Les douze maillons (nidanas) de la coproduction conditionnée représentent l'application du principe philosophique du bouddhisme général de conditionnalité universelle au processus de renaissance. La renaissance n'est pas un des aspects du bouddhisme qui tendent à attirer le plus les gens de nos jours. Elle a toutefois une très grande importance, en particulier une importance historique ; elle fait partie intégrante de la totalité des enseignements bouddhiques. Des aspects différents du bouddhisme sont d'un grand intérêt à différentes périodes ; nous devrions néanmoins essayer d'atteindre un équilibre entre ces différents aspects. Ce n'est possible que si nous devenons nous-même psychologiquement et spirituellement équilibré. Si nous remarquons qu'un aspect nous attire très fortement, c'est généralement parce qu'il y a en nous un déséquilibre, un certain besoin en nous, auquel correspond cet aspect de l'enseignement. Alors que nous devenons de plus en plus équilibré, nous remarquons que c'est de moins en moins tel ou tel aspect particulier de l'enseignement qui nous attire (plus ou moins) exclusivement, mais que c'est plutôt sa totalité.
Le pratitya-samutpada, ou coproduction conditionnée, traite de production ou d'origine, et consiste en douze nidanas, ou maillons, en série ou en chaîne. Chacun de ces douze maillons apparaît en dépendance du précédent, ou est conditionné par celui-ci. Voilà pourquoi l'on parle de coproduction conditionnée, ou d'origine en dépendance de ces maillons se succédant l'un après l'autre, en séquence.
Nous allons voir la particularité de chacun de ces nidanas. Mais, avant tout, il me faut observer que certains textes dénombrent cinq nidanas et que d'autres textes en dénombrent dix, quoique douze soit le nombre normal. Nous ne devrions pas oublier l'existence de ces énumérations en cinq ou dix parties, car elles servent à nous rappeler que les listes de cette sorte ne doivent pas être prises trop littéralement. Vous ne devez penser à aucun sujet comme étant littéralement divisé en un certain nombre de parties. Vous ne devriez pas réellement penser au « chemin octuple » comme constitué très littéralement de huit parties distinctes. Ces divisions ne sont là que par commodité. Dans le cas présent, en étudiant les douze nidanas, nous devrions, grâce à eux et avec leur aide, essayer de comprendre l'esprit de la conditionnalité, plutôt que le fixer dans un cadre particulier.
Le premier nidana est l'avidya (en pâli : avijja), l'ignorance. Ce nidana est d'une certaine façon le plus important de tous les nidanas. L'avidya n'est pas tant l'ignorance dans le sens intellectuel que le manque ou la privation de la prise de conscience spirituelle, voire de la conscience spirituelle et de l'être spirituel. L'avidya, dans ce sens, est l'antithèse directe de la bodhi, de l'Éveil. La bodhi est le but de tout le processus de l'évolution, et particulièrement tout le processus de l'évolution supérieure. De la même façon, l'avidya représente tout ce qui s'étend derrière nous, ou en dessous de nous, dans ce processus d'évolution. Si l'Éveil représente le but, alors l'ignorance représente les profondeurs d'où nous venons. Si l'Éveil représente le sommet de la montagne, alors l'ignorance représente les vallées dont nous émergeons progressivement, et qui dorment, plongées dans l'obscurité.
Plus spécifiquement, l'avidya est faite de diverses vues fausses. Un certain nombre d'entre elles sont spécifiées dans les textes canoniques. Il y a par exemple la vue fausse qui consiste à voir le conditionné en tant qu'Inconditionné - penser que toute chose phénoménale peut durer pour toujours. Ce n'est bien sûr pas une conviction intellectuelle, mais une supposition inconsciente : nous nous comportons comme si certaines choses allaient durer pour toujours ; nous nous y attachons donc, et sommes malheureux quand, finalement, nous devons y renoncer.
Une autre vue fausse est la croyance en un Dieu personnel, un être suprême. Le bouddhisme, comme la psychanalyse, tend à considérer la personne de Dieu comme une sorte de personne projetée du père, une représentation glorifiée du père de notre enfance, de l'aide de laquelle nous dépendons lorsque nous sommes en difficulté. Le bouddhisme tend à considérer une croyance de cette sorte, une dépendance de cette sorte, comme une manifestation d'immaturité spirituelle.
Qu'elles soient ou non rationalisées, diverses croyances en l'efficacité d'actions purement externes sont considérées comme étant basées sur une vue fausse. En ce qui concerne la plupart des lecteurs, dire ceci peut sembler une perte de temps et d'énergie. Mais ayant passé vingt ans en Inde, et ayant vu tant d'hindouisme populaire, je ne crois pas que dans d'autres parties du monde le dire soit une telle perte de temps et d'énergie. De nos jours encore il y a de très nombreux hindous qui, véritablement, croient que les eaux du Gange, par exemple, ont vraiment un effet purificateur. Si vous plongez dans ces eaux, alors vos péchés seront vraiment lavés. Des hindous très intelligents et très éduqués, certains ayant reçu une éducation occidentale, défendent très sérieusement et très honnêtement cette croyance.
Cela me rappelle une petite histoire au sujet de Ramakrishna, le grand mystique hindou de la fin du dix-neuvième siècle. On lui demanda un jour : « Est-il vrai, comme le disent les hindous orthodoxes, que lorsque vous plongez dans le Gange, tous vos péchés sont lavés ? » Il n'aimait pas offenser les sentiments de ces hindous orthodoxes et, en même temps, il ne voulait pas s'engager dans la croyance orthodoxe. Il dit donc à celui qui l'avait questionné : « Oui, il est bien vrai que lorsque vous plongez dans le Gange sacré, tous vos péchés sont lavés. Mais quand vous vous enfoncez dans l'eau, vos péchés prennent la forme de corbeaux et se posent sur les arbres du voisinage, et quand vous sortez de l'eau ils reviennent. » C'est ainsi qu'il se sortit de cette difficulté. Cet exemple reflète la tendance des gens à attacher de l'importance aux actes externes.
On pourrait dire que toute la Réforme inaugurée par Luther a réellement tourné autour de cette question : savoir si les observances externes ont une valeur en elles-mêmes. Dans ce cas la question était celle des indulgences et de tout l'aspect sacramentel de la religion. À cette époque, l'un des enseignements de l'Église (je pense que cela existe toujours dans l'Église catholique) était que les péchés du prêtre ne diminuent en rien l'efficacité du sacrement. Le prêtre peut pécher autant que vous pouvez l'imaginer, mais lorsqu'il administre un sacrement, l'efficacité de celui-ci n'est pas diminuée, parce que le prêtre prononce certains mots d'une certaine façon. Luther protesta contre cette sorte de vue externe de la religion.
Cette vue externe de la religion est toujours forte dans certains milieux. Il y a peu de temps, j'ai lu plusieurs comptes-rendus des réunions du récent concile du Vatican. Il est très clair que deux groupes de pères participaient à ce concile. Un groupe, plus petit, il faut l'admettre, voulait s'attacher à toutes les bonnes vieilles façons mécaniques, externes et ritualistes de considérer la religion, et l'autre groupe de pères, plus progressistes, voulait les abolir, ou au moins les modifier. Il semble que ceci soit un élément permanent du caractère religieux : essayer de traiter les choses externes, les actions, les cérémonies, les rituels et les sacrements, comme possédant une efficacité et une valeur en elles-mêmes, bien distincte de l'état d'esprit dans lequel elles sont faites. Cette sorte de croyance, quoique ostensiblement religieuse, fait réellement partie de l'absence de prise de conscience spirituelle, l'avidya.
Par-dessus tout, l'absence de prise de conscience spirituelle inclut l'ignorance de la loi de la conditionnalité universelle elle-même.
Selon la formule trouvée dans les textes, en dépendance de l'ignorance apparaissent les activités formatrices (en sanskrit : samskaras ; en pâli : sankharas). Samskara signifie littéralement « préparation » ou « mise en place ». Le mot veut dire volitions ou actes de volonté. Dans ce contexte, le mot est utilisé pour signifier l'agrégat des conditions mentales qui, selon la loi du karma, sont responsables de la production, ou de la préparation, ou de la mise en place, du premier moment de conscience dans une « nouvelle » vie. Dans ce contexte, le mot samskaras est souvent traduit par « activités formatrices » ; lorsqu'il apparaît dans le contexte des cinq skandhas (les cinq agrégats), il est habituellement traduit par « volitions ».
Les samskaras sont essentiellement des actes de volonté liés à différents états d'esprit. Ces états d'esprit peuvent être soit « favorables », soit « défavorables » (le bouddhisme, dans ses textes originaux, évite généralement les mots comme bon et mauvais ; au lieu de ceux-ci il utilise favorable et défavorable). Les états mentaux défavorables sont ceux qui sont dominés par l'avidité, par la haine et par la confusion mentale. Les états mentaux favorables sont dominés par la générosité, l'amour et la clarté d'esprit. Tous ces actes de volonté peuvent être exprimés par le corps, par la parole et par l'esprit.
Les actes de volonté qui prennent leurs racines dans des états mentaux défavorables ont pour résultat ce qui est appelé de façon populaire une « mauvaise renaissance » ; ceux qui prennent leurs racines dans des états favorables ont pour résultat une « bonne renaissance ». Il est cependant important de noter que le bouddhisme les considère toutes deux comme prenant en fin de compte leur source dans l'ignorance. Le bouddhisme dirait que le désir d'une bonne renaissance, ou même l'effort en vue d'une bonne renaissance, est autant un produit de l'ignorance dans le sens spirituel que les actions qui mènent à une mauvaise renaissance, car le but du bouddhisme n'est pas la renaissance, pas même une bonne renaissance. Le but du bouddhisme est l'émancipation complète hors du cycle de l'existence conditionnée, du cycle de la naissance, de la mort et de la renaissance.
Le Bouddha donne une comparaison très pertinente de la relation entre ignorance et activités formatrices. Il dit que l'état d'ignorance est comme l'état d'ébriété, et que les samskaras sont comme les actions que vous accomplissez dans cet état. En fait, il dit que la plupart des gens, dans leurs actions quotidiennes ordinaires et même dans leurs actions religieuses conventionnelles, ne sont pas mieux, d'un point de vue spirituel, que des hommes ou des femmes ivres se comportant sottement de diverses manières. Ceci est réellement l'état de la plupart d'entre-nous. Nous sommes ivres car nous sommes « dépassés » par cette absence de prise de conscience spirituelle, et tout ce que nous faisons, disons ou pensons est d'une façon ou d'une autre le produit de cette absence de prise de conscience spirituelle. Quand un homme est soûl, tout ce qu'il fait et tout ce qu'il pense peut lui sembler clair et sage, mais n'est en fait que l'expression de son état d'ébriété ; exactement de la même façon, nous pouvons faire, dire et penser toutes sortes de choses, nous pouvons nous complaire dans toutes sortes d'activités charitables, dans toutes sortes de pratiques religieuses conventionnelles, mais tout cela est à la base l'expression d'une absence de prise de conscience spirituelle.
En dépendance des activités formatrices apparaît la conscience (en sanskrit : vijñana ; en pâli : viññana). Ce n'est pas la conscience en général, mais la conscience dans le sens spécifique de « conscience re-liante ». Elle est appelée ainsi car elle re-lie la personne, ou la psyché, à l'organisme psychophysique de la nouvelle vie.
Selon le bouddhisme, pour que la conception d'un être humain prenne place, trois facteurs sont nécessaires. Tout d'abord, il doit y avoir une relation sexuelle. Ensuite, cela doit pour la femme être la bonne période. Enfin, il doit y avoir ce que les textes décrivent de façon populaire comme « l'être à renaître ». « L'être » représente ici le dernier moment de la conscience appartenant à l'existence précédente - en d'autres termes, la conscience re-liante. Selon l'école Théravada, il n'y a pas d'intervalle entre la mort et la renaissance suivante. Mais d'autres écoles, les Sarvastivadins, et à leur suite, les Tibétains, enseignent qu'il y a entre les deux un état intermédiaire (ceci est décrit dans Le livre tibétain des morts).
À ce point apparaît une question très importante : qui, ou qu'est-ce qui, renaît ? C'est une question souvent posée. Les gens aiment poser des questions difficiles et, en particulier lorsque vous avez parlé de l'anatman (en pâli : anatta, la doctrine du non-soi ou de la non-âme), ils pensent qu'ils sont très malins lorsqu'ils demandent : « S'il n'y a pas de soi, qui ou qu'est-ce qui renaît ? » Il y a deux extrêmes à éviter. Un extrême est de maintenir que la personne dans la vie précédente et la personne dans la vie présente sont la même personne ; si quelqu'un renaît c'est le même Thomas, Richard, Harry, Gertrude ou Marie que celui que l'on avait avant, c'est toujours le même esprit dans un nouveau corps. Ce genre de croyance est par exemple exprimé dans la Bhagavad-Gita où Sri Krishna dit : « Qu'est-ce que la renaissance ? C'est comme un changement de vêtements. Tout comme, lorsque vous vous levez le matin, vous décidez de porter de nouveaux vêtements, vous laissez de côté le vieux corps et en prenez un nouveau. » Vous vous-même, si l'on peut dire, restez inchangé.
L'autre extrême est de maintenir que la personne dans la vie précédente et la personne dans la vie présente sont des personnes très différentes. Selon cette position, le conditionnement venant du corps est si fondamental que vous ne pouvez pas parler de la même personne : c'est une personne entièrement différente. Les deux extrêmes sont donc que la personne qui renaît est la même que celle qui est morte, ou bien qu'elle est différente de celle qui est morte.
Ces deux extrêmes sont liés, historiquement, à un débat de l'Inde ancienne concernant la nature de la causalité. Il y avait (il y a en fait toujours) en Inde deux écoles. L'une, l'école Satkaryavada, soutient que la cause et que l'effet sont identiques. Ceux qui suivent cette école disent que lorsque ce que l'on appelle un effet se produit, tout ce qui s'est réellement passé, c'est que la cause a changé de forme. Ils disent, par exemple, que si l'on suppose que l'on a un tas d'or (la cause), que l'on transforme en ornements (l'effet), c'est le même or, qu'on l'appelle la cause ou l'effet : il ne fait qu'un, c'est le même, il n'est pas interrompu. L'école Asatkaryavada, elle, dit que la cause est une chose et que l'effet en est une autre. Si on les approfondit logiquement, ces deux vues, la vue Satkaryavada et la vue Asatkaryavada, rendent la causalité impossible. Si la cause et l'effet sont vraiment identiques, vous ne pouvez pas du tout parler vraiment de cause et vraiment d'effet. Si, d'un autre côté, la cause et l'effet sont tout à fait différents, quelle relation pouvez-vous faire entre eux ? Dans ce cas aussi il n'y a pas de causalité. Le bouddhisme évite toute cette discussion, la considérant comme découlant de prémisses erronées. Le bouddhisme n'enseigne ni la Satkaryavada, l'identité de la cause et de l'effet, ni l'Asatkaryavada, la différence entre la cause et l'effet, mais il enseigne le pratitya-samutpada, la conditionnalité. Il dit, de façon symbolique ou abstraite, qu'en dépendance de A apparaît B. Il dit que la relation entre les deux termes, A et B, ne peut pas être décrite en termes d'identité et ne peut pas être décrite en termes de différence : ces deux catégories, simplement, ne conviennent pas.
La même idée est aussi appliquée à la notion de renaissance. Le bouddhisme dit qu'il est inutile de se demander si c'est la même personne ou si c'est une personne différente qui renaît. Celle qui renaît n'est ni la même ni différente de celle qui est morte. Pour le dire de façon paradoxale, la position bouddhique réellement strictement orthodoxe, c'est qu'il y a une renaissance mais que personne ne renaît.
C'est pour cette raison que le bouddhisme évite les termes tels que réincarnation. L'incarnation, c'est l'entrée dans un corps ; la réincarnation, c'est l'entrée dans un corps, à nouveau. Le terme réincarnation implique, comme dans le cas du passage de la Baghavad-Gita auquel je me suis référé, que vous avez une petite âme (ou un soi fixe) qui saute dans un corps après l'autre, elle-même restant inchangée. Le terme bouddhique correct est punarbhava (en pali : punabhava), qui veut dire « devenir à nouveau », ou « re-devenir » - et pas même « renaissance ».
En dépendance de la conscience apparaît le nom-et-forme (nama-rupa). Ici, le nama-rupa signifie simplement le corps physique (et tout d'abord le corps physique embryonnaire) et les trois autres agrégats mentaux de sensation (vedana), perception (samjña) et volitions (samskaras).
En dépendance du nom-et-forme apparaissent les six bases (en sanskrit : sadayatana ; en pâli : salayatana). Les six bases sont simplement les cinq organes physiques des sens et l'esprit (qui est traité comme une sorte de sixième sens, voire de sixième organe des sens). Elles sont appelées les six bases parce qu'elles constituent les bases de notre expérience du monde extérieur.
En dépendance des six bases apparaît le contact (en sanskrit : sparsa ; en pâli : phassa). Ceci représente l'impact mutuel entre l'organe et l'objet approprié. L'œil, par exemple, entre en contact avec une forme visuelle, ce qui donne naissance au contact de l'œil. De la même façon les cinq autres sens entrent en contact avec leurs objets des sens respectifs.
En dépendance du contact apparaît la sensation (vedana). En ce qui concerne son origine, la sensation a six formes, selon qu'elle provient du contact de l'œil, du contact de l'oreille, etc. À son tour, chacune de ces sensations a trois formes, à savoir plaisante, douloureuse ou neutre (ni plaisante ni douloureuse).
En dépendance de la sensation apparaît l'avidité (en sanskrit : trsna ; en pâli : tanha). La trsna, l'avidité ou la soif, est de trois sortes : la kama-trsna, la bhava-trsna, et la vibhava-trsna. La kama-trsna est l'avidité d'expériences sensorielles. La bhava-trsna est l'avidité de la continuation de l'existence, en particulier de la continuation de l'existence au paradis, après la mort. La vibhava-trsna est l'avidité de l'annihilation ou de la mort. Cette étape particulière, dans laquelle l'avidité apparaît en dépendance de la sensation, est une étape très importante, voire l'étape cruciale de toute la série, car c'est là, si l'on est capable de ne pas réagir à la sensation par l'avidité, que la chaîne peut être brisée.
En dépendance de l'avidité apparaît l'appropriation (upadana). Il est intéressant de noter qu'il y a quatre sortes d'appropriation. Généralement nous ne pensons qu'en termes d'appropriation des choses matérielles, des plaisirs et des possessions. Ceci est en fait la première sorte d'appropriation : l'appropriation des plaisirs des sens, c'est-à-dire l'appropriation des expériences plaisantes venant par l'œil, par l'oreille, par le nez, etc. Nous savons tous ce qu'elles sont, et il n'y a pas besoin d'entrer dans les détails.
Mais ensuite, en deuxième place, il y a l'appropriation des drsti. Drsti signifie littéralement « vues », mais signifie aussi opinions, spéculations, croyances, incluant les opinions philosophiques et religieuses. Ceci est très significatif. Le bouddhisme représente l'appropriation de nos propres croyances et convictions comme étant malsaine. Ce n'est pas que vous ne deviez pas avoir des croyances, mais vous ne devez pas y être attaché. Vous pourriez demander : « Comment pouvez-vous dire si vous êtes attaché à vos croyances ? » C'est en fait assez facile à dire. Très souvent, lorsque vous êtes engagé dans une discussion avec quelqu'un et que vous contestez ce qu'il dit - vous refusez de l'accepter, vous voulez le discuter, pour vous ce n'est pas axiomatique - il se sent vexé ou se met même en colère. Si quelqu'un se comporte ainsi, ce n'est pas que ses opinions soient intrinsèquement ou objectivement justes ou fausses, mais c'est qu'il y est attaché. C'est cette appropriation qui est mauvaise. L'appropriation est une entrave qui nous lie à la roue de la naissance et de la mort. C'est une chose qu'il est très salutaire de se rappeler. Bien sûr, acceptez les « Trois Refuges », acceptez le karma et la renaissance, acceptez l'enseignement des cinq agrégats, acceptez l'enseignement du Bouddha au sujet de la méditation et du nirvana. Oui, acceptez tout cela. Essayez de le mettre en pratique. Mais ne vous y attachez pas : ne vous y cramponnez pas d'une manière telle que si quelqu'un vous questionne ou vous conteste, vous vous sentiez menacé et vous réagissiez d'une façon hostile et froide.
Troisièmement, il y a l'appropriation du sila et des vrata. Sila veut dire éthique, et vrata observances religieuses. Une fois encore, ce n'est pas que ces choses soient nécessairement mauvaises en elles-mêmes, ce n'est pas que vous ne deviez pas vous comporter de manière éthique, que vous ne deviez pas pratiquer les « cinq préceptes ». Mais ne vous y cramponnez pas ; ne vous attachez pas à votre propre pratique des préceptes, ne pensez pas que c'est un but en soi, ne pensez pas qu'en les pratiquant vous vous différenciez des autres gens. Les pratiques elles-mêmes sont bonnes, tout comme l'étaient les croyances et les convictions, mais l'appropriation de ces pratiques, la partialité psychologique en leur faveur n'est pas bonne : c'est tout à fait mauvais.
Et, quatrièmement, il y a l'appropriation de la croyance en un soi permanent et non changeant, ou âme (dans le sens orthodoxe chrétien), existant séparément des cinq agrégats.
En dépendance de l'appropriation apparaît le devenir (bhava). Bhava est la vie, ou l'existence, à n'importe quel niveau, en tant que conditionnée par notre appropriation.
En dépendance du devenir apparaît la naissance (jati).
En dépendance de la naissance apparaissent la décrépitude et la mort (jara-marana). Une fois que vous êtes né, rien sur cette Terre ne peut vous empêcher de tomber en décrépitude, et finalement de mourir.
Voici les douze nidanas, les douze maillons de la coproduction conditionnée. Ils forment une série d'exemples concrets du principe bouddhique universel de la conditionnalité, en particulier lorsque ce principe est appliqué au processus de la renaissance.
‘A Guide to the Buddhist Path’ © Sangharakshita, Windhorse Publications 1990,
traduction © Ujumani 2003.