Le deuxième grand vœu est : « Puissé-je éradiquer toutes les passions ». Quelles sont donc ces passions, et comment peuvent-elles être éradiquées ? Le terme couvre toutes les souillures mentales, c'est-à-dire toutes les émotions négatives, les conditionnements psychologiques, les préjugés et les idées préconçues. Il y a plusieurs listes traditionnelles de ces passions. Il y a tout d'abord les trois racines malsaines : l'avidité, l'aversion et l'ignorance, symbolisées par le coq, le serpent et le cochon représentés au centre de la roue de la vie tibétaine. Dans toutes les représentations de la roue, il y a, juste au centre de tous les cercles et de toutes les subdivisions, au centre de notre propre vie, ces trois créatures, chacune mordant la queue de celle qui la précède. Ce sont les forces motrices de notre existence. Une autre liste de passions est celle des cinq nivaranas, les cinq obstacles à la méditation : le désir d'expériences sensorielles, la malveillance, l'agitation et l'anxiété, l'engourdissement et la torpeur, et le doute et l'indécision.
Puis il y a les cinq poisons que sont la distraction, la colère, l'avidité, l'orgueil et l'ignorance. Le mot poison est approprié. Les émotions négatives sont littéralement des poisons, et quand nous leur donnons libre cours, nous nous empoisonnons littéralement. Parfois, comme nous sommes envahi par une forte émotion négative, en particulier la colère ou la haine, nous pouvons ressentir une douleur aiguë à l'estomac ou au cœur ; c'est le poison qui s'attaque à nos organes vitaux.
La meilleure façon d'éradiquer les passions, c'est de les attaquer à la source - comme arrêter les activités d'une bande de voleurs en détruisant leur cache, pour utiliser l'illustration traditionnelle. Il nous fait trouver le centre de fonctionnement des passions, qui bien sûr est l'esprit. C'est là qu'il faut les déraciner, et c'est un des effets de la méditation. Il y a cinq exercices de base de méditation dans la tradition bouddhique, qui agissent en tant qu'antidotes aux cinq poisons.
Le premier poison à traiter est la distraction, la tendance de l'esprit à sauter d'une chose à une autre, la tendance à papillonner, de telle sorte que nous ne pouvons rester avec une chose donnée de façon continue pendant un certain temps. Dans le célèbre vers de T.S. Eliot, nous sommes « distraits de la distraction par la distraction ». L'antidote à cet état mental est la pratique de méditation appelée l'attention sur le souffle, qui implique regarder le souffle dans le but d'atteindre une concentration focalisée sur le processus de la respiration.
Le deuxième des cinq poisons est la colère, qui est considérée, parmi toutes les passions, comme étant celle qui est la plus éloignée de l'état de bodhisattva. Vous pouvez donner un peu de place à l'avidité et aux désirs, vous pouvez voler et mentir, tout en restant tout au fond de votre cœur un bodhisattva. Mais si vous vous mettez en colère, tout d'un coup votre état de bodhisattva disparaît. La raison en est que la colère est directement opposée à l'esprit de la compassion. Dans son Shikshasamuccaya, Shantideva dit (en paraphrasant) : « Bien, vous voilà, promettant d'être plein de bonté et de compassion, et de délivrer tous les êtres des difficultés, et alors, que faites-vous ? Vous vous mettez en colère avec l'un d'eux. Il ne peut y avoir grande substance dans votre vœu de bodhisattva. » Il est conseillé au bodhisattva d'éviter la colère à tout prix.
L'antidote à la colère est là aussi très simple : c'est le metta-bhavana, le développement de la bienveillance universelle. Cette méditation est une des quatre pratiques appelées les brahma viharas, les demeures sublimes, les trois autres étant dédiées au développement de la compassion, de la joie sympathique et de l'équanimité. La pratique de la metta a originellement été enseignée par le Bouddha, comme cela est rapporté par le très beau Metta Sutta. Une description plus complète de la pratique est donnée par Bouddhaghosha dans son Visuddhimagga (La Voie de la pureté).
On commence la pratique en développant un sentiment de bienveillance envers soi-même, se souhaitant être bien, heureux, et libre de toute souffrance ; puis on étend ce sentiment envers un ami ou une amie proche, puis envers une personne que l'on peut se représenter que mais l'on ne connaît pas très bien - peut-être quelqu'un au travail, ou bien quelqu'un que l'on voit tous les jours à l'arrêt de bus - et puis envers quelqu'un avec qui on a des difficultés. La cinquième et dernière étape implique étendre sa metta de façon égale aux quatre personnes (soi, l'ami ou amie, la « personne neutre », et l'« ennemi »), puis à laisser ce sentiment rayonner vers ceux qui sont aux alentours, puis de plus en plus largement, jusqu'à ce que notre metta s'écoule vers tous les êtres, humains et animaux, où qu'ils soient dans le monde ou dans l'univers.
Le metta-bhavana est une très belle pratique, et en même temps une pratique de beaucoup de gens trouvent extrêmement difficile. Mais si l'on persévère, on peut avoir confiance dans le fait que la colère et l'aversion seront progressivement dissipées par le développement attentionné et délibéré de l'amour et de la bienveillance envers tous les êtres vivants.
Troisièmement, nous en venons à l'avidité, Ce n'est pas que le désir, mais aussi le désir névrotique. Prenez la nourriture, par exemple. Nous en avons tous le désir - il est naturel d'avoir un appétit sain - mais ce désir est devenu névrotique si nous nous trouvons en train d'essayer d'utiliser la nourriture pour satisfaire un autre besoin. Comme cela est trop évident, l'avidité est un grand problème ; elle crée l'addition aux drogues, l'alcoolisme, et toute une cohorte d'autres problèmes. La grande industrie de la publicité est orientée vers la stimulation de l'avidité, tentant de nous convaincre, que nous en soyons ou non conscients, que nous avons besoin de cette chose-ci, de cette chose-là ou de cette autre chose encore.
Il y a plusieurs pratiques conçues pour diminuer l'avidité ; leur nombre reflète peut-être l'échelle du problème. Certains de ces antidotes, il faut le dire, sont particulièrement drastiques. Il y a par exemple la contemplation des dix étapes de la décomposition d'un cadavre. C'est une pratique toujours populaire dans certains pays bouddhistes ; elle est considérée comme un antidote particulièrement efficace contre le désir sexuel névrotique. Je ne vais pas décrire la pratique en détail - ce serait une lecture assez macabre - mais il y a une version plus douce, qui est de méditer seul, la nuit, dans un lieu de crémation.
Les lieux de crémation, en Inde, ne sont pas de beaux endroits. On y trouve de ci de là des fragments de vêtements et d'os calcinés, et en général une odeur de chair humaine brûlée flotte dans l'air. Mais méditer dans un de ces lieux peut être une pratique bénéfique, voire exaltante. Cela peut avoir pour effet de nous rendre très paisible, presque comme si notre propre crémation avait déjà eu lieu. En fait, dans la tradition hindoue, il est de coutume de conduire ses propres funérailles au moment où, finalement, on quitte la vie domestique. De cette manière on devient un sannyasi, une personne qui a renoncé au monde, et on vit complètement sans possessions et dans le seul but de réaliser la libération. L'idée sous-tendant cela est que lorsque le sannuyasi abandonne le monde, il n'existe plus en ce qui concerne ce dernier ; la dernière chose qu'il fait avant de partir dans sa robe ocre est donc de conduire sa propre cérémonie funéraire. C'est la même association de la mort avec le renoncement et l'éradication de tous les désirs mondains qui est faite dans la méditation sur la décomposition d'un cadavre.
Si même se rendre de temps à autre dans un lieu de crémation est trop difficile (nos versions occidentales de ces lieux, les cimetières, ne sont en général pas si proches des éléments), pour une forme encore plus douce de la même pratique, on peut simplement méditer sur la réalité de la mort. On peut réfléchir au fait que la mort est inévitable, que le moment venu elle vient à tous et à toutes : personne ne peut y échapper. Puisqu'elle doit venir, pourquoi ne pas faire le meilleur usage possible de notre vie ? Et, et là nous en arrivons au principal objet de la réflexion, pourquoi se faire plaisir avec de misérables désirs, qui à terme n'apportent pas de satisfaction ou de bonheur ?
On peut aussi méditer sur l'impermanence. Tout est impermanent. Du système solaire à notre propre souffle, d'un instant à l'autre tout est changeant, coulant, transitoire. Quand on se remémore cela, on peut voir les choses comme des nuages passant dans le ciel. On ne peut s'attacher à quoi que ce soit de manière ferme quand on sait que tôt ou tard on devra l'abandonner.
Chaque jour, les journaux sont pleins de récits d'accidents mortels, et cela nous donne non seulement une occasion pour la compassion, mais aussi une opportunité de réflexion. La vie humaine peut se terminer de façon inattendue ; on peut ne pas vivre jusqu'à un âge avancé. Comme l'a dit Pascal, un seul grain de sable suffit à nous détruire s'il se met au mauvais endroit. La vie est très précaire. De tels rappels à la réalité font réfléchir, de manière fructueuse. Mais ils seront contreproductifs si tout ce qu'ils produisent est une sorte de timidité névrosée. Nous devons être sensibles à notre propre nature en relation avec tout ceci.
Un crâne ou quelques os, de préférence humains, peuvent aussi être d'utiles objets de méditation. Cela peut sembler étranger ou même amusant - nous sommes parfois enclins à rire de la mort pour cacher la peur que nous en avons - mais ceci est une pratique standard chez les bouddhistes tibétains (nous en avons bien sûr un précédent dans la tradition occidentale, lorsque Hamlet contemple le crâne de Yorick, dans la pièce de Shakespeare). En fait, les Tibétains tendent à s'entourer de tout un tas de choses faites d'os humains : des rosaires en os, des trompettes en fémur, des coupes faites de crânes. Ils ont une vue pleine de bon sens de la mort ; ils n'y voient rien de morbide ou de macabre.
En Occident, cependant, le seul mot « mort » est censé nous faire frissonner. Non pas que la tradition chrétienne évite les faits directs concernant la mort. Nombre d'anciennes pierres tombales sont ornées de représentations de squelettes et de crânes ; dans certains lieux de sépulture, des os sont présentés à la vue de tous ; et des moines pratiquent la remémoration constante de la mort. Les corps des morts sont présentés pour que la famille et les amis du défunt ou de la défunte puissent venir les voir, et il y a bien sûr la tradition de la veillée funèbre. En fait, si dans notre culture moderne nous cachons la mort, c'est peut-être en partie parce que la tradition chrétienne est moins importante qu'elle ne l'a été. Le problème, dans notre culture, n'est pas vraiment le déni de la mort, mais la tendance à identifier la totalité du soi avec le corps, même une fois que l'âme est partie. Selon certaines sortes de christianisme populaire, l'enseignement de la résurrection du corps signifie littéralement que le cadavre ressuscite. Il s'ensuit que lorsqu'un homme est enterré, les vers le mangent - pas seulement son corps, mais lui. L'identification du cadavre en décomposition avec la personne décédée donne à la mort une sorte d'horreur particulière, mêlée de fascination.
Mais ce n'est pas la façon bouddhique de regarder la mort, ni d'ailleurs, la façon hindoue ou musulmane de le faire. Après tout, la mort est tout aussi naturelle que la vie. Tagore, le grand poète bengali moderne, dit : « Je sais que je vais aimer la mort, car j'ai aimé la vie ». La vie et la mort sont les faces opposées de la même chose. Si vous aimez la vie, vous aimerez la mort ; et si vous ne pouvez pas aimer la mort, vous n'avez pas réellement aimé la vie. Cela semble paradoxal, mais c'est profondément vrai.
Quand il s'agit de contrer l'avidité, il nous faut choisir l'exercice qui répond à nos besoins. La vue d'un cadavre en décomposition ferait naître chez beaucoup de gens des sentiments de dégoût et de révulsion. On peut être physiquement malade sans du tout être spirituellement affecté. Il faut être suffisamment mûr spirituellement pour pouvoir absorber la leçon, pour être impressionné par le fait de l'impermanence, et non simplement choqué ou dégoûté. Si l'on est suffisamment sensible, la chute d'une feuille suffira à nous faire voir la vérité de l'impermanence. Chacun d'entre nous doit peut-être expérimenter un petit peu. Suffit-il de regarder une feuille tomber, ou de garder un crâne dans sa chambre (une chose que les bouddhistes tibétains font souvent), ou a-t-on besoin de quelque chose de plus fort ? Peut-être nous faut-il essayer un autre antidote traditionnel de l'avidité, la « contemplation du caractère répugnant de la nourriture ». Je ne vais pas non plus entrer dans les détails de cette pratique ; ils sont assez déplaisants, et c'est délibéré. Il suffit de dire que c'est un puissant antidote à l'addition à la nourriture.
Le quatrième poison est l'orgueil, parfois traduit par fierté, mais orgueil est une traduction plus effective. L'orgueil est considéré comme étant particulièrement associé avec le monde des humains, en tant que distinct des cinq autres mondes d'existence représentés sur la roue de la vie tibétaine. Le monde humain est caractérisé par la conscience de soi, et quand on fait l'expérience de soi en tant que séparé des autres, on peut se sentir non seulement séparé mais isolé, non seulement isolé mais supérieur.
Il est clair qu'il y a moins de risque d'orgueil dans les autres mondes décrits dans la roue de la vie. Il n'est guère possible d'avoir un animal orgueilleux - quoique certains chiens, sans aucun doute sous l'influence de gens, semble avoir un air orgueilleux. Un preta, un être affamé, est si affamé qu'il n'a pas un moment pour penser à la façon dont il se compare avec d'autres. Il est difficile d'imaginer un preta pensant : « J'ai plus faim que toi » ou, similairement, un être en enfer pensant : « Je souffre plus que toi ». La souffrance est une chose sérieuse. On pourrait imaginer que les asuras et les dieux soient orgueilleux car, comme les êtres humains, ils ont une conscience d'eux-mêmes. Mais peut-être les dieux sont-ils trop autosatisfaits ; ils n'ont guère d'anxiété et n'ont pas besoin de se comparer à d'autres, tandis que les asuras sont trop occupés à se battre. L'orgueil est donc une faiblesse très humaine.
Selon le Bouddha, penser en termes de statut par rapport aux autres, quelle qu'en soit la façon, que l'on conclue que l'on est supérieur, inférieur ou égal, est une forme d'orgueil. Il peut être de prime abord surprenant que le Bouddha ait dit cela, mais en réfléchissant un peu il apparaît clairement que l'égalitarisme - l'insistance sur le fait que tout le monde est égal - et la fausse humilité - l'insistance sur le fait que tous les autres sont supérieurs à soi - sont tous deux des formes inversées d'orgueil. Une personne se présentant comme aimant l'égalité peut en fait vouloir rabaisser tous les gens à son propre niveau. C'est une grande faiblesse, et une grande perte. S'il n'y a personne au-dessus de nous, d'un point de vue spirituel, nous n'avons personne à admirer ou de qui apprendre, et il nous sera très difficile de faire des progrès spirituels. Réciproquement, adopter une position fixe d'infériorité, c'est dénier son propre potentiel - et la négation de la possibilité d'un développement spirituel est une chose très sérieuse.
L'antidote traditionnel à l'orgueil est la méditation sur les six éléments : la terre, l'eau, le feu, l'air, l'espace et la conscience (listés par ordre de subtilité croissante). Pour la méditation, les six éléments peuvent être représentés par des formes géométriques visualisées l'une au-dessus de l'autre pour créer le symbole bouddhique et la forme architecturale que l'on appelle un stoûpa. La terre est représentée par un cube jaune, qui forme la base du stoûpa ; l'eau par une sphère posée sur le cube ; le feu par un cône posé sur la sphère ; l'air par une forme de bol posée sur le cône et représentant le firmament ; l'espace par une flamme dans ce bol ; et la conscience par l'espace dans lequel se tient tout cela. C'est une façon de méditer sur les six éléments. Outre leur forme géométrique, chaque élément est visualisé lors de la pratique comme ayant une couleur particulière : le cube est jaune, la sphère est rouge, etc.
On peut aussi s'engager dans une série de réflexions. Pour commencer, vous méditez sur l'élément terre : « Dans mon propre corps, il y a la terre, l'élément solide : la chair, les os... Mais d'où vient-il ? Il vient de l'élément terre, de la matière solide de l'univers. Et quand je mourrai, mon corps physique se désintègrera, se dissoudra, et retournera à la terre. Des cendres aux cendres, de la poussière à la poussière. ».
Puis, vous réfléchissez à l'élément eau. Vous pensez : « En moi, il y a du sang, il y des larmes, il a de la sueur, etc. C'est l'élément eau. D'où vient-il ? Ce n'est qu'une partie de l'élément eau de l'univers, comme la pluie, comme les rivières, les lacs et les mers. Un jour, je devrai le rendre. Un jour, l'élément liquide en moi coulera vers l'élément liquide de l'univers. »
Troisièmement, vous méditez sur l'élément feu. « En moi il y a de la chaleur. Mais d'où vient-elle ? Quelle est la grande source de chaleur pour le monde entier ? C'est le soleil. Sans la chaleur du soleil, tout le système solaire serait froid et sombre. La chaleur en moi vient elle aussi de cette source, et quand je mourrai elle retournera à l'univers. Je l'ai empruntée pendant un moment, mais finalement je devrai la rendre ».
Puis vous considérez l'élément air. « Qu'est-ce que l'élément air en moi ? C'est l'air dans mes poumons. Je le prends et je le rends, à chaque instant. Mais il ne m'appartient pas vraiment. Tout comme tout le reste de moi - les parties solides, les parties aqueuses, la chaleur - l'élément air n'est pas à moi. Je ne l'emprunte que pendant quelques instants, puis je dois le rendre. Un jour, j'expirerai, et n'inspirerai plus. J'aurai finalement rendu mon dernier souffle. Et tout comme l'élément air ne m'appartiendra alors pas, aujourd'hui il ne m'appartient en fait pas ».
Cinquièmement, vous méditez sur l'espace. Vous réfléchissez au fait que votre corps physique occupe un certain espace. « Voilà l'espace que j'occupe. Je m'identifie avec cet espace. Mais quand mon corps physique se désintègrera, qu'adviendra-t-il de l'espace que j'ai occupé ? Il se fondra dans le vaste espace, tout autour, et disparaîtra. »
Et qu'en est-il de la conscience ? Vous pensez : « À présent, une partie de ma conscience dépend de mes yeux, une partie de mes oreilles, et ainsi de suite. Mais quand il n'y aura plus d'yeux, plus d'oreilles, plus de corps physique, où sera cette conscience ? Quand mon individualité présente, telle que j'en fais l'expérience, cessera d'exister, où sera la conscience associée à cette individualité ? En réfléchissant ainsi, vous tentez de vous détacher des différents niveaux de conscience associés au corps physique, et de réaliser ainsi des niveaux de conscience toujours plus élevés.
Ce changement se produit très naturellement à partir des étapes précédentes de la pratique des six éléments. Vous avez déjà envisagé les quatre éléments qui constituent votre corps comme occupant un certain espace, et quand ces éléments ne sont plus présents, cet espace n'est plus marqué. Associé au corps est une certaine conscience. Quand le corps et l'espace qu'il occupait ne sont plus là, la conscience ne peut plus être associée à ce corps physique, ni à cet espace. S'il n'y a plus d'espace délimité auquel la conscience puisse s'associer, elle ne peut pas non plus s'associer à un espace non délimité, c'est-à-dire à un espace infini. Elle ne peut que s'étendre infiniment vers l'extérieur, ne trouvant aucune ligne de démarcation, aucun corps matériel auquel s'identifier. Ainsi, les pratiques de méditation de ce genre culminent, de façon ultime, en une sorte de mort spirituelle dans laquelle la conscience individuelle meurt dans la conscience universelle et en un sens réalise son éternelle identité avec elle. Comme le disent les Tibétains, la lumière-fils retourne à la lumière-mère et se fond avec elle.
L'occasion classique de la transition vers une expérience de conscience universelle survient au moment de la mort. Mais si l'on n'a pas déjà eu une expérience de ce genre en méditation, on a peu de chances de pouvoir la soutenir après la mort - si bien sûr elle se produit, car ce n'est pas une partie automatique du processus de la mort.
En fait, mort ou vivant, il nous est pratiquement impossible d'imaginer ce à quoi pourrait ressembler cette expérience. Une manière de l'aborder lorsque l'on fait la pratique des six éléments est de considérer la conscience universelle comme une image poétique. Beaucoup de gens trouvent l'image de la goutte de rosée tombant dans la mer brillante très utile. De façon plus prosaïque, on peut penser que toutes les limites à la conscience ont disparu, de telle sorte qu'elle devient infinie dans toutes les directions. La chose essentielle est d'avoir l'expérience d'une expansion infinie de la conscience. On ne doit pas prendre l'image de la petite conscience fusionnant dans la grande trop littéralement ; la métaphore de la goutte de rosée tombant dans la mer, que celle-ci brille ou non, n'est qu'une métaphore.
L'expansion infinie de la conscience est vraiment difficile à décrire car, si l'on en faisait pleinement l'expérience, on serait Éveillé : la conscience infinie est l'état d'Éveil. De plus, comme les Mâdhyamikas prendraient soin d'ajouter, cette conscience infinie est une conscience vide, c'est-à-dire que ce n'est pas une entité, ni une chose.
L'univers physique n'est pas exclu de cette conscience infinie, mais il ne s'impose pas en frontière. C'est comme si la conscience le traversait. Ce n'est pas comme si, littéralement, une chose qui était là auparavant n'est plus là, mais il n'est plus vu comme un obstacle ; il est devenu transparent, si l'on peut dire.
Le cinquième poison est l'ignorance, par quoi l'on entend l'ignorance spirituelle, l'absence de prise de conscience de la réalité. En un sens c'est le poison de base, l'ingrédient brut dont tous les autres sont faits. L'antidote traditionnel est la méditation sur les nidanas, les maillons de la co-production conditionnée. Cette formulation nous offre une manière de réfléchir à la vérité de la conditionnalité : le fait qu'en dépendance de A apparaît B. Elle nous demande de voir que de notre ignorance découle toute une chaîne d'événements ; on pourrait dire que c'est une réflexion sur le fonctionnement de la loi du karma.
La tradition bouddhique énumère nombre de ces listes, l'une des plus connues étant la chaîne des douze maillons représentés autour de la roue de la vie tibétaine. La chaîne « commence » - c'est réellement un commencement sans commencement - par l'ignorance, et se termine par la décrépitude et la mort. Outre les douze nidanas se rapportant à l'existence conditionnée, il y a une série de douze autres maillons, les nidanas se rapportant à l'existence non-conditionnée, au nirvana - ou au moins y menant. Les douze nidanas mondains représentent le type de conditionnalité cyclique, tandis que les douze nidanas spirituels représentent le type de conditionnalité spiral, les étapes de la voie, et l'esprit créatif.
Aborder ces cinq poisons et leurs antidotes n'est qu'une façon de considérer les états mentaux négatifs que nous devons vaincre, et la façon de le faire. Mais en tant que bodhisattva novice, nous avons en fait besoin de tous les moyens à notre disposition - et la tradition bouddhique nous en offre énormément - pour œuvrer à l'éradication des passions, et à la réalisation du deuxième grand vœu du bodhisattva.
The Bodhisattva Ideal © Sangharakshita, Windhorse Publications 1999, traduction © Centre bouddhiste Triratna de Paris 2006.