Et c'est ainsi que nous arrivons au neuvième chapitre, La porte du dharma de la non-dualité. La structure de ce chapitre est très simple. Vimalakirti pose une question aux bodhisattvas et chacun y répond à son tour. Le texte cite trente-et-une de leurs réponses. Les bodhisattvas posent alors la même question à Manjusri, et il y répond aussi. Manjusri pose alors la même question à Vimalakirti qui y répond. Et quelle est la question ? C'est :
« Comment les bodhisattvas passent-ils la porte du Dharma de la non-dualité ? »
ou
« Quelle est la porte de Dharma de la non-dualité pour les bodhisattvas ? »
Je ne citerai que quelques-unes des réponses des bodhisattvas.
Le bodhisattva Sriganta déclara :
« Je et mien sont deux. S'il n'y a pas de présomption d'un soi, il n'y aura pas possessivité. Donc l'absence de présomption est l'entrée dans la non-dualité. »
Le bodhisattva Bhadrajyoti déclara :
« Distraction et attention sont deux. Quand il n'y a pas de distraction il n'y aura pas d'attention, pas de constructions mentales et pas d'intensité mentale. Donc l'absence d'intensité mentale est l'entrée dans la non-dualité. »
Le bodhisattva Subahu déclara :
« "L'esprit de bodhisattva" et "l'esprit de disciple" sont deux. Quand les deux sont vus comme un esprit illusoire, il n'y a ni esprit de bodhisattva ni esprit de disciple. Donc l'égalité de la nature des esprits est l'entrée dans la non-dualité. »
Le bodhisattva Sinha déclara :
« Être dans le péché et l'absence de péché sont deux. Au moyen de la sagesse comme le diamant qui perce au plus profond, n'être ni lié ni libéré est l'entrée dans la non-dualité. »
Le bodhisattva Pratyaksadarshana déclara :
« Destructible et indestructible sont dualistes. Ce qui est détruit est ultimement détruit. Ce qui est ultimement détruit ne devient pas détruit, donc c'est appelé indestructible. Ce qui est indestructible est instantané et ce qui est instantané est indestructible. L'expérience de ceci est appelée l'entrée dans le principe de la non-dualité. »
Le bodhisattva Vidyudeva déclara :
« Connaissance et ignorance sont dualistes. La nature de l'ignorance et la nature de la connaissance sont les mêmes. Car l'ignorance est non définie, incalculable et au-delà de la sphère de la pensée. La réalisation de ceci est l'entrée dans la non-dualité. »
Le bodhisattva Aksayamati déclara :
« La dédicace de la générosité afin d'obtenir l'omniscience est dualiste. La nature de la générosité est elle-même omniscience et la nature de l'omniscience même est la dédicace totale. De la même façon il est dualiste de dédier la moralité, la tolérance, l'effort, la méditation et la sagesse afin d'obtenir l'omniscience. L'omniscience est la nature de la sagesse et la dédicace totale est la nature de l'omniscience. Ainsi l'entrée dans ce principe d'unicité est l'entrée dans la non-dualité. »
Le bodhisattva Santendriya déclara :
« Il est dualiste de dire "bouddha", "dharma" et "sangha". Le dharma est lui-même la nature du bouddha. La sangha est elle-même la nature du dharma et chacun d'eux est non-composé. Le non-composé est espace infini et les processus de toutes les choses sont équivalents à l'espace infini. L'ajustement à ceci est l'entrée dans la non-dualité. »
Le bodhisattva Srigarbha déclara :
« La dualité est constituée par des manifestations conceptuelles. La non-dualité est être sans objet. Donc non-saisie et non-rejet est l'entrée dans la non-dualité. »
Les bodhisattvas répondent donc à la question de cette façon puis demandent à Manjusri quelle est sa réponse. Et que dit-il ? Et que dit Vimalakirti ? Le texte dit :
Manjusri répondit :
« Mes bons Messieurs, vous avez tous bien parlé. Cependant, toutes vos explications sont elles-mêmes dualistes. Ne connaître aucun enseignement, n'exprimer rien, ne dire rien, n'expliquer rien, n'annoncer rien, n'indiquer rien et ne désigner rien. Ceci est l'entrée dans la non-dualité. »
Alors le jeune prince Manjusri dit au Licchavi Vimalakirti :
« Nous avons tous donné notre propre enseignement, noble seigneur, vous pouvez maintenant élucider l'enseignement de l'entrée dans le principe de la non-dualité. »Sur ce, le Licchavi Vimalakirti garda le silence, ne disant rien du tout.
Et ceci est le célèbre silence, le tonnerre de Vimalakirti. Le silence qui est plus puissant, plus expressif que n'importe quels mots. Et ce silence, ce silence tel le tonnerre, de Vimalakirti représente le point culminant du chapitre, le point culminant même tout le Vimalakirti Nirdesa.
Dans tout cela, beaucoup de choses demandent quelques explications, au moins quelques commentaires. Je vais donc faire quatre choses : je vais dire quelques mots à propos de la question même, je vais commenter brièvement certaines réponses des bodhisattvas, je vais suggérer quelques autres non-dualités et je vais considérer très brièvement le silence de Vimalakirti.
The Inconceivable Emancipation - Themes from the Vimilakirti Nirdesa, © Sangharakshita, 1990, traduction © Centre bouddhiste Triratna, 2002.