Donc ceci est la grande vision avec laquelle nous sommes concernés ; c'est le grand éclair de lumière en quelque sorte, que Zarathoustra enseigne le surhomme, enseigne que l'homme est quelque chose qui doit être surmonté, et demande : qu'avez-vous fait pour le surmonter ? Ce qui signifie, bien sur, pour vous surpasser. D'autres, de plus petits éclairs suivent, et les autres éclairs nous montrent comment Nietzsche est arrivé au concept du surhomme et nous voyons, peut-être sans surprise, qu'il y soit arrivé au concept de l'évolution supérieure, au concept de l'homme nouveau. Nietzsche assez clairement, assez explicitement, arrive au concept du surhomme en considérant la nature générale du processus de l'évolution. Zarathoustra, dans ce prologue, ou plutôt Nietzsche, souligne que jusqu'à présent dans l'histoire, tous les êtres ont créé quelque chose au-delà d'eux-mêmes. Ils ne se sont jamais arrêtés. Ils ne sont jamais arrivés à une halte. Tout être, toute sorte d'être, a créé quelque chose au-delà de lui-même, a donné naissance à quelque chose de supérieur à lui-même dans l'échelle évolutionniste. Et Nietzsche, à travers la bouche de Zarathoustra, dit qu'il n'y a pas de raison de supposer que ce processus s'arrêtera avec l'homme. Il dit, clairement, explicitement : le singe a créé l'homme. Et de la même façon, d'une façon même supérieure, d'une façon même meilleure, une façon plus glorieuse, l'homme lui-même doit maintenant créer le surhomme ; et comment l'homme crée-t-il le surhomme ? L'homme doit créer le surhomme en se surpassant lui-même. Et ceci signifie, continue Nietzsche, qu'il doit apprendre à se mépriser lui-même, à être insatisfait et mécontent de lui-même ; parce que c'est seulement quand il commence à se mépriser lui-même qu'il commence à s'élever au-dessus de lui-même, à être parfois supérieur, plus grand, plus noble qu'il était.
Mais il est important de clarifier, il est important de faire remarquer que Nietzsche n'était pas un Darwinien dans le sens populaire du terme. Pour Nietzsche, le surhomme n'est pas seulement, ou ne sera pas seulement le dernier, le dernier produit du processus évolutionniste. Ce n'est pas que le processus évolutionniste avance, avance, avance, et puis hop ! vient le surhomme. En d'autres mots, le surhomme ne sera pas produit automatiquement, ne sera pas produit en résultat de la fonction générale aveugle du processus évolutionniste. En fait, nous trouvons dans ses écrits, dans ses œuvres, que Nietzsche distingue nettement ce qu'il nomme le dernier homme d'un côté, et le surhomme de l'autre. Et le dernier homme est simplement le dernier produit du processus général collectif évolutionniste de l'humanité. Le dernier homme n'est pas un homme supérieur. C'est à dire que le surhomme sera le produit de l'effort individuel de l'homme pour se surpasser, pour s'élever, pour planer, si vous voulez, au-dessus de lui-même. Et c'est en tenant compte de cette distinction, cette distinction qu'il fait entre le dernier homme d'un côté et le surhomme de l'autre, que Nietzsche est capable de se dissocier des idées superficielles du 19eme siècle sur le progrès humain ; les idées que le progrès continue indéfiniment et que l'homme devient de plus en plus meilleur, et de plus en plus supérieur. Nietzsche n'accepte pas cela. En d'autres mots, l'homme ne devient pas meilleur automatiquement simplement en vertu du passage du temps. Nous devons faire quelque chose à ce propos. L'homme ne devient pas meilleur automatiquement en vertu du passage du temps mais il peut se faire meilleur s'il le choisit.
On doit avouer que Nietzsche n'est pas très clair parfois sur ce point, ou au moins, pas toujours très explicite, mais il semble dit quelque chose à savoir que tandis que l'évolution inférieure est collective, l'évolution supérieure est individuelle. Nietzsche en fait a une sorte de vision de l'homme, une sorte d'image de l'homme, dans son esprit. Nietzsche dit qu'il voit l'homme comme une corde, une corde, dit-il, étirée entre la bête d'un côté, et le surhomme de l'autre.
Et Nietzsche, qui n'est rien sinon suggestif, rien sinon imaginatif, dit que cette corde qui est étirée entre la bête et le surhomme est étirée au-dessus d'un abysse. Il est dangereux en d'autres mots d'être un homme, ou tout au moins cela devrait être dangereux. L'homme, précise-t-il, est quelque chose de transitionnel. Il n'est pas seulement une corde, il est aussi un pont. Il est un pont et pas une fin ; et étant une corde, étant un pont, et n'étant pas une fin, il doit vivre pour quelque chose d'autre que lui-même. Et ce quelque chose d'autre, pour lequel chaque homme, chaque individu, devrait et doit vivre, est le « surhomme ». Nietzsche, en fait, ne fait pas seulement la distinction entre la bête et le surhomme, il fait aussi la distinction entre l'homme et le surhomme. Il distingue aussi l'homme comme animal de l'homme comme être humain ; et la distinction pour Nietzsche, est vraiment très marquée. Il dit, en fait, que la majorité des hommes ne sont pas des hommes, que la majorité des hommes sont des animaux. Comme nous l'avons déjà indiqué la plupart des gens n'ont pas encore atteint l'humanité. D'après Nietzsche, le point décisif, le grand tournant de l'évolution, du processus de l'évolution, n'est pas comme entre l'animal et l'homme, il est entre l'homme qui est toujours un animal, et l'homme qui n'est plus un animal, l'homme qui est véritablement humain. Ce point décisif est le point de l'émergence de la conscience de soi, de la prise de conscience, le point auquel débute l'évolution supérieure.
Kaufmann, exposant Nietzsche, dit de lui : « il soutient, en effet, que le gouffre qui sépare Platon de l'homme moyen est plus grand que la crevasse entre l'homme et le chimpanzé ». Ceci est la pensée de Nietzsche. Et ce n'est pas une vue qui est très flatteuse pour l'homme moyen. L'homme moyen n'aime pas vraiment entendre qu'il s'élève de très peu, sinon pas du tout, au-dessus du niveau animal, qu'il est à court d'une véritable humanité. Ce n'est pas le genre d'image de lui-même qu'il se donne la peine de voir, et ce n'est pas surprenant que quand Zarathoustra, dans le prologue, parle au peuple sur la place du marché à propos du surhomme, ils rient de lui. Cela les intéressait beaucoup plus de regarder le funambule.
Nous pouvons dire que Nietzsche distingue 3 catégories :
Nietzsche parle aussi de ce qu'il nomme les « hommes préliminaires » et, bien qu'il ne soit pas clair sur ce point, ceux-ci semblent être des intermédiaires entre l'homme véritable d'un côté, et le surhomme de l'autre ; et Nietzsche décrit ces « hommes préliminaires » avec un penchant pour rechercher dans toutes choses cet aspect qui doit être dépassé. Ceci est la caractéristique des hommes préliminaires ; et il exhorte ces hommes préliminaires à vivre dangereusement, pas en sécurité, pas douillettement, pas confortablement, mais de façon incertaine, même dangereuse. Et Nietzsche dit entre autres choses, que les hommes véritables, ceux qui ne sont plus des animaux, sont seulement les philosophes, les artistes et les saints. Dans un sens, il les considère comme étant réellement et véritablement humain, ce qui va considérablement plus loin que là où nous sommes allés. Et le surhomme, apparemment, est quelque chose d'encore plus élevé, de supérieur aux philosophes, aux artistes et aux saints. Mais il est aussi très clair, dans la pensée de Nietzsche que les philosophes, les artistes et les saints, se dépassent eux-mêmes, et que de cette façon, dans un sens, sont aussi des surhommes.
‘The Higher Evolution’ © Sangharakshita, 1969, traduction © Centre Bouddhiste Triratna, 2002.