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Sangharakshita a toujours cherché des ponts entre le Dharma et la culture occidentale. L’« évolution supérieure » est un regard particulier sur le bouddhisme, utilisant une notion plus culturellement contemporaine. Le concept d’évolution est certainement un concept important de la pensée moderne, et Sangharakshita l’utilise ici pour transmettre les vérités éternelles que le bouddhisme cherche à communiquer : le potentiel inné qu’a chaque être humain pour atteindre l’Éveil, et les moyens par lesquels ceci peut être réalisé. Dans ce cadre, Sangharakshita considère ici des idées du philosophe allemand Friedrich Nietzsche.
Ce que je propose de faire est de dire, pour commencer, quelques mots à propos de la vie et du travail de Friedrich Nietzsche (1844-1900) et ensuite de poursuivre avec l'une des conceptions centrales de sa pensée, c'est-à-dire la conception de l'homme supérieur. Apres cela nous comparerons la pensée de Nietzsche, particulièrement celle de l'homme supérieur, avec ce sujet entier de l'évolution supérieure de l'homme, ainsi qu'avec le bouddhisme comme l'incarnation, l'exemplification de cette évolution supérieure.
Je dois dire pour commencer, et ici nous avons peut-être juste un autre petit fragment d'autobiographie, je dois dire que je suis personnellement très content de pouvoir faire cette comparaison du bouddhisme avec la pensée de Nietzsche à travers la conception de l'homme supérieur. Je suis devenu familier avec Nietzsche, avec ses écrits, quand j'avais environ dix-huit ans et demi, et à ce moment-là il se trouvait que j'étais dans l'armée. Je me rappelle très bien qu'un jour j'avais un jour de congé, et je me rappelle profiter de ce jour de congé pour aller à Box Hill dans le Surrey, un bel endroit célèbre comme beaucoup d'entre vous le savent. C'était un merveilleux jour d'été et j'ai gravi le sommet de Box Hill, et je me suis allonge là dans la lumière brillante du soleil, sur l'herbe, et j'ai lu Ainsi parlait Zarathoustra. Je peux me rappeler encore maintenant l'immense impression que fit sur moi cet ouvrage, généralement considéré comme l'ouvrage le plus célèbre et le plus populaire de Nietzsche. Comme je lisais ces mots, ces phrases, ce ne sont pas seulement de profondes pensées, mais également une très belle poésie, et comme j'enlevais les yeux vers le ciel bleu il semblait presque que les mots de Zarathoustra, les mots de Nietzsche, étaient écrits en travers du ciel bleu en lettres écarlates. Donc j'ai entretenu si vous voulez une sorte de faiblesse pour Nietzsche depuis lors, et je suis retourné vers lui, l'ai lu, de temps à autre.
Nietzsche est né en Allemagne en 1844. Son père était un pasteur luthérien. C'est en fait Nietzsche qui a dit que le pasteur luthérien était le père de la philosophie allemande ; mais ceci est une autre histoire. Son père meurt en 1849, quand Nietzsche a seulement 4 ou 5 ans, et Nietzsche passe toute son enfance entouré par sa mère, sa sœur, sa grand-mère, et deux tantes vieilles filles. Et il fut envoyé quand il fut un peu plus âgé, à l'école communale, et de là il poursuivit ses études aux universités de Bonn et de Leipzig où il étudia la philologie classique, ceci était son sujet. Mais pour une raison ou une autre il n'obtint pas le doctorat, mais malgré cela il fut appelé, à l'âge de 24 ans, à l'université de Bâle pour occuper la chaire de philologie. Ceci grâce à la forte recommandation du grand érudit et philologue, Ritschl, qui a été très impressionné par le travail de Nietzsche en tant qu'étudiant. Donc voilà Nietzsche à l'université de Bâle enseignant la philologie classique. Mais il ne laissa pas tomber ses études, il étudiait la philosophie, en particulier Schopenhauer, et il se prit d'intérêt pour la musique, particulièrement pour la musique de Wagner. Et en 1872, alors qu'il était toujours un très jeune homme, il publia son premier livre qui portait le titre de La naissance d'une tragédie. C'était un ouvrage court mais brillant, d'un intérêt assez exceptionnel. Durant les quelques années suivantes il publia un nombre important d'autres travaux. Mais en 1879, alors qu'il n'a que 35 ans, il démissionne de son engagement universitaire, termine sa carrière d'académique, et après cela il passa la plus grande partie de sa vie active, c'est à dire de sa vie d'écriture, en Suisse et en Italie.
Lorsque l'on lit la vie de Nietzsche, malgré son immense accomplissement dans le domaine de la philosophie, dans le domaine de la pensée, des accomplissements assez remarquables, assez exceptionnels, on ne peut pas s'empêcher de se sentir un peu triste parce que toute la vie de Nietzsche à partir du moment où il quitte l'université a été une vie de solitude intense et grandissante. Il est entièrement seul. Il n'y avait apparemment personne, ou presque personne, qui le comprenait, et avec qui il aurait pu être vraiment ami, à part deux ou trois cas, à travers le moyen de la correspondance. Et il a souffert également d'une douleur toujours grandissante. Il n'était pas en bonne santé et l'un des érudits qui a écrit sur lui a laissé un très émouvant, un très touchant, portrait de Nietzsche et la façon dont il vivait, cette vie si solitaire, si recluse, si isolée, accompagnée de souffrance physique et mentale. Mais malgré tout cela, Nietzsche continua d'écrire et entre 1883 et 1885 il écrira Ainsi parlait Zarathoustra, qui comme je l'ai déjà dit, était et est son ouvrage le plus célèbre et le plus populaire. Et il continua d'écrire jusqu'en 1888, mais il continua d'écrire dans une isolation croissante et dans une souffrance physique croissante, parfois une souffrance presque insupportable. Pas seulement cela, mais son travail n'obtint pratiquement aucune reconnaissance. Quand il publia par exemple la quatrième partie de Zarathoustra, je crois que seulement quelques douzaines de copies furent vendues. Personne ne semblait remarquer ses écrits, ses idées, etc. donc il n'avait pas de reconnaissance, ou au mieux un aperçu de reconnaissance très minuscule, très faible, certainement rien de correspondant avec l'importance de son travail. Et puis en 1889 Nietzsche devint fou, et mourut, toujours fou, en 1900 à l'âge de 55 ans. Donc ainsi fut la vie, ainsi fut l'œuvre de Nietzsche.
‘The Higher Evolution’ © Sangharakshita, 1969, traduction © Centre Bouddhiste Triratna, 2002.