Tout d'abord, l'esprit réactif est un esprit réactif. Il n'agit pas réellement, mais réagit seulement. Au lieu d'agir spontanément, de sa propre plénitude intérieure et de son abondance, il a besoin d'un stimulus externe pour se mettre en marche. Ce stimulus arrive généralement par l'intermédiaire des cinq sens. Nous marchons dans la rue. Une publicité attire notre regard, ses couleurs vives et ses caractères gras ayant un attrait immédiat. Peut-être est-ce une publicité pour une certaine marque de cigarettes, ou pour une certaine marque de voiture, ou pour des vacances d'été sur une lointaine plage inondée de soleil. Quels que soient les produits ou les services décrits, notre attention est attirée, arrêtée. Nous allons et nous faisons ce que la publicité a été conçue pour nous faire faire, ou nous prenons mentalement note de le faire, ou nous restons avec une disposition inconsciente à le faire lorsque les circonstances le permettront. Nous n'avons pas agi, mais nous avons été activés. Nous avons ré-agi.
L'esprit réactif est donc l'esprit conditionné. Il est conditionné par son objet (la publicité, par exemple) non pas dans le sens d'être simplement dépendant de lui mais d'être en fait déterminé par lui. L'esprit réactif n'est pas libre. De plus, puisqu'il est conditionné, l'esprit réactif est purement mécanique. En tant que tel il peut être décrit de façon appropriée comme l'esprit « distributeur automatique ». On y met la pièce, il en sort le paquet. D'une façon similaire, si l'esprit réactif est confronté à une situation ou à une expérience donnée, il réagit automatiquement d'une façon complètement mécanique et donc prévisible. Non seulement notre comportement mais aussi une bonne part de notre « pensée » fonctionne de cette façon. Que ce soit dans le domaine de la politique, de la littérature, de la religion, ou des affaires de la vie courante, les opinions auxquelles nous sommes si fortement attachés et que nous professons avec tant d'assurance sont très rarement issues d'une réflexion consciente, de notre effort individuel pour arriver à la vérité. Nos idées ne sont presque jamais les nôtres. Trop souvent, elles ont été introduites en nous par des sources externes tels que livres, journaux, et conversations, et nous les avons acceptées, ou plutôt reçues, d'une façon passive et non réfléchie. Quand arrive le stimulus approprié, nous reproduisons automatiquement ce qui a été introduit dans notre système, et c'est cette réaction purement mécanique qui passe pour l'expression d'une opinion. Une pensée vraiment originale sur n'importe quel sujet est, en fait, extrêmement rare. « Original », ici, ne signifie pas nécessairement « différent », mais se rapporte plutôt à ce que l'on crée à partir de ses propres ressources, que cela coïncide ou non avec quelque chose qui ait déjà été créé par quelqu'un d'autre. Certaines personnes, bien sûr, essaient d'être différentes. Ceci peut cependant être une forme subtile de conditionnement, puisqu'en essayant d'être différentes elles sont toujours déterminées par un objet, par ce ou par ceux dont elles essayent d'être différentes. Elles sont toujours réagissantes, au lieu d'être réellement agissantes.
L'esprit réactif n'est pas seulement conditionné et mécanique, il est aussi répétitif. Étant comme « programmé » par des besoins dont il est largement inconscient, il réagit aux mêmes stimuli plus ou moins de la même façon, et tout comme une machine il répète sans cesse la même opération. C'est à cause de cette caractéristique de l'esprit réactif que la vie « humaine » dans son ensemble devient tellement une question d'habitudes fixes et établies, en un mot, de routine. Quand nous vieillissons, en particulier, nous développons une résistance passive au changement, préférant creuser les vieilles ornières plutôt que de se lancer dans une nouvelle direction. Notre vie religieuse même, si nous n'y prenons garde, peut s'incorporer à cette routine, et prendre place dans le schéma, dans la machinerie de l'existence. La messe du dimanche ou la méditation du mercredi se fixent comme des points de référence dans notre vie, des bouées marquant le passage au travers des dangereuses eaux de la liberté, tout comme le sont la séance hebdomadaire de cinéma, la visite à la laverie automatique, les vacances annuelles au bord de la mer et les fêtes occasionnelles.
Par-dessus tout, cependant, l'esprit réactif n'est pas un esprit conscient. Quoi qu'il fasse, il le fait sans connaissance réelle de ce qu.il est en train de faire. Métaphoriquement parlant, l'esprit réactif est endormi. Ceux chez qui il prédomine peuvent donc être décrits comme endormis plutôt qu'éveillés. C'est endormis qu'ils vivent leur vie. Endormis, ils mangent, boivent, parlent, travaillent, jouent, votent, font l'amour. Endormis, même, ils lisent des livres sur le bouddhisme et essayent de méditer. Comme des somnambules qui marchent les yeux grand ouverts, ils donnent seulement l'impression d'être éveillés. Certaines personnes sont en fait si profondément endormies que pour toute leur activité apparente elles pourraient plus justement être décrites comme mortes. Leurs mouvements sont ceux d'un zombi, ou d'un robot ayant tout ses boutons en position de marche, plutôt que ceux d'un être humain réellement conscient. C'est avec cette réalisation - quand nous devenons conscients de notre propre manque de conscience, quand nous nous éveillons au fait que nous sommes endormis - que commence la vie spirituelle. On pourrait même aller jusqu'à dire que cela marque le début d'une existence véritablement humaine, quoique cela sous-entende en fait une bien plus haute conception de la vie humaine que ce qui est généralement entendu par ce terme - une conception plus proche de ce qui est habituellement appelé spirituel. Ceci nous amène au deuxième type d'esprit relatif, à ce que nous avons appelé l'esprit créatif.
'Mind, reactive and creative' © Sangharakshita, Windhorse Publications 1971,
Traduction © Ujumani 2003.