L'idéal du bodhisattva :

L'apparition de la bodhicitta.

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Aussi merveilleuse et aussi inattendue soit-elle lorsqu'elle se produit, l'apparition de la bodhicitta n'est pas un accident. Le principe le plus fondamental de la pensée bouddhique est que tout ce qui apparaît dans l'univers, à quelque niveau que ce soit, n'apparaît ni par hasard, ni du fait du destin, ni par la volonté de Dieu, mais en dépendance de causes et de conditions naturelles (et en termes bouddhiques même le « surnaturel » est naturel). Ceci s'applique aussi à l'émergence en nous, à l'apparition en nous de la bodhicitta. Elle dépend de la création de certaines conditions mentales et spirituelles.

L'importance de la préparation.

Ceci attire l'attention sur un aspect crucial de la vie spirituelle : le besoin de préparation. Nous sommes habituellement bien trop pressés. Nous sommes si anxieux d'avoir des résultats rapidement que nous négligeons souvent les conditions mêmes dont dépend le résultat, et donc, très souvent, nous ne réussissons pas. Mais si nous nous préparons suffisamment soigneusement, nous pouvons laisser les résultats venir d'eux-mêmes ; en fait, nous constatons que nous réussissons sans presque le remarquer.

On ne devrait même pas penser à devenir un bodhisattva, ce n'est pas quelque chose que l'on puisse devenir. Mais on devrait certainement penser à créer en soi les conditions qui permettront à la bodhicitta d'apparaître.

Ceci s'applique tout à fait à la méditation. Si vous voulez méditer, il n'est pas bon de penser que vous pouvez juste vous asseoir et le faire. En Orient, la tradition est de commencer par aller dans la pièce où vous allez méditer et, très lentement et attentivement, de balayer le sol, de ranger et, si nécessaire, d'enlever la poussière de l'image du Bouddha qui est sur l'autel. Vous faites tout cela très lentement, doucement et attentivement. Puis, avec une humeur méditative, vous jetez les vieilles fleurs (dans certains pays d'Asie vous êtes censés les jeter dans de l'eau courante si c'est possible, et par sur le tas de poussière), et vous en cueillez de nouvelles. Vous les mettez dans un vase et vous les arrangez avec attention, en prenant le temps de le faire. Puis vous allumez une bougie et un bâtonnet d'encens. Vous regardez autour de vous pour voir si tout est en ordre - peut-être devez-vous ouvrir la fenêtre un instant pour avoir de l'air frais, ou fermer la porte pour éviter d'être dérangé. Puis vous arrangez votre siège, en vous assurant qu'il est bien en face de l'autel, et vous vous asseyez. Vous ajustez vos vêtements, et mettez vos pieds et vos mains dans la bonne posture. Même à ce moment-là, vous ne commencez pas à méditer. Vous commencez par réciter les refuges et les préceptes, et chantez quelques invocations au Bouddha et aux bodhisattvas. Alors, et seulement alors, vous commencez à méditer.

En portant ainsi notre attention à la préparation, on a beaucoup plus de chances de réussir, non seulement en méditation mais dans toutes les activités. Si l'on veut écrire un livre, ou peindre un tableau, ou préparer un repas, le secret est dans la préparation. Et il en est tout à fait de même pour l'apparition de la bodhicitta. On ne devrait même pas penser à devenir un bodhisattva. Ce n'est pas quelque chose que l'on peut devenir, grâce à une sorte d'évolution de carrière, en suivant des cours ou en obtenant un certificat - quoique je sois désolé de dire qu'en Orient il y a des établissements qui donnent ce genre de certificat que les gens peuvent encadrer et mettre au mur. On ne devrait même pas penser à développer la bodhicitta. C'est hors de question, c'est une perte de temps. Mais on peut certainement penser à créer en soi les conditions qui vont permettre à la bodhicitta d'apparaître.

Traditionnellement, il est considéré que tous les facteurs nécessaires à l'apparition de la bodhicitta sont sous notre propre contrôle. On pourrait objecter qu'il y a des facteurs, comme le fait d'être né dans un pays où l'enseignement du Bouddha est connu, pour lesquels nous n'avons pas de choix. Mais un bouddhiste dirait que, par le fonctionnement de la loi du karma, on a mis en place pour soi-même cette condition particulière, dans le sens où l'on est né dans ce pays, de telle sorte que cela reflète un choix que l'on a fait à un moment.

Mais certaines des conditions sur lesquelles nous basons notre pratique spirituelle ne sont-elles pas hors de notre contrôle ? Par exemple, un thème important du bouddhisme est la valeur de l'amitié spirituelle pour notre vie spirituelle. N'est-ce pas une instance d'une influence extérieure ayant un effet ? Oui, en un sens - mais personne ne peut vivre notre vie spirituelle pour nous. Nos amis spirituels peuvent nous aider à mettre en place les conditions pour celle-ci, mais c'est notre réceptivité à ces conditions qui fait la différence, et non les conditions elles-mêmes.

La réceptivité marche un peu comme un paratonnerre. Si l'on est capable de capter la puissance de l'éclair au moment où il se produit, ce n'est pas par simple hasard ; on a mis en place les conditions pour que ce soit possible. Mais aucun courant électrique ne passera dans le paratonnerre s'il n'y a pas un orage, et un éclair qui touche le paratonnerre. Bien sûr, quand il s'agit de la bodhicitta il y a, si l'on peut dire, toujours un orage en cours et des éclairs. Mais, tels que nous sommes pour l'instant, nous ne pouvons rien forcer. Tout ce que nous pouvons faire c'est mettre les conditions en place et attendre, ou agir comme si nous étions en train d'attendre. Nous pouvons chercher le bon endroit où mettre le paratonnerre, nous assurer qu'il a la bonne forme, qu'il est fait du bon matériau, et ainsi de suite. Mais nous ne pouvons pas tirer sur l'éclair pour qu'il tombe.

Dire « quand vous vous préparez de façon appropriée, la bodhicitta apparaîtra » ne veut pas dire qu'elle apparaîtra nécessairement. Pour le moment, vous ne connaissez simplement pas en détail toutes les conditions qui sont nécessaires, ni combien de temps vous devrez les maintenir. Ce n'est pas comme la préparation d'un gâteau ; vous ne pouvez pas assembler les ingrédients et être sûr de ce que sera le résultat. C'est là qu'entre en jeu l'élément de liberté ; tel que nous sommes maintenant, nous ne pouvons pas subvenir aux besoins de notre « soi » futur, ni le commander, ni même anticiper qui nous serons dans le futur.

Voilà pourquoi Shantideva dit - en exagérant, il est vrai - que c'est comme un aveugle trouvant par une nuit sombre un joyau dans un tas d'ordures. En un sens vous ne savez pas ce que vous cherchez. Vous pouvez en avoir une idée approximative, tout comme l'aveugle peut savoir que s'il trouve un joyau ce sera quelque chose de dur et d'un peu coupant ; mais il pourrait tout aussi bien trouver un caillou ou une noix. Nous sommes toujours un peu aveugles dans notre quête. Si vous saviez exactement ce qu'est le but et ce que vous devez faire pour l'atteindre, vous y seriez déjà. Nous avons tendance à anticiper les choses de façon conceptuelle et à penser que nous savons ce dont nous parlons, alors que nous n'en avons qu'une idée très vague et approximative. Ne sachant pas vraiment à quoi ressemble la bodhicitta, nous ne pouvons connaître avec une précision scientifique les conditions qu'il nous faut mettre en place pour qu'elle apparaisse. Nous devons donc jongler un peu avec les conditions jusqu'à ce que nous arrivions à la bonne combinaison.

Différents textes recommandent différentes méthodes pour cultiver l'apparition de la bodhicitta, mais tous les aspects de notre pratique, poursuivis avec suffisamment d'intensité, peuvent être considérés comme conduisant à ce but. D'une certaine façon, ce par quoi vous commencez n'a pas d'importance ; ce qui est essentiel c'est de vous y donner sans retenue. Il est trop facile de finir par s'installer confortablement dans la routine sans exigence d'une vie spirituelle. Pour éviter ceci, nous devons sans arrêt faire de vrais efforts dans un domaine précis de notre pratique, que ce soit l'éthique, la méditation, l'étude, le travail, la générosité, ou quoi que ce soit.

Mis à part une méditation spécifique sur la bodhicitta enseignée dans le bouddhisme tibétain, il y a d'après la tradition bouddhique deux façons particulières d'établir les conditions à partir desquelles la bodhicitta peut apparaître, l'une associée au nom de Shantideva, l'autre à celui de Vasubandhu. Tous deux étaient des grands maîtres indiens du Mahâyâna - Shantideva au VIIème siècle, et Vasubandhu probablement au IVème siècle - traditionnellement reconnus comme ayant été eux-mêmes des bodhisattvas. Bien que différentes, leurs méthodes sont complémentaires.

L'anuttara puja, ou puja en sept parties.

La méthode de Shantideva est une méthode plus ouvertement dévotionnelle. C'est l'anuttara puja, la vénération suprême, voire l'adoration suprême ; elle consiste en une série de ce que l'on pourrait décrire comme sept exercices spirituels, sept actes exprimant chacun une certaine phase de conscience religieuse, une certaine humeur même. La récitation des vers qui correspondent à ces parties différentes est connue sous le nom de puja en sept parties.

Vénération.

La première de ces sept parties est simplement appelée vénération. Elle est principalement adressée au Bouddha : non seulement l'être humain, le personnage historique, mais le Bouddha en tant que symbole de l'idéal de l'Éveil. Adoptant dans notre cœur une attitude de vénération, nous reconnaissons avec une dévotion et une révérence profondes la sublimité de l'idéal de l'atteinte de l'Éveil pour le bien de tous les êtres sensibles. Nous sentant puissamment et profondément rempli par cette dévotion, nous devons simplement faire des offrandes, donner quelque chose. Les offrandes les plus courantes sont des fleurs, des bougies ou des lampes et de l'encens, mais beaucoup d'autres choses peuvent être offertes. Elles sont posées devant le Bouddha et représentent nos sentiments de dévotion envers l'idéal, encore si lointain, de l'Éveil suprême.

Salutation.

Deuxièmement, il y a ce que l'on appelle la salutation. La salutation est l'expression physique, extérieure, du respect. Il ne suffit pas de faire l'expérience de quelque chose mentalement. Nous ne sommes pas qu'un esprit, nous n'avons pas que des pensées et des émotions, nous avons aussi un corps et une parole, et afin que tout exercice spirituel soit effectif, tous les trois doivent participer, au moins implicitement. Nous joignons donc les mains et nous nous inclinons en saluant avec révérence, ainsi qu'avec humilité. Non seulement voyons-nous l'idéal ; nous reconnaissons que pour le moment nous sommes nous-même bien loin de l'avoir atteint. L'idéal est comme les sommets de l'Himalaya étincelant au loin. Tout ce que nous avons fait pour le moment est de nous mettre en route : il y a un très long chemin à faire.

Aller en refuge.

La troisième partie est « Aller en refuge ». Nous avons commencé par reconnaître l'idéal, par le voir, simplement, par le vénérer, lui répondant émotionnellement. Puis nous avons reconnu à quel point nous en sommes loin. Maintenant, à ce troisième stade, nous nous engageons à le réaliser. Ayant réalisé que l'idéal est très loin, là-bas, et que nous sommes ici, nous prenons la résolution d'avancer d'ici à là-bas. Nous nous engageons dans les Trois Joyaux, si centraux et si aimés par toute la tradition bouddhique : le Bouddha, la réalisation de l'idéal, le Dharma, la voie qui mène à cette réalisation, et la Sangha, la compagnie, la camaraderie spirituelle de tous ceux qui ont suivi la voie de l'Éveil avant nous.

Confession des fautes.

Puis, quatrièmement, la confession des fautes. Certaines personnes trouvent ce stade difficile, peut-être parce que le mot « confession » a pour elles des associations négatives. Dans le présent contexte, cela représente notre reconnaissance de la part de nous-même que nous préférerions que les autres ne voient pas, que nous préférerions ne pas voir nous-même, mais qui nous poursuit toujours, tout comme Méphistophélès poursuivait Faust dans le grand poème de Goethe. En confessant nos fautes, nous reconnaissons nos petites faiblesses, nos manques et même parfois notre pure méchanceté. Il ne s'agit pas de battre notre coulpe, mais seulement d'une évaluation réaliste des choses, accompagnée de la résolution de faire de notre mieux pour agir différemment dans le futur. Nos fautes représentent un tel poids, rendant le voyage vers l'Éveil bien plus pénible, que nous devons nous en décharger.

La confession a une place prépondérante dans le Théravada, spécialement dans la vie monacale. Une pratique normale pour un bhikkhu ou un samanera du Théravada est de faire une confession régulièrement, matin et soir, au maître avec lequel il vit, demandant son pardon de toute faute du corps, de la parole et de l'esprit qu'il pourrait avoir commise, particulièrement envers son maître, durant la journée ou la nuit précédente. Même s'il a eu en rêve une mauvaise pensée à propos de son maître, il la confesse. En outre, une confession précède, en théorie du moins, la récitation du pratimoksha ou code de la loi monacale.

La confession n'est donc pas spécifique au Mahâyâna, ou particulièrement associée à l'idéal du bodhisattva. Néanmoins, dans la mesure où l'idéal du bodhisattva représente en fait un idéal plus difficile (si l'on choisit de le distinguer de l'idéal de l'arhant), tout écart par rapport à cet idéal représente un échec plus sérieux, qui nécessite une confession plus approfondie. Peut-être est-ce pour cette raison que dans le Mahâyâna un accent est mis sur la confession, que l'on ne retrouve pas de la même manière dans le Théravada. Dans le Théravada, c'est une reconnaissance des fautes commises, mais dans le Mahâyâna cela devient un déversement profondément ressenti du regret, et une détermination farouche de ne pas répéter l'action défavorable. Cette détermination est très fortement exprimée dans le Bodhicaryavatara (La Marche vers l'éveil) de Shantideva, dans lequel la confession est faite en des tons très vivants et pleins d'émotion ; et dans le Soûtra de la Lumière dorée, elle a un ton poétique que l'on trouve rarement dans le Théravada.

Réjouissance du mérite.

La cinquième partie de la puja est la réjouissance du mérite. Ceci implique penser à la vie d'autres personnes, évoquant des gens nobles, bons, vertueux et saints. Nous pouvons penser aux bouddhas et aux bodhisattvas, à des saints et à des sages, à des grands poètes, à des musiciens, à des artistes, à des scientifiques, et même à des gens que l'on connaît (ou que l'on a connus) et qui font montre ou ont fait montre de qualités humaines et spirituelles exceptionnelles. Nous pouvons tirer énormément d'encouragement et d'inspiration de la pensée que, dans ce monde où l'on rencontre tant de mesquinerie et de souffrance, il y a des gens comme cela, au moins de temps à autre.

Nous nous réjouissons donc qu'il y ait eu des gens saints, bons et éveillés à toutes les époques de l'histoire humaine et partout dans le monde, aidant le reste de l'humanité de bien des façons, que ce soit en tant que saints, sages, maîtres mystiques, scientifiques ou administrateurs, employés d'hôpitaux ou visiteurs de prisons. Nous nous réjouissons de ceux qui ont aidé les autres. Au lieu de dénigrer ou de discréditer, comme cela semble être maintenant la mode, nous apprécions et nous nous sentons heureux dans la contemplation des bonnes qualités et œuvres des autres.

Supplication.

La sixième partie de la puja en sept parties s'appelle la supplication. Nous demandons à ceux qui sont plus éveillés que nous de nous enseigner. Cela ne signifie pas qu'il faut les convaincre d'enseigner. Ce que nous faisons là, c'est donner expression à notre propre attitude d'ouverture et de réceptivité sans laquelle nous ne pouvons rien obtenir, et certainement pas la bodhicitta.

Transfert du mérite et renoncement de soi.

La septième et dernière partie est le transfert du mérite et renoncement de soi. Selon la tradition bouddhique, chaque fois que nous faisons une action favorable, nous acquérons une certaine quantité de punya ou mérite, et l'un des bénéfices de faire la puja prend cette forme, celle du mérite. Punya a la double signification de « mérite » et de « vertu ». C'est, pour ainsi dire, le crédit karmique que nous avons sur notre « compte », en résultat de nos actions éthiques. L'idée du punya est donc étroitement liée à l'idée du karma. Si nous faisons des actions habiles (du punya dans le sens de vertu) nous ferons l'expérience de choses agréables plus tard, parce que nous avons accumulé du punya dans le sens de mérite.

À la fin de la puja, ayant accumulé tout ce mérite, nous le donnons. Plutôt que de garder aux fins de notre émancipation individuelle le mérite acquis par nos actions, nous choisissons de le partager avec tous les autres êtres. À son niveau le plus élevé, cette aspiration devient l'idéal du bodhisattva lui-même.

Voilà donc la méthode de Shantideva pour préparer les conditions dans lesquelles la bodhicitta peut apparaître. Le rituel, les récitations, la cérémonie sont tous là pour soutenir le cœur de l'exercice, qui est essentiellement une série d'expériences et d'humeurs de dévotion. Si notre cœur est rempli de sentiments de révérence, de dévotion et de vénération, si nous ressentons vraiment ce qui nous sépare de l'idéal, si nous sommes réellement déterminé à nous engager dans la réalisation de cet idéal, si nous voyons clairement le côté sombre de notre propre nature, si nous nous réjouissons sincèrement de ce que les autres font de bien, si nous sommes vraiment réceptif à des influences spirituelles supérieures, si nous souhaitons ne rien garder pour nous seul, alors, en dépendance de ces états d'esprit, la bodhicitta apparaîtra un jour. C'est le sol dans lequel la graine de la bodhicitta, une fois plantée, peut germer et s'épanouir.

Sans peur d'être ou de devenir.

Dans son Bodhicaryavatara, Shantideva dit que l'effet de la générosité, de la puja - en bref, d'un engagement dans la vie spirituelle - est que l'on devient « sans peur d'être ou de devenir ». L'aspirant bodhisattva n'a plus de soucis. Vous vous donnez simplement à la vie spirituelle. Vous n'êtes pas préoccupé par le fait de vivre ou de mourir, d'être riche ou pauvre, loué ou blâmé, ou quoi que ce soit du même genre. Vous êtes juste sur la voie spirituelle et c'est tout. Tant que vous vous demandez que faire de votre vie, mesurant peut-être combien de temps donner à des choses spirituelles, et combien à des choses mondaines, vous restez incertain et sans clarté, et vous manquez donc de confiance. Mais une fois que vous avez décidé et que vous vous êtes engagé, en un sens tout va bien et il n'y a pas de soucis à avoir.

Nous pouvons avoir tendance à penser que la vie spirituelle est difficile et la vie mondaine est facile, mais il n'y a pas de raisons objectives à cette vue. Parfois, il est moins difficile de simplement vivre sa vie spirituelle que d'essayer d'améliorer le monde ou même d'essayer d'avoir dans le monde une carrière heureuse et couronnée de succès. Dans un certain sens, il faut moins d'effort pour atteindre l'Éveil. Il est très difficile de réussir dans le monde (il y a toutes sortes de facteurs qui peuvent déranger nos plans). Mais si l'on suit la voie spirituelle on sait, que si l'on en fait l'effort, tôt ou tard le succès viendra.

Cependant, même si faire des offrandes, se dédier, s'abandonner même, est important, ce n'est que le tout début de la vie spirituelle. On anticipe l'apparition de la bodhicitta plutôt que l'on en fait l'expérience. On souhaite être possédé par cette force spirituelle supérieure, plutôt qu'on ne l'est vraiment. Dans la puja, donc, on dit aux bouddhas et aux bodhisattvas, du moins mentalement : « Prenez possession de moi. Au lieu de faire ce que je veux faire, à partir de maintenant, je ferai ce que vous voulez que je fasse ». À ce stade, il doit y avoir ce genre de dialogue. Mais quand la bodhicitta apparaît, on est pris au mot, en quelque sorte. Il n'est plus question de décider ce que l'on va faire. Pour le dire de façon très mécanique, on commence à fonctionner comme un instrument de la bodhicitta qui est apparue.

Jusqu'à ce que cela ne se passe, on se rend réceptif à cette possibilité, tout d'abord en faisant des offrandes, puis en s'offrant soi-même, disant : « Prends possession de moi, puissé-je être dirigé non pas juste par ma propre volonté égoïste mais par la volonté d'Éveil. Que cela me motive, que cela m'emporte. » La puja devient une pratique importante et exigeante lorsqu'on l'approche avec cette compréhension de ce que l'on est en train de faire.

The Bodhisattva Ideal © Sangharakshita, Windhorse Publications 1999, traduction © Centre bouddhiste Triratna de Paris 2006.

 < (5/6) > 
  1. Origine et développement de l'idéal du bodhisattva.
  2. L'éveil du cœur bodhi, ou bodhicitta utpada.
    1. L'éveil du cœur bodhi, ou bodhicitta utpada.
    2. La bodhicitta absolue et la bodhicitta relative.
    3. La volonté d'Éveil.
    4. L'histoire du bouddhisme.
    5. L'apparition de la bodhicitta.
    6. Les quatre facteurs de Vasubandhu.
  3. Le vœu du bodhisattva.
  4. Altruisme et individualisme dans la vie spirituelle.
  5. Masculinité et féminité dans la vie spirituelle.
  6. Sur le seuil de l'Éveil.
  7. La hiérarchie des bodhisattvas.
  8. Bouddha et bodhisattva ; éternité et temps.