Prendre conscience de la Réalité ne signifie pas penser à la Réalité ; cela ne signifie même pas penser à prendre conscience de la Réalité. La meilleure façon de la décrire est de dire que la prise de conscience de la Réalité est une contemplation directe, non discursive. Elle a, bien entendu, de nombreuses formes, et je ne vais en mentionner qu'une ou deux.
Une de ces formes les plus connues et les plus largement pratiquées est celle de la remémoration - ou de la prise de conscience - du Bouddha, de Celui qui est Éveillé. Par cela on entend la prise de conscience de la personne du Bouddha, dans le sens de la prise de conscience de la Réalité incarnée dans la forme du maître humain Éveillé. En pratiquant cela avec régularité on commence généralement par prendre intérieurement conscience de l'aspect extérieur du Bouddha - de ce à quoi il peut avoir ressemblé alors qu'il parcourait les routes de l'Inde il y a deux mille cinq cents ans. On voit, ou on essaie de voir, la grande et sereine silhouette dans sa robe jaune, marchant d'un bout du nord de l'Inde à l'autre, prêchant et enseignant. Puis on voit le Bouddha - on essaie d'en prendre intérieurement conscience - à certains moments importants de sa vie, en particulier assis sous l'arbre de l'Éveil, repoussant avec son propre esprit les armées de Mara, et atteignant l'Éveil. Divers autres épisodes peuvent aussi être imaginés.
Puis on se remémore, on prend conscience des attributs ou des qualités spirituelles du Bouddha : la sagesse sans limites, la compassion infinie, la grande paix, la pureté immaculée, etc. Ayant pris conscience de ces attributs, on essaie de pénétrer jusqu'à leur essence commune la plus profonde. On essaie de pénétrer jusqu'à la Bouddhéité de la Bouddhéité, jusqu'à l'Éveil de l'Éveil, et de prendre conscience de cela. En d'autres termes on essaie de prendre conscience de la Réalité elle-même, s'exprimant - et même rayonnant - à travers la personne du Bouddha, de l'Éveillé.
On peut aussi pratiquer, dans le même ordre d'idées, la prise de conscience de la Sunyata, la vacuité : la prise de conscience de la Réalité en tant que dépourvue de tout contenu conceptuel, au-delà de l'atteinte de la pensée et de l'imagination, et même de l'aspiration et du désir ; mais cette sorte de prise de conscience de la Réalité dans sa nudité ne peut être pratiquée qu'après quelque expérience de la méditation.
La prise de conscience de la Réalité est, de toutes les formes de prise de conscience, la plus difficile à maintenir. A cause de cela, diverses méthodes ont été développées pour nous aider à maintenir une constante remémoration, une constante conscience de la Réalité, de l'Ultime, du Transcendantal. L'une de celles-ci est la répétition constante d'un mantra, une syllabe, un mot ou un groupe de syllabes sacrées qui sont en général liées à un bouddha ou à un bodhisattva particulier. Non seulement la constante répétition de ce mantra - après, bien sûr, avoir été proprement initié - nous met en contact avec ce qu'il représente, mais elle nous garde en contact avec cela au milieu de toutes les vicissitudes, de tous les hauts et les bas, et même de toutes les douleurs et tragédies de la vie quotidienne. Finalement, cette répétition devient spontanée (et non automatique), montant sans cesse en nous, indépendamment même de notre propre volition, et ainsi un petit lien avec la Réalité est maintenu, au milieu même de toutes les activités, de tous les devoirs, de toutes les responsabilités, de toutes les épreuves, et aussi de tous les plaisirs de l'existence humaine ordinaire.
Voici donc les quatre principaux niveaux de prise de conscience : prise de conscience des choses, prise de conscience de soi, prise de conscience des gens et, au-dessus de tout, prise de conscience de la Réalité. Chacune d'entre-elles a ses effets caractéristiques sur la personne qui la pratique. Par la prise de conscience des choses telles qu'elles sont réellement, nous nous libérons de la souillure de la subjectivité. La prise de conscience de soi affine notre énergie psychophysique. La prise de conscience des autres stimule. Enfin, la prise de conscience de la Réalité transmute, transfigure, et transforme.
Toutes ces différentes formes de prise de conscience contribuent, à leur manière propre et caractéristique, au processus de l'évolution supérieure. Séparément et ensemble, elles contribuent à nous rapprocher considérablement de la dernière étape du Chemin - la Samadhi parfaite.
'Vision and Transformation' © Sangharakshita, Windhorse Publications 1990, traduction © Christian Richard 2003.