passé derrière nous et recommencer à zéro avec cette personne. Et très souvent, lorsqu'on la rencontre la fois suivante, on se sent complètement différent, on agit complètement différemment et une nouvelle phase commence dans notre relation.
Ensuite, on va un peu plus loin : on pense à ces quatre personnes simultanément : soi-même, l'ami, la personne neutre, la personne difficile, et on développe le même amour, la même bienveillance envers les quatre. Puis, en des cercles toujours plus grands, on continue en développant cet amour, cette bienveillance, envers les personnes qui sont dans le bâtiment où l'on se trouve, puis dans la ville, dans le département, le pays, le continent, le monde. Si on le veut, on peut penser à tous nos amis, un par un, qui sont dans différentes parties du monde, comme si on les cochait sur notre liste de metta ; et l'on peut même penser à d'autres êtres vivants, aux animaux, aux oiseaux ; on peut aussi peut-être penser à tous les mondes, à tous les univers, dont certains doivent tout de même être habités. C'est en tous cas ce que dit la tradition bouddhique, et on peut laisser la metta s'étendre jusque dans les coins les plus distants de l'univers.
Une fois que l'on a terminé cette pratique, qui prend environ cinquante minutes, on se sent certainement très expansif, on sent que la bienveillance a été cultivée dans notre cœur et que, pour le moment du moins, la haine a été abolie et transformée en amour.
Voici donc un exemple très simple, très connu, et très populaire, d'une méthode de méditation bouddhique qui marche vraiment, qui a marché pour des milliers, des millions de personnes au cours des siècles, et qui marche toujours pour beaucoup de personnes aujourd'hui.
'A method of personal development' © Sangharakshita, Windhorse Publications 1976, traduction © Dhatvisvari 2003.