« Quelle est la position philosophique fondamentale de la Communauté bouddhiste Triratna ? » a dit un jour Sangharakshita - sans répondre à cette question. Dharmachari Subhuti, un de ses plus anciens disciples, a plus récemment cherché à répondre à cette question, lors d'entretiens avec Sangharakshita. Il nous livre ici le contenu de leurs discussions.
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« Quelle est notre position philosophique fondamentale ? » a dit un jour Sangharakshita d’un air méditatif, lors d’une réunion de membres expérimentés de l’Ordre Triratna, durant les années 1980. Je fus frappé par son ton réfléchi – et par le fait qu’il ne donna pas de réponse : c’était un travail en cours.
Sans interroger de trop près la notion de « position philosophique fondamentale », elle correspond globalement dans ce contexte au terme bouddhique samyag-drsti ou Vue juste – ou Vision parfaite, dans la traduction de Sangharakshita. Au cours de ses nombreuses années d’enseignement, Sangharakshita a expliqué la Vue juste de plusieurs manières, en utilisant la terminologie et la perspective d’un grand nombre d’écoles historiques du bouddhisme, et en traduisant les termes clefs de diverses façons, en empruntant au vocabulaire philosophique, psychologique, poétique et même religieux de l’Occident. Il a aussi créé son propre langage distinctif pour communiquer la vue qu’avait le Bouddha de la vie, avec des phrases telles que l’« évolution supérieure » ou l’« aller en refuge cosmique ». La richesse et la diversité remarquables de ce qu’il a écrit et dit est certainement, en plus de sa lumineuse clarté, un des traits les plus attirants de la Communauté Triratna, le mouvement qu’il a fondé ; cela lui donne une envergure et un attrait particulièrement larges et profonds. Mais cela laisse cependant des problèmes potentiels. La cohérence peut très bien être un lutin un peu bête, mais l’incohérence peut mener à des incompréhensions et à de la confusion.
Il nous faut considérer avec attention la vaste étendue de la présentation de Sangharakshita si nous voulons discerner une position philosophique fondamentale. Mais ce n'est pas une tâche aisée. En la menant, il y a deux points principaux à garder à l'esprit, car ils expliquent une partie de l'incohérence apparente.
Premièrement, sa présentation d'une tradition bouddhique ou d'une autre ne veut pas nécessairement dire qu'il l'approuve. Il a souvent expliqué des enseignements afin que ses disciples puissent apprécier le contexte bouddhique dans lequel ils sont apparus. Ce faisant, il a engagé sa très grande force d'empathie avec ces points de vue et il a essayé de les comprendre dans leurs propres termes, nous aidant ainsi à les comprendre de l'intérieur. Je l'ai en fait vu faire la même chose pour des œuvres de littérature, et même pour des doctrines d'autres religions. Cependant, le fait qu'il rende intelligible un aspect ou un autre de la tradition bouddhique, voire même qu'il en révèle l'efficacité spirituelle, ne veut pas nécessairement dire qu'il le considère utile en lui-même ou qu'il considère qu'il doive avoir cours dans la Communauté Triratna.
Deuxièmement, nous devons prendre en compte le développement personnel de Sangharakshita en tant que pratiquant et que maître. Toute sa vie, il a approfondi sa compréhension du Dharma et clarifié sa façon de l'exprimer. Bien qu'il y ait une continuité frappante dans sa compréhension, depuis ses premiers écrits jusqu'à aujourd'hui, on peut néanmoins discerner une évolution au fil des ans : il est possible de reconnaître l'émergence progressive d'un noyau intégral qui lui est propre. Sangharakshita a lui-même décrit le déroulement du noyau de ce noyau dans son livre The History of my Going for Refuge, et des développements similaires peuvent être trouvés ailleurs.
Nous devons donc toujours lire ses premiers enseignements à la lumière des plus récents. Cela ne nous demande en aucun cas de nous débarrasser de ses anciens écrits – par exemple, de brûler tout livre dans lequel il utilise une terminologie empruntée aux idéalistes allemands, comme « l'Absolu », qu'il évite aujourd'hui. Cela ne nous demande pas non plus de nous couper de tout le Mahayana parce que Sangharakshita trouve aujourd'hui que certaines de ses approches métaphysiques sont réifiées de manière problématique, alors qu'il les a un temps utilisées. Ce que tout ceci implique est que nous devons avoir une bonne compréhension de ses perspectives les plus récentes lorsque nous considérons ses anciennes œuvres, et devons les lire ou les écouter en conséquence. Et, bien sûr, ses disciples devraient aussi faire très attention à leur façon d'utiliser ces anciennes œuvres pour leur propre pratique. Quand ils enseignent le Dharma, ils devraient s'assurer que la position fondamentale est claire et que, s'ils choisissent de se référer à d'autres textes plus ambigus, ils doivent dire de manière évidente qu'ils le font dans un but particulier.
Même lorsque tout ceci est pris en compte, la question posée par Sangharakshita il y a quelques trente ans nécessite toujours une réponse. Quelle est la position philosophique fondamentale de la Communauté Triratna ? Dans la mesure où le mouvement a été fondé sur la présentation particulière du Dharma faite par Sangharakshita, ceci nous demande de connaître sa position philosophique fondamentale. Que devons-nous faire de ses diverses façons de parler de la Vue juste, qu'elles soient dérivées de la tradition ou qu'elles proviennent de ses propres néologismes ? Étant particulièrement soucieux du fait que ceux d'entre-nous qui sommes ses disciples entendons quelque chose de définitif dans des termes aussi problématiques que « l'Absolu », « l'Inconditionné », « le Transcendant », etc., ainsi que dans l'« aller en refuge cosmique », etc., j'ai eu en mars de cette année 2010 une série d'entretiens avec Sangharakshita, durant laquelle nous avons discuté de ses dernières réflexions à ces sujets.
J'ai enregistré nos entretiens avec l'intention de les transcrire et de les retravailler, mais Sangharakshita a cependant préféré que je les écrive avec mes propres mots, puisque le sujet nécessite une précision plus grande que ce qui est possible dans un échange parlé – la détérioration de sa vue ne lui permettant pas d'écrire lui-même ce qu'il pense. C'est ce que j'ai fait dans ce qui suit. J'ai essayé d'expliquer ce que Sangharakshita m'a dit durant ces entretiens, non seulement sur la base de ce qu'il a alors dit mais aussi sur celle de ce que j'ai trouvé ailleurs dans son œuvre et qui semblait pertinent, et j'ai développé sa pensée avec mes propres mots. Ce que j'ai écrit a été soigneusement vérifié par Sangharakshita et peut être considéré comme représentant ses pensées avec précision – avec autant de précision qu'il est possible avec les mots et le style d'une autre personne.
Revering and Relying upon the Dharma © Subhbuti, 2010, traduction © Ujumani 2012.