Le sambhogakaya en présente de nombreux aspects. Les cinq principaux sont appelés les Cinq jinas, ou Cinq conquérants, ou, plus simplement, les Cinq Bouddhas, qui, comme nous l'avons vu, représentent les cinq sagesses de l'esprit Éveillé. Il est important de se rappeler qu'ils ne représentent pas le Bouddha humain et historique mais différentes facettes de ce Bouddha archétypal ou glorifié, existant sur le plan archétypal, qui se place entre le plan auquel nous fonctionnons habituellement et le plan de la réalité absolue.
Le premier des jinas est Vairocana. Son nom signifie « l'Illuminateur », et comme nous l'avons vu, il est parfois appelé aussi le Grand Bouddha Soleil, qui illumine tout le cosmos spirituel tout comme le soleil physique illumine son propre système solaire. Il est d'un blanc éblouissant, ses mains font le geste de l'enseignement, la mudra du dharmacakrapravartana, la mudra de la mise en mouvement de la roue de la Vérité. Il tient entre les mains une roue d'or à huit rayons, symbole solaire de toute évidence, ainsi qu'emblème traditionnel de l'enseignement du Bouddha. Quand Vairocana est représenté dans un mandala, un cercle des formes archétypales, il occupe habituellement la position centrale.
En deuxième position vient Akshobhya, « l'Imperturbable », qui est représenté d'un somptueux bleu foncé, comme le ciel à minuit lors d'une nuit claire sous les tropiques. Sa main droite forme la mudra appelée bhumisparsha, le toucher de la Terre, l'appel de la Terre à témoin, et son emblème est le vajra (dorje en tibétain), l'éclair de diamant, symbole de la force et du pouvoir indestructibles. Le vajra représente la sagesse, la sagesse qui brise l'ignorance, détruit toute erreur et toute illusion. Aksobhya est associé à la direction de l'Est.
En troisième position vient Ratnasambhava, « celui qui est né du Joyau », ou « Source du Joyau ». Il est de couleur jaune d'or, et sa main droite fait la varada mudra, le geste du don, particulièrement le don du Dharma. Son emblème est le joyau, et il est associé à la direction du Sud.
Quatrièmement vient Amitabha, la « Lumière infinie ». Amitabha est d'un beau rouge profond et somptueux, tel celui du soleil couchant. Ses mains font la mudra de la méditation, une main reposant simplement sur l'autre ; son emblème est le lotus, le symbole de la renaissance spirituelle, et il est associé à la direction de l'Ouest.
Enfin, cinquièmement et dernièrement vient Amoghasiddhi, « le Succès infaillible » ou « qu'aucun obstacle n'arrête ». Amoghasiddhi est vert foncé et sa main droite fait le geste de l'impavidité. Son emblème est le double dorje, deux éclairs ou deux vajras croisés, et il est associé avec la direction du Nord.
Ce sont là les cinq principaux aspects du sambhogakaya ; il y en a des centaines d'autres. Tous sont des archétypes, qui existent à ce niveau d'existence plus élevé, niveau intermédiaire entre la conscience humaine ordinaire et le niveau de la réalité ultime et absolue. Tous sont donc en dehors du temps tel que nous en faisons habituellement l'expérience, sans toutefois être complètement en dehors du temps ; ils occupent en quelque sorte une dimension temporelle qui est différente de celle de notre état conscient habituel. Il nous arrive bien parfois d'entrer en contact avec le monde archétypal du sambhogakaya. Nous nous en approchons parfois en méditation profonde, dans des rêves archétypaux, ou dans des expériences esthétiques de nature visionnaire.
J'ai fait référence aux bodhisattvas archétypaux comme étant des bodhisattvas du dharmakaya, mais on peut aussi y penser comme étant des bodhisattvas du sambhogakaya. On ne peut pas faire la distinction entre la forme et le sans-forme. Dans leur être intérieur, si l'on peut dire, ces bodhisattvas font un avec le dharmakaya, mais en même temps ils se manifestent au niveau du sambhogakaya. Ils sont à la fois dharmakaya et sambhogakaya, tout comme le Bouddha lui-même pendant sa vie terrestre était dharmakaya, sambhogakaya et nirmanakaya. Les bodhisattvas du dharmakaya sont les êtres qui ont réalisé le dharmakaya mais qui, pour parler d'une certaine façon, continuent à garder une forme du sambhogakaya. Le fait qu'ils aient une identité définie en tant que bodhisattvas signifie qu'ils appartiennent au domaine du sambhogakaya, mais le fait qu'ils soient des bodhisattvas du dharmakaya signifie qu'en manifestant cette forme, ils ne quittent pas non plus le monde du dharmakaya. Si un bodhisattva, en plus de sa forme au niveau du sambhogakaya, prend une forme du nirmanakaya, il devient un bodhisattva incarné, ou ce que les Tibétains appellent un tulku¹. Mais s'il est un tulku dans le sens plein du terme, il conserve au moins un peu d'expérience de son être au niveau du sambhogakaya et même du dharmakaya.
Dharmakaya, comme nous l'avons vu, est habituellement traduit par « corps de vérité », mais une traduction plus juste en est « l'aspect de la réalité absolue ». Le dharmakaya représente la bouddhéité telle qu'elle est en elle-même, ou le Bouddha tel qu'en lui-même. Le dharmakaya ne représente donc pas le Bouddha humain et historique, ni même le Bouddha archétypal, mais l'unique Bouddha réel, véritable et ultime. Dans deux versets célèbres du Soûtra du Diamant, le Bouddha déclare :
Ceux qui m'ont vu par ma forme,
Et ceux qui m'ont suivi par ma voix,
Se sont engagés dans des efforts erronés,
Ces personnes ne me verront pas.C'est du Dharma que l'on doit voir les Bouddhas,
C'est des corps du Dharma que viennent leurs conseils.
Mais la vraie nature du Dharma ne peut être perçue,
Et personne ne peut la connaître en tant qu'objet.
Donc le Bouddha n'est pas vraiment son corps physique, ni même sa forme archétype. Le Bouddha est le dharmakaya. Le Bouddha est la réalité.
¹On dit, par exemple, que le Dalai Lama est le tulku du Bodhisattva de la Compassion, Avalokiteshvara, né encore et encore sous forme humaine pour le bien de tous les êtres.
'The Bodhisattva Ideal' © Sangharakshita, Windhorse Publications 1999, traduction © Centre bouddhiste Triratna de Paris 2006.