« Qu'est-ce que cette sagesse, de qui et d'où vient-elle, demande-t-il,
Et il trouve alors que tous ces dharmas sont entièrement vides.
Sans frayeur ni peur face à cette découverte
Cet être de Bodhi n'est alors pas loin de la Bodhi. »
Nos doutes et nos questions sont résolus lorsque nous réalisons qu'aucun objet de la pensée ne dénote des entités ou des réalités existantes, lesquelles sont vides ou indéfinissables et ne relèvent donc pas complètement d'un traitement logique. La découverte de la vacuité de tous les dharmas est une découverte non rationnelle ; mais, allant au-delà des limites de la raison, le Bodhisattva reste sans frayeur ni peur.
Proposer le terme « indéfinissable » pour shunyata n'est pas suggérer de traduire shunyata par l'Indéfinissable - comme l'Inconditionné ou l'Absolu. L'enseignement de la shunyata essaie de nous communiquer le fait que la réalité, l'expérience, la vie, ne peuvent pas être représentées de façon adéquate et complète par la pensée. La pensée n'est pas égale ou de même mesure que l'expérience. L'expérience transcende la pensée. Parler de la shunyata, comme le fait Dr Guenther, comme de « la dimension sans fin de l'être » est peut-être trop proche d'une définition. La vie est-elle littéralement sans fin ? Si nous utilisons une expression comme celle-ci ce n'est qu'en tant qu'indice, en tant qu'avertissement de ne pas essayer de surimposer trop rigidement nos catégories conceptuelles sur la vie.
Selon la Prajñaparamita, il y a vingt sortes de shunyatas. Nous pouvons dire, par exemple, que quelque chose est shunya dans le sens où il est complètement non existant : ce qui est illusoire peut être décrit comme vide dans le sens où ce n'est pas du tout là. Cependant, dans le contexte où nous parlons de ce qui est relativement réel comme étant sunya, sunya ne peut être traduit par « non existant ». Le « relativement réel » apparaît en dépendance de causes et de conditions, et cesse quand ces causes et ces conditions disparaissent ; dans ce cas, donc, shunya signifie « relatif », « existant empiriquement », « conditionné », mais pas « non existant ». Quand nous disons que le nirvana est sunya, cela veut dire que le nirvana est dépourvu de tout le processus de cause et d'effet, qu'il ne s'y trouve rien de l'existence conditionnée. Cela ne veut pas dire que le nirvana est complètement non existant. Et, dans le sens le plus élevé, nous pouvons parler de la shunyata du dharmakaya. Cela veut dire que le dharmakaya est vide de toute discrimination. Nous ne pouvons par dire qu'il soit existant ou non existant, sunya ou asunya, vide ou non vide : il transcende tous ces termes. Il est complètement vide, mais, ici aussi, il n'est pas simplement non existant.
Si l'on dit : « Oh, dans le bouddhisme, tout est vide », on laisse la porte ouverte à des malentendus sans fin. On ne doit jamais utiliser le terme vacuité sans le lier avec précaution au contexte approprié. Ce n'est pas une chose à décrire, c'est plutôt un mode d'être. Si votre expérience est une expérience de la shunyata, alors vous voyez tout ce avec quoi vous entrez en contact comme étant shunyata. C'est comme l'expérience de la metta : toute personne, tout être sensible en fait, qui entre à portée de votre metta devient un objet de cette metta. La personne n'a pas changé, mais en même temps, pour vous, elle a changé. Des gens qui auparavant vous semblaient bien terribles ou méprisables vous semblent maintenant sympathiques, attirants et attachants. De la même façon, une fois la vue pénétrante est apparue, vous voyez et expérimentez comme shunyata tout ce qui se trouve entrer dans le champ de votre vision spirituelle, dans la mesure où vous le percevez et en faites l'expérience.
« Se mouvoir dans les skandhas, dans la forme, dans la sensation, dans la perception,
Dans la volition, et ainsi de suite, et échouer à les considérer avec sagesse ;
Ou imaginer ces skandhas comme étant vides
Veut dire se mouvoir dans le signe, ignorant la voie de la non-production. »
N'imaginez pas les skandhas comme étant vides si cela signifie nommer une entité réelle ou une chose que les skandhas sont réellement, et la qualifier, la justifiant ainsi à l'aide de quelque chose qui est appelé la vacuité. Dire que les skandhas sont vides est juste une façon de dire qu'ils ne doivent pas être considérés littéralement ou selon leurs apparences. Imaginer que les skandhas sont réellement et vraiment vides « veut dire se mouvoir dans le signe » : cela veut dire prendre quelque chose qui n'a qu'une existence provisoire et relative comme étant ultimement réel. Cela veut dire que nous n'avons pas réalisé la « non-production » des choses.
La « non-production » est un concept (ou plutôt un non-concept) important du Mahayana, traditionnellement illustré par le spectacle de l'illusionniste. Si un illusionniste fait apparaître des chevaux et des éléphants de telle façon que ce que vous voyez semble être des chevaux et des éléphants, ces chevaux et ces éléphants existent-ils vraiment ? Ont-ils vraiment été produits ? Non ; ils peuvent sembler avoir été produits, mais en réalité rien du tout n'a été produit. De la même façon, le bodhisattva voit tous les phénomènes (qui semblent être produits) comme un mirage ou un spectacle de magicien. Ils sont perçus, et ils existent dans le sens où ils sont perçus, mais de façon ultime ils ne sont pas réels. Il n'est ainsi pas question de leur production, en tant que telle. Le bodhisattva voit les dharmas, voit toutes les choses phénoménales comme n'apparaissant que comme un mirage dans le désert. Le mirage est vu, mais il n'existe pas réellement.
La nature non apparue (anutpanna) de tous les dharmas est liée à la pratique de la kshanti, la patience, qui est la troisième paramita. A proprement parler, cette paramita est appelée l'anutpattika-dharma-kshanti, l'acceptation patiente de la non-apparition de tous les dharmas. C'est la patience dans le sens le plus profond, telle que pratiquée par le Bodhisattva dans le huitième bhumi, la huitième des dix étapes de l'avancée du bodhisattva. C'est l'acceptation patiente du fait que dans leur nature essentielle, tous les dharmas sont non produits ; ils ne sont pas réellement créés. Tout réside dans un état de tranquillité, de calme, de shunyata, avec seulement une apparence de la production des choses, comme un mirage ou la magie de l'illusionniste. L'acceptation patiente par le bodhisattva de la non-apparition de tous les dharmas est une vision du fait que toutes les choses sont comme cela, et l'acceptation de ce fait. C'est le chemin ou la voie de la non-production.
Si, cependant, le Bodhisattva prenait la tranquillité absolue de tous les dharmas comme une invitation à s'asseoir et à ne rien faire, cela impliquerait une différence entre réalisation et non-réalisation, alors qu'en fait elles sont toutes les deux vides. Ainsi, l'activité compatissante du Bodhisattva n'est pas basée sur un idéal « humanitaire » mondain (et donc essentiellement centré sur soi), mais sur la réalisation de la vacuité.
Quand nous « nous mouvons dans le signe », nous considérons toutes les idées et tous les concepts subjectivement conditionnés dans lesquels nous investissons une perception sensorielle particulière afin d'en faire un « objet » de notre perception (et de façon prééminente les concepts d'« être » et de « non-être ») comme constituant la véritable nature de cette perception sensorielle.
« Mais quand il ne se meut pas dans la forme, dans la sensation, dans la perception,
Dans la volition ou dans la conscience, et erre sans demeure,
Sans jamais être conscient de fermement se mouvoir dans la sagesse,
Ses pensées sur la non-production - alors s'attache à lui la meilleure de toutes les extases calmantes. »
Si un Bodhisattva ne s'installe pas dans un ensemble particulier d'idées tel que les cinq skandhas, et ne considère pas ces idées comme représentant des réalités absolues, mais reste concentré dans l'acceptation patiente de la non-apparition des dharmas de telle sorte qu'il n'y ait pas de conscience de soi dans l'avancée ferme sur la voie de la sagesse, alors ce Bodhisattva en vient naturellement à demeurer dans les dhyanas, les états de conscience supérieure pleins de félicité.
« Par cela, le Bodhisattva demeure maintenant tranquille en lui-même,
Sa Bouddhéité future assurée par des Bouddhas antérieurs.
Qu'il soit absorbé en extase, ou qu'il n'y soit pas, il n'y prête attention.
Car des choses telles qu'elles sont il connaît l'essentielle nature originelle. »
La réalisation des Bouddhas précédents garantit la Bouddhéité future au Bodhisattva, à condition qu'il fasse le même effort que celui que les Bouddhas précédents ont fait avant leur Éveil.
Le Bodhisattva comprend la nature fondamentale de toutes les choses, y compris des dhyanas (ou « transes », comme Conze traduit malheureusement le terme), comme étant essentiellement non apparue, sans origine, et il n'y est donc pas attaché. Il peut y prendre plaisir, mais il n'est pas conduit à mauvais escient par ce plaisir à considérer les dhyanas comme existants par eux-mêmes, si l'on peut dire. Il faut cependant dire que même lorsqu'on les considère du point de vue relatif, les dhyanas font partie du monde phénoménal, et en tant que tels ne doivent pas être objets d'attachement.
Quoique d'un point de vue bouddhique ces expériences soient limitées, elles sont bien sûr très puissantes, et le théisme hindou repose sur elles avec fermeté. Pour être juste envers eux, les hindous sont par comparaison familiers avec les états supérieurs de dhyana ; il est trop facile, si nous n'avons pas nous-même beaucoup d'expérience de ces états, de critiquer les hindous parce qu'ils y restent bloqués. Mais il est aussi facile d'y rester bloqué, parce que ce sont des états très grisants et pleins de séduction. Débordant de félicité, vous vous sentez joyeux, élevé, et emporté par une sorte de vent divin. Quand vous parlez à des gens, ils disent : « Oh, vous êtes si différent de tous ceux que j'ai rencontrés auparavant. » En vertu de cela, vous pourriez commencer à donner des conférences et à expliquer la Bhagavad Gita. Les foules qui accourraient pour vous écouter pourraient bientôt vouloir vous construire un ashram, disant : « Vous devez avoir réalisé Dieu ; vous êtes une âme réalisée par Dieu », et sans doute commenceriez-vous bientôt à penser : « Oui, peut-être le suis-je. » A la fin, vous auriez même quelques disciples occidentaux, et votre succès serait alors vraiment assuré. Vous feriez un tour du monde, gagneriez beaucoup d'argent, et construiriez un énorme ashram.
Ceci est l'histoire de douzaines et de douzaines de gourous de nos jours. Ils ne sont certainement pas faux - ce sont souvent des gens sincères, serviables, sympathiques, pleins de positivité émotionnelle, et qu'il y ait des gens comme eux est une très bonne chose - mais vous pouvez voir ce contre quoi allait le Bouddha, et pourquoi il a adopté l'attitude qu'il avait. En Inde, les gens sont trop prompts à proclamer la réalisation de Dieu, et d'autres sont trop prompts à les en créditer. Les gens religieux ordinaires, ou les gens disposés à la spiritualité, en Inde, tendent à ne penser qu'en termes de dhyana ou de samadhi, et estiment que si vous avez atteint un tel état vous êtes Éveillé : vous avez « réalisé Dieu. » Ils utilisent ce genre de langage très facilement et sans beaucoup de rigueur. Vous pouvez vous installer comme gourou sur cette base sans aucune difficulté, en particulier si vous êtes de tempérament exubérant, vivant et communicatif. Votre exubérance est considérée comme le débordement de la Félicité Divine que vous avez réalisé.
Les dhyanas vous préparent à la sagesse, mais ne vous y conduisent pas, car il n'y a pas de dhyana hors de la personne qui fait l'expérience du dhyana. Il n'y a rien d'inhérent à l'état de dhyana qui mène à la sagesse ; mais il y a quelque chose qui vous est inhérent qui n'est pas satisfait par cette expérience, malgré la tendance égoïste à s'y installer. Ce sont les énergies positives et concentrées qui viennent de la pratique des dhyanas, et en fait de la pratique de toutes les paramitas (la générosité, la moralité, la patience, la vigueur, la méditation et la sagesse) qui transforment votre compréhension purement intellectuelle en une expérience réelle. Mais la pénétration dans la vérité vient de vous, en tant qu'individu unifié et puissant - peut-être avec l'aide de certains soutiens si l'on peut dire intellectuels, dérivés de la tradition. Cette pénétration dans la vérité amène tout d'abord la vue intérieure pénétrante (dans le sens de vipasyana) ou des éclairs intermittents de vue pénétrante, puis, graduellement, la sagesse, la prajña, qui a plus la nature d'une faculté permanente, quoique les termes vipasyana et prajña soient parfois employés de façon à peu près égale.
Dans l'hindouisme il y a bien sûr une tradition de jñana à côté de celle de samadhi, et la position de l'Advaita Vedanta est que c'est en fait la jñana ou gnose qui donne la réalisation ultime. Cependant, de mes propres contacts avec des disciples du Vedanta, je dirais que leur connaissance est presque toujours intellectuelle, et s'appuie rarement sur les dhyanas. Il semble y avoir une division assez étrange entre les deux traditions ; il est extrêmement rare que quelqu'un développe à la fois la jñana et les dhyanas. En fait, selon un vedantin non dualiste que j'ai rencontré en Inde, la pratique spirituelle est complètement non nécessaire puisque le monde n'est qu'une illusion. Apparemment, même cet humour évidemment mauvais était une illusion.
Tout à fait opposé, quoique aussi unilatéral en fin de compte, était l'exemple bien plus distingué de Ramana Maharshi. J'ai eu de lui très distinctement l'impression qu'il avait fait l'expérience des aruupa dhyanas, des dhyanas sans forme, et qu'il était peut-être même établi dans cette expérience, mais qu'il n'avait pas la sagesse dans le sens bouddhiste complet. Dans son ashram, l'absence de compassion était notable : les divisions de caste étaient toujours maintenues, et il permettait qu'elles soient maintenues. Un bouddhiste dirait que cela est simplement incompatible avec la compassion, et que sans compassion il n'y a pas de sagesse réelle. Le bouddhisme est beaucoup plus attentif de cette façon, beaucoup plus critique, et critique de lui-même, que ne l'est l'hindouisme.
Se mouvant ainsi, il se meut dans la sagesse des Sugatas,
Et cependant il n'appréhende pas les dharmas dans lesquels il avance.
Ce mouvement, il le connaît sagement comme un non-mouvement,
Cela est sa pratique de la sagesse, la plus haute perfection.Ce qui n'existe pas, ce non-existant, les insensés l'imaginent ;
La non-existence autant que l'existence ils façonnent.
En tant que faits dharmiques, l'existence et la non-existence sont toutes deux non réelles.
Un Bodhisattva va de l'avant quand, avec sagesse, il sait cela.S'il sait que les cinq skandhas sont comme une illusion,
Mais ne fait pas de l'illusion une chose, et des skandhas une autre ;
Si, libéré de la notion de choses multiples, il avance en paix,
Alors cela est sa pratique de la sagesse, la plus haute perfection.
Il est crucial de réaliser que toutes les structures intellectuelles, même bouddhiques, sont provisionnelles. Leur fonction est essentiellement pratique : stimuler les sentiments correspondants. Les idées et les concepts se reposent sur vous ; vous ne vous reposez pas sur eux. Si vous faites cela dans le mauvais sens, vous pouvez vous engager dans une confusion sémantique qui n'est pas du tout nécessaire. Il y a par exemple une expérience sémantique dans laquelle vous prenez un mot d'une simple phrase concrète et le définissez. Puis vous prenez un mot de cette définition et le définissez, et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'après cinq ou six phrases vous constatiez qu'il vous faut utiliser des mots de la première phrase afin de définir le nouveau mot. Le processus de définition de la signification est totalement circulaire et, en ses propres termes, sans signification : il ne repose sur rien.
Mais en fait vous sauriez exactement ce que je vous dirais si je vous disais : « passez cette porte », car si vous le vouliez et si cela était possible, vous pourriez suivre cette instruction. Une signification aurait été communiquée. L'affirmation porte une signification car, dans un but pratique, vous pouvez la comprendre. Vous ne commencez à tourner en rond que si vous vous engagez dans la signification abstraite des mots, d'une façon détachée de la situation concrète dans laquelle ils sont employés. La signification d'un mot repose sur la personne qui l'utilise, et non le contraire. Si vous insistiez sur « comprendre » la signification d'une phrase avant de faire ce dont elle parle, vous ne feriez jamais rien. Ce serait comme demander une preuve que cette porte est une vraie porte, qu'elle s'ouvre vraiment quand vous tournez la poignée, et qu'il n'y a pas derrière elle un grand fossé dans lequel vous allez tomber. Pourquoi ne pas simplement passer la porte ? En fin de compte, c'est une question de foi d'une part, et de peur de l'inconnu de l'autre. Nous ne savons rien à l'avance. Vous ne pouvez pas savoir ce qu'est passer cette porte tant que vous ne l'avez pas fait.
Il en est de même des signes et des symboles. Le Bodhisattva lit les signes et les symboles de la même façon que nous lisons les panneaux de signalisation, enregistrant simplement ce que communique chaque signe au sujet de la destination et de l'état de la route. Il n'est pas question de s'arrêter et de se demander ce que signifie réellement chaque carré de métal peint (Pourquoi est-il bleu ? Pourquoi est-il carré ?) Le Bodhisattva voit simplement le signe et continue à conduire - en supposant que c'est la bonne route, bien sûr.
« Ceux qui ont de bons maîtres ainsi qu'une profonde vue pénétrante,
Ne peuvent prendre peur à l'écoute des profondes doctrines de la Mère.
Mais ceux qui ont de mauvais maîtres, qui peuvent être fourvoyés par d'autres,
Sont de ce fait ruinés, comme un pot non cuit qui entre en contact avec l'humidité. »
« La Mère » est bien sûr la Prajñaparamita, la « Mère de tous les Bouddhas ». Cette strophe conclut ce à quoi Conze donne le titre : « Les Enseignements Fondamentaux », avec un très fort avertissement de les manipuler avec un soin extrême. Ceux qui n'ont pas la capacité leur permettant de faire la différence entre un bon et un mauvais maître, et qui n'exercent pas correctement leur propre jugement, comprendront mal la Perfection de la Sagesse, et n'auront pas les conseils requis pour la pratiquer. Essayer d'aller au-delà des catégories doctrinales du bouddhisme avant de les avoir saisies et travaillées est ruineux. La Perfection de la Sagesse a besoin d'être approchée avec un sens de révérence et de vénération, car sans un bon maître il est très facile de mal la comprendre.
Mais comment pouvons-nous reconnaître un bon maître. S'il y a une tendance envers une certaine faiblesse dans l'enseignement du bouddhisme, c'est une tendance à devenir institutionnalisé et conformiste. Une bonne approximation que l'on peut utiliser pour juger s'il y a une véritable communication de sagesse entre le maître et le disciple est d'observer combien fidèlement les disciples semblent suivre l'exemple du maître, et combien ils ont les mêmes opinions. Plus les disciples imitent le mode de vie, le tempérament et l'expression de leur maître, plus la communication a des chances d'être superficielle. Si les disciples sont des copies conformes de leur maître, c'est très suspect. C'est comme regarder une peinture moderne thaïe représentant des scènes de la vie du Bouddha, dans laquelle le Bouddha est entouré de vingt ou trente disciples, tous semblables à lui. Le Bouddha peut être distingué par quelques boucles noires, mais à part cela ils pourraient tous sortir du même moule.
Si vous avez un gourou plein de dévotion entouré de disciples pleins de dévotion, par exemple, vous devez être sur vos gardes. Ils peuvent être simplement ensemble sur la base d'un tempérament commun, d'une forme intense de grégarisme, qui rend improbable le fait que la vue pénétrante soit transmise (ceci n'est pas pour dire qu'un certain niveau d'expérience spirituelle n'est pas atteint, car les niveaux de dhyana peuvent être très puissants, indépendamment de toute question de vue pénétrante). Si vous avez quelque sagesse à communiquer à un disciple, c'est quelque chose qui va au-delà du tempérament. Vous devez faire attention au fait que vous communiquez la vérité à travers votre propre tempérament et que vous faites appel à ce qui transcende le tempérament chez quelqu'un d'autre, plutôt que de ne communiquer simplement qu'une expression de votre tempérament. Si vous présentez l'enseignement d'une certaine façon, qui attire quelqu'un ayant un certain tempérament, cela est bien, mais c'est seulement pour que l'enseignement soit accepté afin qu'il puisse percer le tempérament pour aller au cœur de cette personne.
Il est très rassurant de voir un maître qui soit un moine strict, vivant une vie disciplinée dans un monastère, et qui ait un disciple fidèle qui soit lui-même décontracté et anarchique, ne s'encombrant pas des robes et de tout cela - ou vice-versa. Des disciples peuvent sembler enseigner d'une façon complètement différente de celle de leur maître ; ils peuvent même sembler donner des enseignements complètement différents, mais ceci peut être parce qu'ils communiquent l'enseignement à des gens ayant un tempérament très différent du leur ou de celui de leur maître. Personne ne fait l'expérience de la même chose de la même façon, et il faut laisser une place à cela. Le moyen est important, mais ce n'est pas le message ; nous ne devons pas être trompés par les apparences. Pensez à Marpa et à son disciple Milarépa : les différences de tempérament étaient transcendées, et quelque chose était réellement transmis. Vous imitez au mieux votre maître en étant vous-même. Si vous essayez délibérément de copier les apparences, cela veut dire que vous n'êtes pas sûr de vous-même, et qu'en fin de compte vous n'êtes pas sûr de votre nature essentielle qui, comme celle de votre maître, est shunyata. Vous êtes de façon égale ainsité, vous êtes de façon égale unique.
© 'Wisdom beyond words' Sangharakshita, Windhorse Publications 1993, traduction © Christian Richard 2003.