« Qui construit la terre de bouddha ? » Après ce qui a déjà été dit, cela devrait être évident. C'est le bodhisattva qui construit la terre de bouddha, qui construit la terre de bouddha pure. C'est le bodhisattva qui met en place l'environnement idéal pour la poursuite de la vie spirituelle. C'est le bodhisattva qui purifie la terre de bouddha, comme nous le dit le texte et, bien sûr un bouddha peut aussi créer une terre pure, mais en général, c'est le bodhisattva qui le fait. Et il le fait en réponse à son vœu de bodhisattva, qui est d'atteindre l'éveil suprême et parfait pour le bien de tous les êtres.
Nous avons parlé du bodhisattva au singulier. Mais au début de l'un des passages cités plus haut, Ratnakara demande au Bouddha d'expliquer la purification de la terre de bouddha par les bodhisattvas, et le Bouddha répond « je vais vous expliquer la purification de la terre de bouddha des bodhisattvas. » On parle donc de bodhisattvas au pluriel dans ce passage. Ce sont eux apparemment qui purifieront le champ de bouddha, ce sont eux qui construiront la terre de bouddha. Et plus loin le Bouddha dit « nobles fils, un champ de bouddha de bodhisattvas émerge des buts des êtres vivants. » A nouveau le pluriel, non seulement pour les bodhisattvas mais aussi cette fois pour les êtres sensibles.
Qu'est-ce que cela signifie ? Selon le Mahayana, un bodhisattva évolué est tout à fait capable de purifier la terre de bouddha, de construire la terre de bouddha tout seul pour ainsi dire, tout comme le magicien est capable de créer un éléphant magique tout seul, ainsi que nous l'avons vu la semaine dernière. Mais quelle en serait l'utilité ? Vous pouvez créer une terre de bouddha, vous pouvez en donner un aperçu aux gens, vous pouvez même les garder dedans un petit moment. Mais vous ne pouvez pas les garder indéfiniment, ni même pour très longtemps. Même si vous êtes un bodhisattva. Et pourquoi cela ? Eh bien parce qu'ils ne veulent pas y rester indéfiniment ! Ils ne s'y sentent pas chez eux, ils ne sont pas prêts pour ça ! Et il y a une petite histoire indienne qui illustre bien cela.
Dans cette histoire, après toutes les choses sublimes que nous avons entendues sur les terres de bouddha, les bouddhas et bodhisattvas, nous redescendons sur terre, mais tant pis. C'est l'histoire d'une femme qui vendait du poisson. Elle vivait dans un petit village sur les berges d'une grande rivière indienne, et chaque semaine elle apportait ses poissons au marché dans un grand panier en osier. Et une semaine, pour une raison ou une autre, il lui fallut longtemps pour vendre ses poissons. Elle décida donc que, au lieu de retourner dans son village aussi tard le soir, il vaudrait mieux passer la nuit dans la ville. Par chance elle trouva un magasin de fleurs encore ouvert. Il faut vous dire qu'un magasin de fleurs indien ne vend pas des fleurs coupées en bouquets comme nos magasins, habituellement les fleuristes indiens vendent des guirlandes de fleurs très parfumées et des petits bouquets de fleurs que les femmes peuvent mettre dans leurs cheveux, et ils sont toujours très très parfumés. Le vendeur de fleur était très compréhensif et permit à la vendeuse de poissons de passer la nuit dans son magasin. Donc assez tard le soir, elle s'allongea pour dormir parmi les fleurs, les fleurs très parfumées. Mais elle se tournait et se retournait et ne pouvait pas dormir. Elle ne pouvait pas supporter la senteur des fleurs qui étaient si douces, si belles ! Que fit-elle donc ? On nous dit qu'elle prit son vieux panier à poissons qui bien sûr sentait le poisson, et elle le mit tout contre elle, contre son nez. Et après cela elle dormit très bien. Nous pouvons rire de la vendeuse de poissons, mais nous sommes dans la même situation nous-même. Elle était mal à l'aise parmi toutes les fleurs parfumées du magasin de fleurs. Mais nous nous sentirions tout aussi mal à l'aise dans une terre pure. Nous voudrions introduire quelque équivalent de son vieux panier à poissons malodorant dans la terre pure. Nous voudrions y introduire quelque distraction - une distraction physique ou mentale. Nous voudrions probablement y apporter notre télévision, ou notre moto, notre collection de disques, ou notre petite amie ou nos dossiers. Nous nous y sentirions alors plus à l'aise, plus chez nous, mais alors bien sûr la terre pure ne serait plus la terre pure. Donc le bodhisattva ne peut pas garder les gens dans la terre pure indéfiniment, il ne peut y garder les gens très longtemps. Il ne peut les y garder contre leur volonté - ce serait une contradiction dans les termes puisque la vie spirituelle est, essentiellement, la vie autonome, la vie libre, la vie de l'émancipation.
Que peut donc faire le bodhisattva ? Il n'est pas question pour lui de créer une terre de bouddha avec ses pouvoirs magiques et ensuite d'y garder les gens. Il pourrait peut-être le faire pendant un certain temps, mais pas pour très longtemps. Les gens s'y sentiraient bientôt mal à l'aise, et après, plus de terre de bouddha. Donc la terre de bouddha doit être une création collective. Elle doit être créée par un certain nombre de personnes travaillant ensemble. Elle doit être construite par un certain nombre de bodhisattvas et bodhisattvas en herbe, travaillant ensemble. L'un de ces bodhisattvas peut être plus évolué que les autres, peut avoir davantage de vision, peut même être le premier à atteindre l'éveil suprême et parfait, et puis peut-être aider les autres à faire ce dernier pas, mais ils doivent tous être inspirés par le même idéal, c'est-à-dire l'idéal de l'éveil suprême et parfait pour le bien de tous.
J'ai dit un peu plus tôt que le bodhisattva suit la voie du bodhisattva pendant des milliers et des milliers de vies, et ceci est le cas non seulement pour le bodhisattva au singulier, mais pour les bodhisattvas au pluriel - tous suivent la voie du bodhisattva, tous la suivent pendant des milliers de vies, et tous la suivent ensemble. Nous arrivons ainsi à une idée vraiment magnifique. C'est l'idée de toute la communauté spirituelle se réincarnant en quelque sorte, en tant que communauté spirituelle, vivant et travaillant ensemble, s'entraidant, vie après vie, jusqu'à ce que la terre de bouddha soit établie. Il y a un reflet de cette idée dans les Jatakas du canon pali. On représente les disciples du bouddha dans sa dernière vie, la vie dans laquelle il atteignit l'éveil suprême et parfait, comme lui ayant été associés pendant beaucoup d'existences précédentes. Par exemple, Ananda, même Devadatta, Yashodhara (sa femme), etc.
Il y a un reflet de la même idée, à un niveau plus ordinaire, dans un livre remarquable publié en Angleterre il y a quelques années. C'est un livre qui parle de l'histoire d'un groupe de gens qui étaient Cathares dans le sud de la France au treizième siècle, qui se « réincarnèrent » - pour utiliser cette expression - pendant les guerres napoléoniennes, et à nouveau au vingtième siècle en Cornouaille anglaise. Et dans toutes ces vies différentes, ils étaient et sont en contact personnel l'un avec l'autre. Pas besoin d'élaborer davantage, j'en ai peut-être dit suffisamment pour clarifier le point de base - suffisamment pour répondre à la question avec laquelle nous avons commencé. La terre de bouddha est construite par les bodhisattvas et les bodhisattvas en herbe, au pluriel.
'The Inconceivable Emancipation - Themes from the Vimilakirti Nirdesa', © Sangharakshita, 1990, traduction © Centre Bouddhiste Triratna, 2002