On décrit les 500 jeunes Licchavis portant 500 ombrelles précieuses ; traduit, le mot ombrelle vient de chattra. Et ils offrent ces ombrelles au Bouddha. Et le Bouddha les transforme toutes en un seul dais précieux qui recouvre la galaxie de milliards de mondes toute entière. Qu'est-ce que cela signifie ?
Les 500 ombrelles, tenues bien haut, si brillantes, et si colorées, représentent sûrement les aspirations spirituelles des 500 jeunes Licchavis - et particulièrement leur aspiration à l'éveil suprême et parfait pour le bien de tous les êtres. En d'autres termes, les ombrelles représentent la bodhicitta, la bodhicitta qui est apparue, la pensée, le désir ardent pour l'éveil suprême et parfait. Donc les jeunes Licchavis offrent ces ombrelles au Bouddha, et il y a 500 jeunes gens, 500 ombrelles, 500 bodhicitta pour ainsi dire. Mais elles sont toutes offertes au Bouddha. En d'autres termes, les aspirations des jeunes gens, leur bodhicitta n'ont toutes qu'un seul et unique objet, qui est bien sûr, l'éveil suprême et parfait, représenté par le Bouddha, assis là. Et que fait le Bouddha ? Il transforme toutes ces ombrelles en un seul dais. Le fait que les aspirations spirituelles des jeunes Licchavis aient un seul et unique objet est une force unificatrice. Cela veut dire que leurs aspirations ont tendance à converger l'une vers l'autre, à s'unir même, ont tendance à devenir une seule aspiration. Et quelle est donc cette seule aspiration ? Que représente donc le dais immense ? Il représente ce que l'on peut appeler la « bodhicitta universelle », si toutefois nous ne prenons pas l'expression trop littéralement, la prenant de façon poétique plutôt que dogmatique. Et bien sûr, la galaxie de milliards de mondes est toute entière reflétée dans le dais, signifiant que la bodhicitta universelle est consciente des besoins de tous les êtres et y répond. Mais cette bodhicitta universelle n'a rien de collectif, et cependant elle n'a rien d'individuel non plus. Elle appartient à cette même catégorie mystérieuse pour laquelle nous n'avons pas encore de mots, cette même catégorie à laquelle appartient l'expression « communauté spirituelle. »
La signification de l'incident des parasols peut aussi être expliquée en termes plus ordinaires. On peut dire que, dans la mesure où nos aspirations spirituelles ont un objet commun, elles sont unies, et dans la mesure où elles sont unies, elles seront une force du bien, active et opérant dans le monde.
Revenons donc à notre première question : qu'est-ce que la terre de bouddha ? Pour y répondre, il sera nécessaire de dire quelques mots sur la cosmologie bouddhique.
La première chose que nous devons réaliser, que nous devons prendre en compte, est que le bouddhisme indien traditionnel voit l'espace comme étant infini, et il voit l'espace infini occupé par des mondes, des systèmes de mondes infinis, chaque système ayant quatre continents entourés par un cercle de montagnes de fer. Ne prenez pas cela trop littéralement, on peut dire que se sont des images poétiques. Chaque système de mondes comporte aussi trois plans : un plan du désir sensuel, un plan de la forme pure, et un plan du sans forme. Ainsi chaque système de monde est multidimensionnel. Un millier de ces systèmes de mondes constituent un petit univers. Un millier de petits univers constituent un univers moyen et un millier d'univers moyens constituent un grand univers. Une terre de bouddha correspond à un grand univers ou un de ses multiples, c'est-à-dire que cela correspond à un grand univers ou cela peut aussi être plus grand. Et elle est appelée « terre de bouddha » parce qu'elle représente la sphère d'influence spirituelle d'un bouddha particulier ; et ce bouddha-là est responsable du développement spirituel de tous les êtres vivants de tous les systèmes de mondes contenus dans ce - ou ces - grands univers. À partir de cela, on peut voir que le bouddhisme enseigne non seulement une infinité de mondes, mais aussi une infinité de bouddhas ou tout au moins si cela semble trop outrancier, une pluralité, une pluralité très considérable, de bouddhas.
Mais tous les grands univers n'ont pas la bonne fortune d'avoir un bouddha veillant sur eux, pour parler ainsi. Certains, malheureusement n'ont pas de bouddha. Nous devons nous rappeler que pour le Mahayana, tout comme pour le Hinayana, le Bouddha n'est pas une sorte de Dieu. Il débute comme un être humain ordinaire, comme tout le monde. Il entreprend la vie spirituelle ; il prend le vœu du bodhisattva - c'est-à-dire le vœu d'atteindre l'éveil suprême et parfait pour le bien de tous - et suit la voie du bodhisattva pendant des milliers et des milliers d'années, dans l'un des systèmes de mondes d'un grand univers particulier - l'univers dont il sera un jour responsable spirituellement. Au cours de ces milliers de vies, il rencontre un nombre d'êtres énorme, et il les aide du mieux qu'il peut. Et finalement bien sûr, après tous ces milliers de vies d'efforts spirituels en tant que bodhisattva, il devient un bouddha durant sa dernière vie.
La tradition Mahayana fait une distinction entre la sphère de connaissance d'un bouddha et sa sphère d'influence. La sphère de connaissance d'un bouddha coïncide avec toute l'existence conditionnée, mais sa sphère d'influence est limitée, pour parler ainsi, à un grand univers ou plus. En terme de son éveil suprême et parfait cependant, un bouddha n'est pas différent d'un autre bouddha. Dans un certain sens donc, toutes les terres de bouddha sont une seule terre de bouddha. Au passage, notons que le mot pour terre de bouddha en sanskrit est « bouddha-ksetra » ; « ksetra » veut dire champ, et un champ bien sûr est quelque chose qui est cultivé, quelque chose dans lequel on plante des graines. Et l'utilisation du mot « ksetra » - ou champ - dans ce contexte, suggère que les êtres sensibles, les habitants du « bouddha-ksetra », sont comme des plantes, et le bouddha est, pour ainsi dire, le grand jardinier cosmique. En fait les textes mahayanas décrivent souvent les bouddhas et bodhisattvas comme « amenant à la maturité » ou « faisant mûrir » les êtres - en d'autres termes, les conduisant graduellement, pas à pas, à la perfection spirituelle. On trouve ce genre d'image - celle du champ, de la plante, de la croissance - très tôt dans l'histoire du bouddhisme. Vous vous souvenez peut-être que peu après son éveil, notre bouddha, Shakyamuni, ou le bouddha Gautama, vit tous les êtres vivants tout comme des fleurs de lotus à différents stades d'épanouissement - certaines profondément enfoncées dans la boue, d'autres commençant à peine à sortir de la boue, d'autres juste en bouton, d'autres à demi ouverts, et dans certains cas même, presque complètement ouverts. C'est ainsi qu'il vit les êtres vivants, ainsi qu'il vit l'humanité, peu après son éveil. Et de même dans le Sûtra du Lotus Blanc, le Bouddha y est dépeint comme le soleil, brillant de la même façon sur tous les êtres, son dharma y est décrit comme la pluie tombant sur tout. Et les êtres vivants bien sûr, sont comme les arbres, arbustes et autres plantes. Et quand la pluie, la pluie du dharma tombe, ils poussent tous, ils fleurissent, se développent tous, chacun à sa manière.
Nous trouvons ce même genre d'image en connexion avec la terre de bouddha - ou champ de bouddha. Une distinction est faite aussi entre la terre de bouddha pure et la terre de bouddha impure. La terre de bouddha impure est celle où l'on trouve tous les six royaumes de l'existence sensible. C'est-à-dire le royaume des dieux, le royaume des hommes, le royaume des asuras ou anti-dieux, le royaume des fantômes affamés, le royaume des êtres tourmentés et le royaume des animaux. Dans les terres de bouddha impures, il est difficile d'obtenir vêtements et nourriture. Il est difficile d'y entendre le dharma, difficile d'y rencontrer les bouddhas et bodhisattvas. En bref la terre de bouddha impure est une terre où les conditions, dans l'ensemble, ne sont pas favorables au développement spirituel, dans laquelle il est difficile aux êtres d'évoluer, il leur est difficile de suivre la voie vers l'éveil.
Notre propre terre de bouddha, dans laquelle Shakyamuni atteignît l'éveil est - cela ne vous surprendra sans doute pas - une terre de bouddha impure. Les sûtras mahayanas la décrivent comme étant « un endroit sale, désagréable et dangereux », et l'on avertit les bodhisattvas venant d'autres terres de bouddha de faire très attention quand ils la traversent ! Une terre de bouddha pure est, bien sûr complètement à l'opposé ; mis à part les bouddhas et bodhisattvas, elle ne contient que des dieux et des hommes, nourriture et vêtements apparaissent spontanément, sans que qui que ce soit doive travailler pour les produire. Il est très facile d'y entendre le dharma, très facile d'y rencontrer des bouddhas et bodhisattvas, bref la terre de bouddha pure est celle où les conditions sont grandement favorables au développement spirituel, où il est facile pour les êtres d'évoluer, facile de suivre la voie vers l'éveil.
L'exemple le plus connu d'une terre de bouddha pure est bien sûr, Sukhavati - la « terre heureuse » ou la « terre de la félicité », qu'est la terre du bouddha Amitabha, le bouddha de la lumière infinie, située nous dit-on, vers l'ouest. On nous dit que tout y est très beau, on en trouve de longues descriptions dans certains textes, certains sûtras. Sans entrer dans les détails, Sukhavati, la terre heureuse, la terre de la félicité du bouddha Amitabha est décrite entièrement en termes de joyaux étincelants, de lumière, de fleurs de lotus, de musique et de parfum. On peut trouver plus de détails dans les trois sûtras de la « terre pure. » Et le bouddha Amitabha, de couleur dorée, entouré de ses deux bodhisattvas principaux, est assis sur un magnifique trône au milieu de Sukhavati. Les êtres naissent à Sukhavati - ainsi que dans les autres terres pures - par apparition, c'est-à-dire pas comme le résultat d'une union sexuelle. Étant apparus, ils voient le bouddha Amitabha et ses bodhisattvas, Avalokitesvara et Mahasthamaprapta, devant eux, et ils n'ont rien d'autre à faire que d'écouter les enseignements d'Amitabha, rien d'autre à faire que de croître, rien d'autre à faire que de se développer.
La distinction entre terres de bouddha pures et impures n'est pas absolue cependant. Il est possible nous dit-on, à un bouddha de transformer une terre de bouddha impure en une terre de bouddha pure et vice-versa. Et la purification d'une terre de bouddha équivaut en fait à construire une terre de bouddha. On nous dit cependant aussi que, dans le sens ultime, tous les champs de bouddha sont purs. Les bouddhas les voient purs, même si ce n'est pas le cas pour les êtres ordinaires. De la même manière, il est aussi possible pour un bodhisattva de créer une terre de bouddha pure au milieu d'une terre de bouddha impure. La maison de Vimalakirti, telle qu'elle est décrite dans le septième chapitre du Vimalakirti Nirdesa en est un exemple.
'The Inconceivable Emancipation - Themes from the Vimilakirti Nirdesa', © Sangharakshita, 1990, traduction © Centre Bouddhiste Triratna, 2002