Le Mahâyâna exprime très bien l'esprit de tout le processus et le fait que ce processus prenne place dans un contexte bien plus grand, cosmique même. Nagarjuna dit dans la Précieuse Guirlande :
« Grâce à la foi dans le Mahâyâna,
Et grâce aux pratiques qu'il décrit,
L'Éveil le plus haut est atteint,
En chemin tous les plaisirs. »
Pourquoi « tous les plaisirs » le long du chemin du Mahâyâna, plutôt que du celui du « Hînayâna » ? On peut dire simplement que la différence est l'idéal du bodhisattva. Le « Hînayâna » parle plus en termes d'abandon des choses, de discipline personnelle, de se débarrasser de l'avidité, etc. Quand le but est mentionné, c'est habituellement en termes de cessation de la souffrance ou de cessation de l'avidité. Pour la plupart des gens, ce n'est pas une perspective très inspirante, pas au début de leur vie spirituelle en tout cas. L'idéal du bodhisattva du Mahâyâna est tout simplement plus inspirant.
À l'époque du Bouddha, quand l'idéal était visiblement présent sous la forme du Bouddha lui-même, on peut penser qu'il n'y avait guère besoin d'en parler. Mais quand le Bouddha n'a plus été là, l'idéal qu'il représentait a dû être formulé d'une façon ou d'une autre. Quelque chose a dû être créé à la place de la présence physique du Bouddha. Avec l'émergence de l'idéal du bodhisattva, le bodhisattva en est venu à représenter la sorte de personne qu'il vous fallait devenir si vous vouliez être comme le Bouddha.
C'est une question de vision. Si nous sommes inspirés par la construction d'un centre bouddhiste, pour prendre un exemple, nous aurons besoin d'avoir une vision de ce que nous créons. Si nous avons en tête de belles images du Bouddha, des pièces spacieuses et paisibles, et une merveilleuse communauté de personnes, alors même lorsque nous peignons un plafond ou démolissons un mur, nous serons inspirés pour le faire. Si quelqu'un venait et nous disait juste : « démolis ce mur », ce serait tout à fait différent. Si nous faisons ce que nous faisons en vue d'un but positif, nous pouvons travailler beaucoup plus joyeusement. Cela peut vraiment devenir du plaisir, du début à la fin.
Nous devons donc trouver un équilibre entre vision et pragmatisme. La meilleure solution est peut-être d'avoir les deux ensemble : prendre le Theravâda pour la pratique quotidienne, ici et maintenant, et le Mahâyâna comme guide vers l'idéal, tel qu'il existe en dehors du temps et de l'espace, indépendamment de nos propres petits efforts.
Tout ce dont nous avons vraiment besoin est d'avoir la foi en la conservation des valeurs spirituelles au-delà de la mort. Si nous avons cette foi, nous pouvons être sûrs que, si nous pratiquons le Dharma ici et maintenant, le futur suivra : quand et où nous renaîtrons, si nous deviendrons un bouddha dans quelque cosmos lointain, etc. Nous ne pouvons peut-être pas, de façon réaliste, faire de la bouddhéité l'objet de notre aspiration. Nous n'avons pas besoin de prendre les soûtras du Mahâyâna littéralement ; ils peuvent être considérés comme donnant un aperçu plein d'inspiration d'un monde archétype, mais non comme donnant d'une manière détaillée un schéma pour une vie bouddhiste. On retire du canon en pâli un sens bien plus fort d'un tel schéma.
Nous ne pouvons pas nous approprier, en tant que personne (ce qui veut vraiment dire en tant qu'ego), les attributs, qualités, activités et vœux d'un bodhisattva. Ce n'est pas comme si vous ou moi, en tant que personnes, allions devenir des bodhisattvas dans un sens cosmique. Il y a un bodhisattva, voire le bodhisattva, qui est à l'œuvre, et l'on fait tout ce que l'on peut pour soutenir cette œuvre et pour coopérer. Tout comme le bouddha du samboghakaya, le bouddha archétype, représente l'idéal de l'Éveil en dehors de tout contexte historique, de la même façon le bodhisattva ne représente non pas une personne historique mais ce qui pourrait être appelé l'esprit de l'Éveil à l'œuvre dans le monde, et personnifié sous cette forme de bodhisattva.
The Bodhisattva Ideal © Sangharakshita, Windhorse Publications 1999, traduction © Centre bouddhiste Triratna de Paris 2006.