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Je voudrais dire encore quelques mots sur la psychologie de l'art, ou de la création artistique. Comment et pourquoi, pouvons-nous demander, la production d'œuvres d'art devrait être pour l'artiste un moyen, le moyen d'une évolution supérieure ? Que se passe-t-il quand l'artiste est en train de créer ? On pourrait dire beaucoup de choses sur ce sujet. Nous savons que Koestler a écrit un livre très épais sur le sujet, L'acte de la création. Mais ce soir nous devons abréger, nous n'avons pas assez de temps. Alors en bref, quand l'artiste crée, il objectifie. Et quand il objectifie, il peut assimiler, et ce n'est pas très différent de ce qui se passe dans le processus de l'exercice traditionnel de la visualisation bouddhique.
Quand par exemple, en méditation, nous visualisons le Bouddha, que se passe-t-il ? D'abord, nous fermons les yeux et nous voyons, pas seulement imaginons, une grande étendue de vert, au-dessus d'elle, une grande étendue de ciel bleu, et entre les deux l'arbre de la Bodhi. Au pied de l'arbre de la Bodhi, nous voyons la figure du Bouddha dans sa robe orange, puis nous voyons son visage très doux, son teint doré, le sourire plein de compassion. Nous voyons les cheveux noirs et bouclés, l'aura, les cinq couleurs de l'aura. Nous voyons toutes ces choses, et nous les voyons aussi clairement et d'une façon aussi éclatante que si le Bouddha lui-même était assis devant nous. Non seulement nous visualisons comme cela, mais nous reconnaissons aussi les grandes qualités spirituelles du Bouddha, nous voyons sur le visage du Bouddha l'expression de la sagesse, de la compassion, de la paix, de la tranquillité, de l'assurance, de la force, de l'intrépidité, etc. Et, graduellement, nous sommes attiré par ces qualités, nous nous sentons attiré par cette image visualisée, nous sentons comme si cette image s'approchait de nous. Nous sentons que sommes en train d'absorber en nous les qualités du Bouddha, l'amour, la sagesse, la compassion, etc. Et si nous persévérons dans cet exercice, si nous continuons non seulement pendant quelques jours, mais pendant des mois et peut-être même des années, il arrive un moment où nous avons complètement assimilé toutes ces qualités du Bouddha, et où nous devenons un avec le Bouddha pendant cette expérience méditative. Quand ceci arrive, nous pouvons dire qu'un être non-éveillé se transforme en être éveillé, et que nous réalisons notre propre nature de Bouddha.
Mais au cœur de cette pratique, au cœur de ce processus, de cet exercice, que s'est-il passé ? Ce qui était potentiel en nous, c'est-à-dire la bouddhéité, qui était là tout le temps, non connue et non reconnue, dans les profondeurs de notre être, de notre nature, est devenue réelle, est devenu réalisée par nous, d'abord en étant objectifiée, en étant vue au-dehors de nous, même si c'était au-dedans, et après avoir été vue au-dehors, en étant assimilée de plus en plus, jusqu'à ce que nous soyons devenus un avec elle.
La même chose arrive dans le cas de la création artistique. Nous avons parlé de l'artiste comme de quelqu'un qui a une certaine expérience, un niveau plus élevé d'existence et de prise de conscience, et qui crée à partir de cette expérience. Mais ce n'est pas aussi simple et direct. Ce n'est pas que l'artiste vive d'abord son expérience pleinement et parfaitement, et qu'ensuite il crée. S'il la vivait comme cela, pleinement et parfaitement, ce serait un mystique, qui est quelque chose de plus élevé ou au moins potentiellement plus élevé. Non, ce que l'artiste ressent est d'abord un vague sentiment, une perception indéterminée de quelque chose, et c'est cela son point de départ. Il clarifie cela, il l'intensifie dans le processus même de la création de l'œuvre d'art. Et nous pouvons donc dire que l'expérience originale de l'artiste, l'expérience créative, est comme une sorte de graine dans laquelle bat la vie, mais dont la nature n'est pleinement révélée que quand la fleur, c'est-à-dire l'œuvre d'art elle-même, est complète et achevée.
‘The Higher Evolution’ © Sangharakshita, 1969, traduction © Centre Bouddhiste Triratna, 2002.