Un poème en prose de Baudelaire illustre combien nous pouvons ignorer ce que les autres pensent et ressentent, alors que nous pouvons penser que nous sommes très proches d'eux. Un jeune homme emmène sa bien-aimée au restaurant et, alors qu'ils sont assis à une table près de la fenêtre, il a l'impression que leurs âmes ont fusionné et qu'ils partagent toutes leurs pensées et tous leurs sentiments. C'est alors qu'il voit dehors, dans la rue, un pauvre vieil homme qui mendie. Au moment précis où il va exprimer ses sentiments d'attention et de sympathie, sa bien-aimée lui fait part de son indignation au fait qu'un vieux mendiant si laid soit autorisé à s'approcher ainsi de la fenêtre. Quelle fusion des âmes !
Cela montre qu'alors que vous pouvez penser que, puisqu'une personne vous est proche, vous la connaissez très bien ; en fait, plus elle vous est proche, plus il y a de chances que vous y soyez attaché, et moins, en conséquence, pouvez-vous la voir vraiment. Dans une relation sexuelle ou amoureuse, il peut y avoir de l'intimité mais pas nécessairement beaucoup d'honnêteté. Chacun vit dans son monde de rêve, un rêve rassurant et qui peut un temps libérer des énergies, mais un rêve néanmoins. Une véritable réceptivité aux autres nécessite que nous les voyions tels qu'ils sont réellement, et pas seulement en termes de ce que nous voulons d'eux ou de ce que nous pensons voir. On peut s'entraîner à devenir plus attentif aux autres, à leur manière de sentir, de réagir, de répondre : c'est ce qu'on entend par « attention », c'est du moins l'un des aspects de cette faculté.
‘Living with Awareness’ © Sangharakshita, 2003, traduction © Centre bouddhiste Triratna, 2003.