Passons maintenant aux dharanis ou formules magiques. Le bodhisattva a pratiqué les quatre moyens d'unification, il a pratiqué les quatre connaissances analytiques, mais il lui manque encore quelque chose - une note de magie. Et c'est ce que les dharanis représentent. L'explication traditionnelle est que les dharanis sont un genre de mantra de protection. Ils sont en général plus long que les mantras ; ils sont en général donnés au bodhisattva par une divinité amie et ils sont supposés le protéger contre tout danger qu'il peut rencontrer dans l'accomplissement de son travail. Nous n'avons pas de raison pour ne pas prendre l'explication traditionnelle littéralement. Cependant, plus généralement, les dharanis représentent ce que j'ai dit : ils représentent une note de magie. Une note de l'inconcevable, une note de quelque chose qui est au-delà des mots, au-delà des pensées, au-delà même de l'expérience spirituelle elle-même, dans la mesure où cette expérience spirituelle appartient au domaine sujet-objet.
Un dernier mot. Notre sujet ici était upaya, les moyens habiles, mais nous ne devons jamais oublier que le bouddhisme même, que le Dharma même est un upaya, est un moyen habile, le plus grand peut-être de tous. C'est tout ce qui nous aide à croître. Mais ce n'est pas un moyen habile de façon abstraite. Un moyen habile n'est un moyen habile que dans la mesure où il est vraiment pratiqué, vraiment mis en opération. Il n'est qu'un moyen habile que dans la mesure où il est incarné dans la vie du bodhisattva. Le bodhisattva lui-même, dans son interaction avec d'autres gens, est le moyen habile. On ne peut trouver les moyens habiles dans aucun livre. Si nous voulons le bouddhisme, si nous voulons disséminer le dharma donc, nous devons être nous-mêmes un moyen habile. Nous devons être en contact avec les gens, en communication avec les gens ; nous devons essayer de communiquer notre vision de la vie spirituelle, notre vision de ce que l'homme peut devenir, notre vision de la communauté spirituelle, notre vision de la terre de bouddha. Mais nous ne pouvons communiquer notre vision que dans la mesure où nous sommes généreux et ouverts dans nos interactions avec les gens, seulement dans la mesure où nous leur parlons avec gentillesse et affection, seulement dans la mesure où nous arrivons à les inspirer, à éveiller leur enthousiasme, seulement dans la mesure où nous montrons que nous faisons nous-mêmes un effort pour évoluer. De plus, nous serons capables de communiquer notre vision seulement si nous avons quelque expérience de la vérité et de la réalité des choses ; seulement si nous pensons clairement ; seulement si nous pouvons nous exprimer de façon adéquate ; seulement si nous sommes pleins de courage et de confiance en nous. Et par-dessus tout peut-être, nous ne serons capables de communiquer notre vision que si nous avons une note de magie, une note de l'inconcevable, de l'au-delà des mots, alors seulement nous serons vraiment capables d'être « toutes les choses pour tous les hommes. »
'The Inconceivable Emancipation - Themes from the Vimilakirti Nirdesa', © Sangharakshita, 1990, traduction © Centre Bouddhiste Triratna, 2002