Les comparaisons qui précèdent ne suffisent peut-être pas, ne sont peut-être pas adéquates. Il y a une autre façon de décrire les quatre dhyânas : ce sont les quatre niveaux de l'absoption dans la méditation. Cette description n'est pas traditionnelle, elle est plutôt basée sur mon expérience et ma réflexion personnelles, et elle cherche, en un français simple, à expliquer ce que sont les quatre dhyânas, à donner une idée de ce à quoi ressemblent ces expériences. Dans un langage simple, nous pouvons dire que les quatre dhyânas sont, dans l'ordre, les états ou étapes d'unification, d'inspiration, de saturation et de radiation. Qu'entendons-nous par là ? Regardons-les de plus près, puis nous passerons à des méthodes spécifiques de méditation.
Tout d'abord, l'étape d'unification. Une unification est un rassemblement de choses diverses pour en faire un tout. Cela ne veut pas du tout dire tenir ces choses ensemble par la force, au moyen de quelque lien externe, mais les rassembler en les subordonnant harmonieusement à un principe commun, ou même en les rassemblant, en les regroupant autour d'un centre d'intérêt commun. Dans le contexte présent, celui du développement personnel ou de la méditation, l'unification est surtout psychologique et ce qui est rassemblé et unifié, ce sont les différents aspects et les différentes fonctions de l'esprit même. Quand on médite, quand on essaie de se concentrer, le principe ou le centre d'intérêt commun est ce que l'on appelle le sujet de la méditation, ou l'objet matériel ou mental sur lequel on centre l'attention de façon préliminaire ; cela peut être un mantra, la respiration, ou un disque de couleur.
Cette unification psychologique se fait de deux façons : horizontalement et verticalement. La première, l'unification horizontale, représente un rassemblement de nos états mentaux et de nos fonctions mentales au sein de la conscience. C'est une unification de tous nos intérêts et énergies conscients, et c'est relativement facile à faire, du moins pendant un court moment. Mais la seconde, l'unification verticale, consiste à rassembler le conscient et l'inconscient et leurs contenus respectifs. Autrement dit, cela consiste en une unification de tous les intérêts et énergies de l'esprit conscient et de tous les intérêts et énergies de l'esprit inconscient, et cela est beaucoup plus difficile parce que les deux tirent très souvent dans des directions opposées. Mais ici, ils s'unissent peu à peu, ils trouvent une direction commune, un but commun. L'énergie commence donc à affluer de l'esprit inconscient vers l'esprit conscient, et la concentration devient plus facile. On constate que l'on peut rester assis plus longtemps en méditation. On éprouve une sensation d'harmonie et de repos, une absence de conflit. Voilà donc l'étape d'unification.
Ensuite, l'étape d'inspiration. « Inspiration » vient d'un mot signifiant simplement « respirer » : l'inspiration est ce que l'on respire et qui vient d'en dehors de nous-même, en dehors du nous de tous les jours, ordinaire et conscient. Cela nous vient des hauteurs (ou des profondeurs ; le terme n'a pas d'importance) d'une autre dimension, d'un autre niveau de conscience, que l'on peut appeler soit plus haut, plus élevé, soit plus profond. D'habitude, cette inspiration, cette « autre chose » qui vient en nous, est ressentie impersonnellement, comme un principe, une force, une énergie, mais elle peut aussi parfois être ressentie comme une personne. Les poètes, par exemple, surtout ceux des temps anciens, parlent de la visite - ou de l'absence - de la Muse, c'est-à-dire des forces de l'inspiration poétique. Autrefois, le poète invoquait régulièrement la Muse au début d'un poème, se mettant ainsi en contact avec les forces, les énergies spirituelles que l'image de la Muse représente ou incarne. Il s'y ouvrait, s'y rendait réceptif, car si la Muse ne l'inspirait pas, il ne pouvait rien faire. Si la Muse ne l'inspirait pas, il n'était même pas un poète, mais n'était qu'un homme ordinaire. Plus tard, l'invocation de la Muse est devenue une convention littéraire sans vie, mais à l'origine il s'agissait clairement d'une expérience émotionnelle et spirituelle éblouissante. D'ailleurs, qu'on invoque formellement la Muse ou non, sans une certaine forme d'inspiration aucun poème, aucun art n'est possible.
Ce pouvoir d'inspiration peut être aussi ressenti d'autres manières en tant que personne. Les poètes parlent de la visite de leur Muse, les prophètes parlent d'entendre la voix de Dieu, ou ce qu'ils pensent être ou interprètent comme étant la voix de Dieu. Cette voix peut leur venir en rêve ou en état d'éveil. Ils entendent la voix qui les appelle, ou qui leur dit de faire ou de dire quelque chose ; parfois elle leur dit de faire ou de dire quelque chose qu'ils ne comprennent pas. Ils n'en comprennent pas la raison ou le sens, mais ils obéissent cependant, parfois avec bien du mal. S'ils n'obéissent pas, il semble qu'ils éprouvent une grande gêne.
Dans la littérature bouddhique, et surtout dans celle du Mahayana, on trouve beaucoup de références à ce que l'on appelle les nagas. Les nagas sont aussi représentés en art comme des serpents à tête humaine, ou parfois des figures humaines avec des collerettes de serpent. Ils vivent dans les profondeurs de l'eau, des fleuves, des océans et des rivières, et représentent les forces de l'inspiration qui remontent des profondeurs. Dans la littérature bouddhique tantrique, il y a aussi référence aux dakinis. Le mot « dakini » vient signifiant « espace » ou « ciel » et, en tibétain en tous cas, il est parfois traduit par « celle qui voyage dans l'espace », ou « celle qui marche dans le ciel ». Les dakinis représentent les forces actives d'une inspiration plus élevée se déplaçant librement dans la vaste étendue de la réalité. Dans l'art bouddhique, sur les peintures des temples ou les thangkas, les dakinis sont de belles jeunes femmes qui volent en l'air, avec des écharpes d'arc-en-ciel traînant derrière elles. Voilà les dakinis, les forces de ces inspirations spirituelles supérieures. Quand on les ressent qui remontent des profondeurs, ces forces d'inspiration semblent nous soulever aussi. Quand on les ressent qui descendent des hauteurs, elles semblent se baisser et nous attraper pour nous élever à leur niveau. Dans les deux cas, l'expérience est la même : on se retrouve à un niveau plus élevé, on est porté comme sur la crête d'une vague, comme sur le dos d'un cheval ailé, on est emporté par quelque chose de plus puissant que nous-même, et en même temps cette autre chose fait toujours partie de nous. C'est un autre aspect, une autre dimension de nous-même, que l'on soit ou non en rapport avec elle. De la même façon, que ce soit ou non en rapport avec la pratique formelle de la méditation assise, l'inspiration est une étape très importante du développement personnel. C'est une étape intensément agréable, une étape d'extase même, où l'on se sent plein d'énergie, où les choses se font spontanément, sans effort. On n'a pas l'impression de faire quoi que ce soit, on a l'impression de ne rien faire du tout, et pourtant les choses se font très bien d'elles-mêmes.
Ces étapes d'intégration et d'inspiration sont donc assez facilement accessibles. La plupart des gens en feront l'expérience, du moins parfois, après quelques mois de méditation régulière, et surtout lors d'une retraite organisée, en groupe. C'est pour cette raison que je viens d'y consacrer un certain temps. Les autres étapes sont plus difficiles à atteindre ; je vais donc les décrire beaucoup plus brièvement.
'A method of personal development' © Sangharakshita, Windhorse Publications 1976, traduction © Dhatvisvari 2003.