Nous abordons « la voie de la non-dualité », thème tiré du neuvième chapitre dont le titre est La porte de dharma de la non-dualité. Notre dernier thème, « l'histoire contre le mythe dans la quête de l'homme pour un sens » était tiré du cinquième chapitre, et il s'est passé beaucoup de choses depuis. Au début du sixième chapitre, appelé L'émancipation inconcevable, Sariputra a un problème. Vous vous souvenez peut-être que Vimalakirti a magiquement fait disparaître maison, mobilier et serviteurs, et tout ce que l'on peut voir est Vimalakirti allongé sur son lit. Mais un nombre considérable de bodhisattvas et d'arahants ont accompagné Manjusri pour rendre visite à Vimalakirti, notre ami Sariputra étant parmi eux. Et Sariputra ne peut pas s'empêcher de se demander où ils vont tous bien pouvoir s'asseoir. Peut-être se dit-il que des bodhisattvas et des arahants ne devraient pas rester debout alors que Vimalakirti lui-même étant malade est allongé sur son lit. Les invités, de toute façon, selon l'ancienne étiquette indienne, ne devraient pas être contraints à rester debout.
Bien sûr, Vimalakirti sait ce que pense Sariputra. Il a cette faculté qui met mal à l'aise : la télépathie. Il lui pose donc une question très directe. Il lui dit :
« Révérend Sariputra, es-tu venu ici par intérêt pour le Dharma ou par intérêt pour une chaise ? »
Vous pouvez probablement imaginer quels sont les sentiments de Sariputra, qui répond très humblement :
« Je suis venu par intérêt pour le Dharma, pas par intérêt pour une chaise. »
Et Vimalakirti poursuit en disant :
« Révérend Sariputra, celui qui s'intéresse au Dharma n'est pas intéressé par son propre corps, encore moins par une chaise. »
Et il continue de la même façon pendant plusieurs paragraphes ! Nous n'avons pas besoin de le suivre car sa question initiale nous donne déjà suffisamment matière à réflexion. Es-tu venu ici par intérêt pour le Dharma où es-tu venu ici par intérêt pour une chaise ? Après tout, utilisons notre imagination, considérons la situation. Voilà donc cette grande assemblée d'arahants et de bodhisattvas. Voilà donc le vieux sage Vimalakirti. Voilà donc Manjusri, le bodhisattva de la sagesse lui-même. Vimalakirti et Manjusri viennent juste d'avoir une discussion d'une immense signification spirituelle. Tout le monde en est grandement ravi, tout le monde en a eu le cœur élevé. Personne ne sait ce qui va se passer maintenant mais tout le monde se le demande. Et que fait Sariputra ? Il commence à se demander où tout le monde va s'asseoir et à s'inquiéter du manque de chaises. Qu'est-ce que ce petit incident illustre ? Contre quoi nous met-il en garde ? Il nous met en garde contre le danger de nous fourvoyer. Nous nous fourvoyons à cause de l'influence gravitationnelle du conditionné, et il ne sert à rien de rire ou de sourire du bon vieux Sariputra, nous devons prendre la mise en garde pour nous-même. Pourquoi ? Parce que voilà ce qui se passe : nous allons à une séance de méditation, une conférence sur le Dharma, une retraite à la campagne et nous pouvons être profondément plongés dans la méditation, le Dharma, la retraite, mais alors que se passe-t-il ? Notre attention commence à divaguer. Nous nous fourvoyons. Nous commençons à nous demander quand le thé et les biscuits vont être servis, à nous demander si cette charmante personne que nous avions remarquée la semaine passée sera de nouveau là. Nous commençons à nous demander, spécialement s'il fait froid, si quelqu'un va mettre en route les radiateurs.
Nous pouvons donc bien nous poser la question de Vimalakirti à Sariputra :
« Es-tu venu par intérêt pour le dharma ou par intérêt pour le thé et les biscuits ? Ou pour la charmante personne ? Ou pour le chauffage ? »
Il n'y a rien de plus facile que de se fourvoyer de cette façon. Rien de plus facile que de succomber à la force de gravitation du conditionné. On pourrait en dire beaucoup plus là-dessus mais ce n'est pas notre thème et je ne veux pas me fourvoyer.
Passons à ce qui se passe ensuite dans le soûtra. Ce qui se passe est un grand déploiement de pouvoirs magiques. Sariputra se faisait du souci à propos de chaises, et bien Vimalakirti lui donne des chaises. Il lui en donne 3.200.000. Pas des chaises, en fait, mais des trônes, qu'il fait venir d'une lointaine terre de bouddha, vers l'Est, grâce à ses pouvoirs magiques. Et tous ces trônes, ces 3.200.000 trônes tiennent dans sa maison sans l'encombrer. En fait, la maison semble s'agrandir pour les accommoder. Et ceci donne à Vimalakirti l'occasion d'expliquer la libération ou l'émancipation inconcevable. Il dit que le bodhisattva qui vit dans cette émancipation réalise complètement la relativité de l'espace et la relativité du temps. Il peut mettre le Mont Soumérou dans une graine de moutarde sans réduire l'un ni agrandir l'autre. Il peut faire en sorte qu'une semaine semble être un ère tout entière et qu'une ère tout entière semble durer une semaine. Il a le pouvoir de transformer qui que ce soit en qui que ce soit et quoi que ce soit en quoi que ce soit.
Dans le septième chapitre, appelé simplement La déesse, Sariputra a encore des ennuis. Mais d'abord Vimalakirti répond à diverses questions de Manjusri et il y a un autre échange dialectique vigoureux entre les deux. À ce moment-là apparaît une déesse. Cette déesse, nous dit-on, vit dans la maison de Vimalakirti et elle est tellement ravie de l'enseignement qu'elle vient d'entendre qu'elle fait pleuvoir des fleurs sur les arahants, les bodhisattvas, tout le monde. Et, étrangement, ces fleurs ne s'accrochent pas au corps des bodhisattvas mais elles s'accrochent au corps des arahants, et bien sûr, Sariputra est un arahant et cela l'embarrasse terriblement, et il essaye vainement de se débarrasser des fleurs qui lui sont tombé dessus parce que, après tout, il est un moine et un moine ne doit pas porter de fleurs. Un peu plus tard Sariputra est encore plus embarrassé parce qu'il subit soudainement un changement de sexe. Tout d'abord de mâle à femelle et comme si cela ne suffisait pas, de femelle à mâle, ce qui est encore pire ! Le tout en l'espace de quelques minutes. Il y a là sans doute encore plus de thèmes mais nous devons poursuivre.
The Inconceivable Emancipation - Themes from the Vimilakirti Nirdesa, © Sangharakshita, 1990, traduction © Centre bouddhiste Triratna, 2002.