(1/8) >
« L'art est l'organisation d'impressions sensorielles qui exprime la sensibilité de l'artiste et communique à son public un sens des valeurs qui peut changer leur vie ». A l'aide de sa propre définition, Sangharakshita explore la pertinence de l'art et de l'artiste pour l'évolution personnelle et spirituelle de l'homme.
Par « art » nous entendons tous les arts. Nous prenons ce terme pour couvrir la peinture, la sculpture, la poésie, la musique, l'architecture, etc. Et par « vie spirituelle » nous entendons tout le processus de l'évolution supérieure. A ce propos, je dois avouer que je ne suis pas très heureux avec ce mot, « spirituel ». Quand j'étais en train de noter la liste des titres pour ces lectures, j'ai beaucoup hésité avant d'écrire ce mot, spirituel, et l'art et la vie spirituelle, parce que je sais que pour beaucoup de gens le mot spirituel a une mauvaise connotation. Quand on parle de vie spirituelle, les gens commencent à penser aux esprits, au spiritisme, aux tables tournantes, aux voix de l'au-delà, aux formes et aux apparitions. Alors, je ne pouvais pas m'empêcher de penser qu'il vaut mieux éviter le mot spirituel. Mais malheureusement, il n'y a pas dans le langage courant de terme équivalent à ce mot, « spirituel ». J'ai pensé que peut-être nous pourrions commencer à populariser le terme « méta-biologique », que j'ai déjà utilisé. Je sais que c'est un peu long, méta-biologique, mais au moins cela a le mérite de couvrir toutes les manifestations supérieures de l'esprit humain : non seulement l'art, mais aussi la religion et la philosophie.
Donc, quand nous parlons de l'art et de la vie spirituelle, ou de l'art et de l'évolution supérieure, nous ne suggérons pas que ce soient vraiment deux choses séparées. Ce n'est pas que vous avez l'art d'un côté et la vie spirituelle de l'autre, l'art ici et la vie spirituelle là, unis plutôt superficiellement par ce petit mot, « et ». Ce n'est pas que l'art et la religion soient dans une relation superficielle. On peut même aller jusqu'à dire que l'art est inclus dans la vie spirituelle, que les arts sont juste un aspect particulier de l'évolution supérieure, ou une manifestation de celle-ci. Cela ne veut pas dire, bien sûr, que l'on ne peut pas vivre une vie spirituelle, que l'on ne peut pas participer à l'évolution supérieure de l'humanité, sans être artiste. Cela ne veut pas dire ça ; mais cela veut dire qu'on ne peut pas être un artiste sans participer au même temps à la vie spirituelle, à l'évolution supérieure. Dans la mesure où l'on est artiste, où l'on est un véritable artiste, un artiste authentique, de n'importe quelle discipline, on participe à l'évolution supérieure de l'homme.
Maintenant, je suis sûr que cette idée n'est pas évidente pour la plupart des gens. On pourrait la voir comme une glorification inutile de l'artiste, et même on pourrait ne pas être d'accord du tout. Nous savons que généralement les gens n'ont que peu d'estime pour l'art et pour l'artiste. En vérité, ils ne les considèrent pas trop, pas en comparaison avec d'autres choses vraiment importantes, d'autres activités réellement importantes. Beaucoup de gens ont tendance à avoir un regard méprisant sur les arts et sur l'artiste, et à penser que l'artiste s'occupe de choses plutôt triviales, et pas du « vrai travail d'homme ». Dans ce contexte, je me souviens d'une petite histoire, provenant je crois de l'autobiographie de Sir Osbert Sitwell, qui est une longue œuvre en plusieurs tomes, très longue, mais qui contient quelques très bonnes histoires très bien racontées. Peut-être savez-vous que les Sitwell étaient une de ces très très brillantes familles dans laquelle pratiquement chacun semble être un génie ; tous vos frères, sœurs, tantes, cousins, oncles etc. sont des génies - cela doit être une manière merveilleuse de grandir. Vous avez donc Osbert et Sacheverell et la célèbre Edith, vivant tous ensemble, quand ils étaient jeunes, dans cette vaste et vielle demeure familiale délabrée ; l'un vit dans une aile, l'autre dans une autre aile, séparés par un kilomètre de couloirs, et avec beaucoup de domestiques. Alors, relate Osbert Sitwell, un beau matin il voulait communiquer avec sa sœur Edith dans son aile à elle. Il sonne donc pour appeler une femme de chambre, lui donne une petite note et lui dit : « Donnez ce papier à ma sœur, si elle n'est pas occupée. Mais si elle fait quelque chose, ne le lui donnez pas, ne la dérangez pas, revenez juste tout de suite et dites-le moi. » Un quart d'heure plus tard, après la traversée de tous ces couloirs, dans un sens et puis dans l'autre, la femme de chambre revient. Et Sir Osbert lui demande : « Lui avez-vous donné le message ? » Elle répond : « Oui, bien sûr. » « Ma sœur ne faisait donc rien ? » « Oh non, elle ne faisait rien du tout, elle était juste en train d'écrire. » Voilà donc l'attitude qu'ont très souvent les gens quand vous êtes en train d'écrire ou de peindre, ou si vous faites autre chose de cette sorte : réellement, vous ne faites rien.
A la lumière de cette sorte de malentendu courant sur le thème des arts en général, essayons donc d'aller un peu plus en profondeur dans ce sujet entier, et essayons de voir de quelle façon, ou dans quel sens l'art fait partie de la vie spirituelle, de l'évolution supérieure de l'homme. Et comment aussi l'artiste est, en fait, l'homme nouveau. Cela va nécessiter de considérer la question de ce qu'est l'art. Mais mettons cela de côté pour le moment et allons observer l'artiste en tant qu'homme nouveau, considérer l'artiste comme partageant les caractéristiques de l'homme nouveau.
L'homme nouveau se distingue par cinq caractéristiques. Il y en a sûrement beaucoup d'autres, mais apparemment celles-ci sont les plus clairement reconnaissables. Ces caractéristiques sont la prise de conscience de soi, la vraie individualité, la créativité, la solitude et une fréquente impopularité. Faisons donc une pause avant de rentrer dans la question de ce qu'est l'art et regardons brièvement comment on peut appliquer ces cinq caractéristiques de l'homme nouveau à l'artiste, qu'il soit poète, peintre, sculpteur, musicien ou autre.
‘The Higher Evolution’ © Sangharakshita, 1969, traduction © Centre Bouddhiste Triratna, 2002.