Le titre, Être toutes les choses pour tous les hommes, vient de la Bible, du Nouveau Testament en fait. Nous y trouvons l'apôtre Paul en train d'écrire aux Corinthiens, aux chrétiens de la ville de Corinthe. On dirait, si on lit entre les lignes, que l'apôtre Paul avait eu quelques ennuis avec certains de ces Corinthiens. C'est comme s'il se défendait dans cette lettre, cette épître, contre quelque accusation. Et au cours de son plaidoyer, si l'on peut l'appeler ainsi, pour se justifier on dirait, il dit qu'il s'est fait le serviteur de tous les hommes, afin de gagner à sa cause le plus grand nombre de gens possible ; afin de convaincre les Juifs, il est devenu comme un Juif ; afin de convaincre les païens, il est devenu comme un païen. En résumé, dit-il, il est devenu toutes choses pour tous les hommes, afin que bienheureusement certains puissent être sauvés (I Corinthiens, 9, 22).
Vous vous demandez peut-être pourquoi j'ai choisi une citation de la Bible comme titre d'un thème d'une écriture bouddhique du mahayana. Eh bien on pourrait dire que je l'ai fait comme upaya-kausalya, comme moyen habile. Après tout, il y a des gens qui aiment ces vieilles phrases bibliques, même sans savoir d'où elles viennent exactement. Il est donc possible que certaines personnes au moins, auront plus envie de lire un texte dont le titre a une résonance familière. Et, qui plus est, le thème de ce texte est upaya-kausalya, ou moyens habiles, il semblait donc approprié de lui donner un titre qui soit lui-même un genre de moyen habile, du moins pour certaines personnes.
Ce thème est extrait du deuxième chapitre du Vimalakirti Nirdesa, et dans ce chapitre le décor est Vaisali même. Et cette fois, nous rencontrons Vimalakirti lui-même, dont le nom signifie quelque chose comme « réputation immaculée » ou mieux, peut-être, « gloire sans taches. » Il est décrit dans ce chapitre comme étant un bodhisattva évolué. Et dans les chapitres suivants, il est décrit de manière encore plus exaltée. Mais ici le sûtra dit de lui :
« Il était libéré grâce à la perfection de la sagesse, ayant intégré sa réalisation avec l'habileté des moyens libérateurs, il connaissait les dispositions et les pratiques des êtres ; et connaissant la force ou la faiblesse de leurs facultés, et étant doué d'une éloquence sans rival, il enseignait le dharma a chacun de façon appropriée ; s'étant adonné énergiquement au Grand Véhicule, il le comprenait et accomplissait sa tache avec grande finesse. Il vivait ayant le comportement d'un bouddha, et sa haute intelligence était vaste comme l'océan. Il était loué, félicité et congratulé par tous les bouddhas. Il était reconnu par Indra, Brahma et tous les lokapalas. C'était pour faire croître les êtres, grâce à son habileté en moyens libérateurs, qu'il vivait dans la grande ville de Vaisali. »
Le texte continue avec la description de la pratique des six perfections par Vimalakirti :
« Sa fortune était inépuisable, afin de soutenir les pauvres et les démunis ; il observait une moralité pure pour protéger ceux qui sont immoraux ; il maintenait la tolérance et le contrôle de soi pour réconcilier les êtres qui sont coléreux, cruels, violents et brutaux ; il resplendissait d'énergie pour inspirer ceux qui sont paresseux ; il entretenait la concentration, la prise de conscience et la méditation afin de soutenir ceux qui sont troublés mentalement ; il atteignit la sagesse décisive afin de soutenir les insensés. »
Ceci est très important bien sûr, cette description de la pratique de Vimalakirti des six perfections, mais nous n'avons pas encore rencontré le vrai Vimalakirti. Et nous y arrivons dans un long passage dont voici un extrait :
« Il portait les habits blancs d'un laïc et pourtant il vivait impeccablement comme un religieux. Il vivait chez lui mais demeurait à l'écart du monde du désir, du monde de la forme pure et du monde du sans-forme. Il avait un fils, une femme, des servantes et pourtant il maintenait toujours la chasteté. Il semblait être entouré de serviteurs et pourtant vivait dans la solitude. Il semblait porter des ornements et pourtant il était toujours doté des marques et des signes de bonne augure ; il semblait manger et boire et pourtant il se nourrissait toujours du goût de sa méditation ; il apparaissait sur des terrains de sport et dans des casinos mais son but était toujours de faire croître ceux qui sont attachés aux sports et aux jeux ; il rendait visite aux maîtres hétérodoxes à la mode mais demeurait toujours inébranlablement loyal au Bouddha ; il comprenait les sciences mondaines et transcendantales et les pratiques ésotériques mais prenait toujours plaisir aux délices du Dharma ; il se mêlait à toutes les foules et pourtant était respecté comme le plus avancé de tous ; afin d'être en harmonie avec les gens, il s'associait aux anciens, aux moins vieux et aux jeunes, et toujours ses mots étaient en harmonie avec le dharma ; il s'engageait dans toutes sortes d'affaires mais n'était aucunement intéressé par le profit et les possessions ; pour entraîner les êtres il apparaissait à des carrefours, à des coins de rue et pour les protéger il faisait partie du gouvernement. Pour détourner les gens du Hinayana et les engager dans le Mahayana, il apparaissait parmi les auditeurs et les enseignants du dharma ; pour aider les enfants à se développer, il visitait toutes les écoles ; pour démontrer les maux du désir, il entrait même dans les bordels ; pour établir les ivrognes dans l'attention juste, il entrait dans tous les cabarets. »
C'est une traduction plutôt colorée, vous l'admettrez, et il y en a encore pas mal dans le même genre. Mais je crois que ces citations nous donnent une image suffisamment claire et vivante de Vimalakirti, « Gloire sans taches », une image assez caractéristique de lui, et le passage conclut en disant :
« Ainsi vivait le Lichavi Vimalakirti dans la grande ville de Vaisali, doté d'une connaissance infinie de l'habileté dans les moyens libérateurs. »
En d'autres termes, doté des moyens habiles, et le texte continue décrivant comment, utilisant ces moyens habiles, Vimalakirti se montre malade. Et c'est donc cette maladie de Vimalakirti, cette apparente maladie, qui est le point de départ de toute l'action du sûtra. Mais ce n'est pas ce qui nous intéresse ici. Ce qui nous intéresse, c'est l'image de Vimalakirti qui est ressortie du texte.
'The Inconceivable Emancipation - Themes from the Vimilakirti Nirdesa', © Sangharakshita, 1990, traduction © Centre Bouddhiste Triratna, 2002