Avant d'aller plus avant, je veux dire clairement pourquoi cette tâche est nécessaire. Elle est nécessaire car les vues ont de l'importance. Mais, tout d'abord, que sont les vues ? Ce sont essentiellement les façons que nous avons d'organiser et d'interpréter les données brutes de notre expérience. Nos sens, intérieurs et extérieurs, nous livrent une masse indifférenciée d'impressions, qui doivent être réduites à un ordre gérable si nous voulons vivre avec quelque succès. La première étape, pour créer du cosmos à partir du chaos, consiste à étiqueter et à catégoriser nos perceptions afin que le monde devienne un assemblage d'éléments reconnaissables. C'est, dans sa fonction de base, la samjña, l'« interprétation » ou la « reconnaissance ». De manière évidente, une partie de cette mise en ordre primaire est instinctuelle : les animaux aussi peuvent distinguer ce qui se mange et ce qui ne se mange pas, la menace et le membre du troupeau, leur propre territoire et le pays étranger. La capacité à utiliser des mots étend cependant grandement la subtilité et l'étendue de la samjña.
Le langage apporte aussi une chose de plus : le vitarka, la capacité à penser, voire à raisonner, quelle que soit la mesure dans laquelle nous l'utilisions. Nous prenons du recul par rapport à notre expérience et considérons comment les éléments de ce que nous percevons sont en relation les uns avec les autres. Les schémas que nous formons en pensant ainsi sont nos vues. Elles peuvent trouver expression dans des idées et des théories plus ou moins bien articulées, mais le plus souvent elles ne sont pas du tout formulées d'une manière consciente et sont simplement des attitudes et des suppositions non réfléchies qui sont là, dans nos processus mentaux, sans que nous en soyons conscients.
Les vues peuvent être des théories immédiates à propos de situations particulières, ou bien elles peuvent aller jusqu'à des questions fondamentales sur la signification et le but de l'existence humaine et sur la nature de la réalité elle-même. En fait, toutes les personnes conscientes d'elles-mêmes qui n'ont pas réalisé le Dharma directement pour elles-mêmes ont des vues implicites au sujet de leur propre soi et de la vie elle-même, aussi faibles, contradictoires et désordonnées soient leurs idées.
Nos vues ne sont bien sûr pas désintéressées. Elles naissent de notre expérience teintée affectivement et en soutien de notre lutte fondamentale pour éviter ce que nous dédaignons et pour gagner et faire durer ce à quoi nous attachons de la valeur – la douleur et le plaisir étant les deux catégories les plus fondamentales de notre évaluation. En partie, les vues sont des analyses de la situation dans laquelle nous nous trouvons, une explication du pourquoi de l'apparition de la douleur ou du plaisir. En partie, ce sont des stratégies pour agir à partir de cette situation, expliquant comment nous pouvons faire durer, à l'avenir, ce à quoi nous attachons de la valeur. Le plus souvent, selon le Bouddha, ce sont des généralisations trop hâtives à partir de notre expérience (Cf. Brahmajala-sutta, DN 1.3.32). Elles semblent servir nos meilleurs intérêts, mais souvent, en fait, ne nous apportent qu'une souffrance future.
Ayant construit des vues pour traiter de notre expérience dans ce que nous croyons être notre meilleur intérêt, nous nous y attachons. C'est parce qu'elles sont elles-mêmes souvent fortement liées à des sensations de plaisir ou de douleur. Nous avons un sens de soulagement ou de satisfaction quand nous avons une vue des choses, car nous avons en pensée « maîtrisé » la situation et savons maintenant quoi faire.
Les vues peuvent bien sûr être « justes » ou « fausses », avec sans aucun doute diverses tonalités intermédiaires. Afin de distinguer les unes des autres, il nous faut considérer trois choses : la justesse et l'équilibre des données, les valeurs qui sont soutenues, et le résultat. La Vue juste traite les données dans leur totalité : elle donne une yoniso manasikara, une « attention sage », incluant toute l'information, plaisante, douloureuse ou neutre, et la voyant telle qu'elle est dans sa totalité et sa profondeur. Elle reste proche de l'expérience essentielle, la reconnaissant comme partageant les caractéristiques de toute chose : l'impermanence, l'insubstantialité, et l'incapacité à donner une satisfaction permanente, mais offrant toujours une porte vers la libération. La Vue juste soutient le bien le plus élevé et le plus grand qui soit : l'avancée sur la voie vers la libération ultime de tous. Enfin, les vues peuvent être jugées comme justes quand elles résultent en actions qui sont bénéfiques pour soi et pour les autres, en accord avec les préceptes.
Les vues fausses s'appuient sur des interprétations partiales ou sélectives de l'expérience, sur une information déformée qui n'est pas vue dans sa globalité ou sa profondeur. Nous prenons certaines caractéristiques des choses et en laissons d'autres de côté, choisissant ce qui nous plaît, même si, perversement, ce peut parfois être les aspects déplaisants des choses et plus particulièrement des gens. Les vues fausses d'une personne servent des buts étroits, grossiers, égoïstes et résultent en souffrance pour elle-même et pour les autres.
Selon le Bouddha, il y a deux sortes de vues fausses fondamentales : la vue éternaliste et la vue nihiliste. Toutes deux naissent lorsque l'on coupe le flot indifférencié de l'expérience, où les choses semblent apparaître et disparaître, et que l'on insiste sur un de ces aspects au détriment de l'autre. L'éternalisme consiste à insister sur le fait que les choses semblent apparaître. Nous faisons de cette apparition une abstraction et la généralisons en une vue de réalités ultimes et éternelles. Le nihilisme est le résultat de l'abstraction du fait que les choses semblent cesser : nous créons une théorie de la vacuité ultime de la réalité, de son absence essentielle de valeur et de son manque de signification et de but.
Les deux ont des conséquences en termes d'action. Il y a tant de formes de ces deux vues qu'il n'est pas possible de résoudre les résultats à de belles équations, comme c'est souvent fait dans des présentations du Dharma. L'éternalisme, cependant, peut résulter en une forme destructrice de négation de soi ; il mène en particulier à la négation d'une sensibilité morale personnelle et en des actes inhumains qui sont justifiés comme étant des exigences d'une forme de principe éternel – diverses formes de croyances théistes sont des exemples caractéristiques de l'éternalisme. Le nihilisme mène très souvent à une absorption dans une poursuite très étroite du plaisir et à une insouciance envers les valeurs morales, ou à une négation de celles-ci – on pourrait dire que le consumérisme est une construction nihiliste moderne.
La Vue juste ne promeut ni l'attachement aux abstractions réifiées de l'éternalisme, ni le manque de valeur, d'ordre et de signification du nihilisme. Au lieu de cela, elle nous ramène à ce qui peut être clairement vu dans l'expérience, que ce soit, à un moment donné, ce qui se passe en nous, ou ce qui nous arrive, ou ce que nous savons de ceux que nous considérons comme sages.
Il devrait maintenant être évident que les vues que nous entretenons comptent, et comptent même beaucoup. L'intégrité et les bonnes intentions ne suffisent pas : une compréhension intelligente qui est en accord avec la façon dont sont les choses est essentielle. Les idées que nous avons au sujet de la vie, les attitudes que nous avons face à notre expérience, tout cela forme la façon dont nous agissons pour le bien ou pour le mal. La longue expérience de l'humanité démontre amplement que les idées comptent réellement : nous pouvons par exemple voir la terrible inhumanité qui a découlé de vues au XXème siècle, que ce soit des vues fascistes, communistes ou colonialistes. Une grande part des dangers du monde, de nos jours, provient de la confrontation, au Moyen-Orient, entre des vues incompatibles : juives, chrétiennes, socialistes, néo-libérales, progressistes, etc.
Les vues ont bien sûr aussi été à la base de beaucoup de bien dans le monde, et aujourd'hui nous devons mettre espoir et énergie pour le triomphe de toutes les sortes de vues humanitaires. Si l'on considère l'énorme potentiel destructeur de la technologie moderne, on peut dire que la survie du monde, aujourd'hui, dépend de l'influence étendue de vues plus utiles sur la nature de cette vie, sur la signification et le but de l'humanité, et sur la responsabilité que les êtres humains ont les uns envers les autres – et envers d'autres êtres aussi.
Les vues comptent car elles donnent forme à notre vie éthique ; elles donnent aussi forme à la vie spirituelle ou religieuse, dans le sens le plus large. Une véritable croissance spirituelle est une possibilité inhérente à la vie même et peut être vue chez certains disciples de la plupart des religions – ainsi qu'en dehors des religions, en particulier dans les domaines des arts et de la philosophie. Le problème est que, dans de très nombreux cas, les religions déforment la croissance humaine du fait de leur façon de comprendre la vie – du fait de leurs vues, en particuliers de leurs vues éternalistes. Il est très significatif que, dans le sutta de Brahmajala (DN, 1), la présentation classique du Bouddha sur le sujet, une majorité des soixante-quatre vues fausses énumérées soient des mauvaises interprétations d'expériences visionnaires et méditatives : les vues distraient de l'expérience supérieure et l'empêchent de mener à la libération.
Ce qui est caractéristique du bouddhisme est sa clarté certaine au sujet de la voie et du but auquel mène cette voie. Le Bouddha vit vraiment très clairement le danger des vues et la nécessité de maintenir une prise de conscience vive de la façon dont nous pensons à notre vie et en parlons, de nos efforts sur la voie, et particulièrement de notre compréhension de la vraie nature des choses. Les textes pâlis nous le montrent toujours vigilant face aux idées nuisibles, ou au moins non utiles, que ce soit au sujet de la vie éthique ou à celui de l'atteinte de la libération. Il est très frappant que le sutta de Brahmajala soit le premier sutta du premier nikaya du premier pitaka du Tripitaka. Les vues fausses mènent à une distorsion de l'expérience humaine et, au mieux, empêchent l'épanouissement complet d'une véritable aspiration spirituelle ; au pire, elles mènent à tous les maux dont sont capables les êtres humains.
Jusqu'à ce que nous ayons vu directement les choses telles qu'elles sont, nous nous reposons sur les vues justes pour notre pratique du Dharma. C'est pour cela que l'étude est un aspect tellement important de la pratique du Dharma. Nous devons débarrasser notre esprit des vues fausses qui forment tant de nos pensées et attitudes, que ces vues soient éternalistes ou nihilistes, sous toutes leurs formes et sous-formes. Ceci nécessite de notre part une introspection certaine, en particulier en étudiant et en discutant le Dharma avec ceux qui ont les idées plus claires que les nôtres à son sujet. En même temps, nous devons acquérir la Vue juste, l'ensemble d'idées au sujet des choses qui nous ramènent à ce que ces dernières sont réellement et qui nous enseignent tout d'abord à vivre en harmonie avec nous-même et avec les autres, par l'éthique et la méditation, puis, par la sagesse, à atteindre la libération de la souffrance.
Le Bouddha combattait avec vigueur toutes les vues fausses, les considérant comme « un fourré, une jungle, un enchevêtrement » dans lequel on peut facilement se perdre. Il enseigna la Vue juste en tant que premier membre de sa présentation la plus fondamentale de la Voie : le Noble chemin octuple. Il n'enseignait cependant pas la philosophie, malgré ce que dit de lui Sangharakshita dans son ancien essai Philosophy and Religion in Original and Developed Buddhism – au moins pas la philosophie spéculative ; si l'on pouvait le décrire comme un philosophe, ce serait un philosophe empiriste. Il ne cherchait pas à donner une présentation complète et obtenue rationnellement de la réalité, ni une explication du pourquoi et du comment de son fonctionnement. Il considérait que ceci distrayait du vrai travail. Plusieurs fois, il a dit qu'il n'avait pas de vues, dans le sens de ne pas soutenir de position philosophique préconçue (par exemple KN, IV.8 et 9). Il voyait comment sont les choses directement par sa sagesse et n'avait pas besoin de position à partir de laquelle les évaluer. C'était cependant un penseur, réfléchissant profondément à sa propre expérience de la souffrance, et montrant ce qui nous est nécessaire de savoir afin de nous en libérer.
La pensée du Bouddha représentait une rupture complète de celle de ses contemporains et de ceux qui l'ont précédé en Inde. Son enseignement était tout à fait étranger à la mentalité et au mode d'expression généraux indiens, tant avant qu'après son époque. Il lui fallait bien sûr traiter certaines des préoccupations de son temps et s'exprimer dans une terminologie commune. Mais il rejetait les tendances métaphysiques et spéculatives fréquentes à l'époque. Son refus de répondre aux quatre problèmes métaphysiques posés par l'errant Vachagotta est connu : il les rejetait comme n'étant pas utiles pour atteindre la libération de la souffrance (MN 72).
Le Bouddha évitait scrupuleusement toute abstraction métaphysique dans sa présentation du Dharma – on a présenté cela comme sa « réticence métaphysique ». Là où l'on a interprété ses dires comme étant de l'« abstraction » (par exemple le « non-né », dans le sutta de l'Ariyapariyesana (MN 26, 12), il est clair qu'il s'exprime poétiquement et ne doit pas être pris philosophiquement. Il ne prit cependant pas longtemps à la tendance indienne à penser de manière hautement abstraite pour s'en prendre à ses enseignements. La théorie du Dharma développée par l'Abhidharma fut le premier pas, et des penseurs du Mahayana tardif allèrent plus loin encore, culminant dans la doctrine du Tathagathagarbha, avec sa riche variété de formes et d'interprétations, parfois véritablement très complexes.
Ceux qui ont développé de telles approches théoriques peuvent, dans leur contexte et leur expérience propres, avoir bien utilisé les enseignements et les pratiques dont ils avaient hérité, pour traiter les problèmes qui étaient les leurs, en particulier ceux qui étaient posés par les défis des brahmanes ; ils peuvent bien avoir été entièrement fidèles à l'esprit du Dharma. Il est possible, comme Sangharakshita lui-même l'a fait, d'utiliser spirituellement certaines de ces constructions métaphysiques de façon très bonne et très inspirante. Elles trahissent cependant la méthode fondamentale du Bouddha – et l'on pourrait dire que sa méthode elle-même était un aspect principal de son enseignement : la façon de parler du Bouddha était aussi significative que ce qu'il disait. Ceci implique un quatrième critère pour la vue juste, en plus de ce qui a été mentionné ci-dessus – la justesse et l'équilibre des données, les valeurs qui sont soutenues, et le résultat éthique. Nous devons aussi considérer l'effet du langage que nous utilisons : communique-t-il une impression éternaliste ou nihiliste ? Sangharakshita croit que la réponse est oui pour un assez grand nombre de termes utilisés dans toute la tradition bouddhique.
Sangharakshita reconnaît qu'il a lui-même employé un certain nombre de termes apparemment métaphysiques dans ses propres présentations, « l'Absolu » étant l'exemple le plus fréquent. Le problème est que quand on entend ou lit des termes tels que « l'Absolu », « l'Inconditionné », « le Transcendant », « le Non-dual », « la Nature de Bouddha », en particulier s'ils ont une majuscule, on les comprend comme renvoyant à une entité métaphysique réelle mais existant, d'une certaine manière, hors de ce dont on peut faire l'expérience. Ceci mène aisément à des vues, à des formes d'éternalisme, et ces vues fournissent une base à l'action, laquelle deviendra aisément malhabile et défavorable puisque ces vues ne sont pas en accord avec la façon dont les choses sont réellement. Une telle terminologie quasi-philosophique ou métaphysique doit être évitée, en particulier dans notre enseignement général. Elle ne devrait être utilisée que lorsqu'elle est vraiment utile et que l'on peut clairement dire que l'on ne parle que dans un sens poétique, métaphorique ou imaginatif – chose qu'il n'est jamais certain que nos interlocuteurs comprennent bien, même si notre propre compréhension en est lumineuse.
En général, dit Sangharakshita, plus notre mode d’expression est abstrait, moins il exprime authentiquement l’enseignement du Bouddha ; et plus il est concret, plus il l’exprime authentiquement. S’il nous faut faire beaucoup de gymnastique mentale pour dire clairement que de telles abstractions ne renvoient pas à des réalités ontologiques, notre suspicion devrait être éveillée et nous devrions faire très attention en les utilisant. Quand nous lisons ou entendons de tels termes dans les propres œuvres de Sangharakshita, nous devons prendre conscience de ses intentions – une évocation imaginative ou poétique du but d’un vie selon le Dharma. Et peut-être devons-nous faire attention en l’imitant dans cette façon de faire. Nous ne devrions pas nous égarer dans une spéculation plus que cela n’est strictement nécessaire pour la pratique réelle du Dharma. Tel était pour nous l’exemple direct du Bouddha.
Le danger mentionné jusqu'ici se trouve du côté éternaliste de l'étendue des vues fausses. Le nihilisme est cependant tout autant un danger – et peut-être un danger pire à l'époque où nous vivons. Comment transmettons-nous un sens de but et de signification plus profonde de la vie, de quelque chose qui est au-delà de notre portée présente, sans que, bien sûr, ce « quelque chose » semble se référer à une réalité supra-expérimentale ? Comment gardons-nous devant nous un « objet transcendant », pour reprendre la phrase peut-être dangereuse de Sangharakshita : un but supérieur de nos efforts spirituels ? Il nous est essentiel d'imaginer et de concevoir un tel but, car la vie avec le Dharma est vécue pour aller au-delà de ce que nous sommes aujourd'hui. Si nous n'avons pas cette image devant nous, nous ne pouvons diriger nos énergies vers la pratique du Dharma. Dans notre vif désir d'éviter l'éternalisme, nous devons faire attention à ne pas tomber dans le nihilisme. Mais comment allons-nous l'éviter ? Vers quoi allons-nous, qui est au-delà de ce que nous sommes aujourd'hui ? Comment pouvons-nous en parler ?
Il n'y a pas que le problème de là où nous allons : comment allons-nous y aller ? La vie selon le Dharma nous emmène au-delà de notre identité étroitement auto-centrée et de ses motivations basées sur l'égoïsme. Qu'est-ce qui prend la suite de nos instincts normaux, aussi bénins soient-ils ? À moins que nous n'ayons déjà quelque expérience durable de ce but et de cette motivation supra-égotiste, nous avons besoin de les garder à l'esprit, de leur permettre d'avoir une présence convaincante et inspirante dans notre vie, et d'aligner nos actions sur elles. Nous avons besoin de nous référer à un but et à une force motrice supra-égoïste et de leur faire confiance, afin qu'ils puissent donner forme à nos choix, en accord avec le Dharma : nous avons de plus en plus besoin d'avoir le sens d'une direction vers laquelle nous sommes attirés, et d'une énergie plus profonde qui nous y porte. Mais comment pouvons-nous nous y référer sans suggérer quelque chose de métaphysique qui existe vraiment ?
Pour Sangharakshita lui-même, ceci ne semble jamais avoir été un problème. Dès son premier contact avec le Dharma, ce dernier a eu sur lui et en lui un impact vif et direct. En lisant le Soutra du Diamant à l'âge de 16 ans, il a fait l'expérience de « quelque chose d'ineffable » qu'il « embrassa tout de suite joyeusement avec une acceptation et un assentiment sans réserves ». Ceci mit en marche en lui une fontaine d'énergie joyeuse et lui donna un sens de liberté sans bornes. Dès ce moment-là, il fut attiré vers l'avant, ne doutant jamais de la direction qu'il prenait. Il fit de plus en plus l'expérience d'une motivation apparaissant en lui, qui allait au-delà de lui-même –venant de l'idéal du bodhisattva, de sa visualisation de Tara, de Manjusri et d'autres bouddhas et bodhisattvas.
Il eut une expérience particulièrement forte de cette motivation supra-personnelle après son arrivée à Nagpur, le 6 décembre 1956, quand il apprit la mort de Dr Ambedkar. Il fit l'expérience de lui-même comme répondant entièrement spontanément à la crise à laquelle les nouveaux bouddhistes faisaient face après la perte de leur leader vénéré – répondant avec une profonde inspiration et une grande efficacité, comme si une chose loin au-delà de lui était à l'œuvre au travers de lui. Il dit qu'alors que jour après jour il faisait sans repos discours après discours, il lui semblait que ce n'était pas lui qui parlait. Parfois il ne savait pas ce qu'il disait : « Les mots sortaient juste de ma bouche, et je les entendais presque comme si j'écoutais une autre personne ; ils n'étaient pas précédés de pensée. »
Plus tard, quand il enseignait en Grande-Bretagne, il sentit souvent qu'à un moment dans son discours quelque chose prenait les rênes qui était plus que lui-même. Dans la même veine, il parla plus tard de l'Ordre bouddhiste Triratna comme ayant été fondé à travers lui, plutôt que comme lui fondant l'Ordre. Considérant toute sa vie et y réfléchissant, il lui semble qu'il a été poussé par un vent qui venait de bien au-delà de lui-même.
Revering and Relying upon the Dharma © Subhbuti, 2010, traduction © Ujumani 2012.