En tant qu'individu, de quoi avons nous le plus besoin dans la vie, une fois que les besoins de base (comme nourriture, vêtements, abri, loisir) ont été satisfaits, nous avons besoin de la liberté, et il est facile de comprendre pourquoi.
Le vrai sens de la vie humaine se trouve dans la croissance, dans le développement de la prise de conscience de soi, de la positivité émotionnelle, de la créativité, de la prise de responsabilité pour soi-même et pour les autres. Il se trouve, pour parler autrement, dans le développement de nos qualités et de nos caractéristiques les plus humaines, dans le développement en des niveaux de plus en plus élevés de notre être et de notre conscience. Mais on ne peut pas croître si on n'a pas l'espace pour le faire, aussi bien littéralement que métaphoriquement. On ne peut pas se développer si on n'a pas de place. En un mot, on a besoin de liberté. On a besoin d'être libérés de tout ce qui restreint et se confine, non seulement à l'extérieur mais aussi à l'intérieur de soi-même. On a besoin de se libérer du conditionnement, on a besoin même de se libérer de le vieux soi.
Et qu'est ce qui est habituellement considérer comme une aide à notre libération, en dehors de nos propres efforts? Ce qui nous aide à devenir libre est ce qu'on appelle habituellement la « religion », bien que, comme nous le verrons plus tard, ce ne soit pas un terme très satisfaisant.
La religion est concernée par la liberté, la libération de l'individu, elle est concernée par la liberté de l'individu à croître et se développer. Un des titres de ce Sûtra, le Vimalakirti Nirdesa, était l'Achintya Vimoksa, ou l'Emancipation Inconcevable, ce qui peut se traduire par libération, ou liberté. Emancipation, libération, liberté sont des mots très importants dés le bouddhisme initial. En fait nous avons vu que c'était tout le sujet de l'enseignement du Bouddha. Dans un passage bien connu, le Bouddha lui même dit :
« comme le grand océan n'a qu'un goût, celui du sel, mes enseignements n'ont qu'un goût, une saveur : le goût, la saveur de l'émancipation ou vimutti ».
Si bien que dans le bouddhisme initial, dans le bouddhisme en général en fait, le but de notre vie spirituelle est envisagé en terme d'émancipation de l'avidité, de la haine, de l'illusion, de tout ce qui nous empêche de devenir bouddhas ou bodhisattvas, de trouver le chemin de notre développement. Il est suffisamment clair que, pour le bouddhisme, la religion est ce qui nous aide à devenir libre.
Jusqu'à présent je n'ai parlé que du bouddhisme. Mais si nous demandions aux partisans de toute autre religion quelle est leur position, et la position de leur religion à cet égard, ils diraient sûrement qu'elle aussi aide l'individu à devenir libre. Si on leur posait ce genre de question, les chrétiens pourraient citer les mots du Nouveau testament :
« vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libre ».
Mais posons nous maintenant une autre question. Qu'est ce qui nous empêche de devenir libre, de devenir libre en réalité ? Mis à part notre propre paresse, négligence, oubli, torpeur etc … Et bien ce qui nous empêche de devenir libre, c'est la religion. Nous voilà devant une contradiction gigantesque : la religion, censée nous aider à devenir libre, ne nous aide que trop souvent à nous maintenir asservis. Bien trop souvent en fait, la religion ajoute à notre état d'asservissement. C'est même tellement le cas que pour beaucoup de gens, l'idée même que la religion puisse nous aider à devenir libre leur semble complètement absurde, parce qu'ils ne peuvent absolument pas associer religion et liberté, et pour cette raison se sentent un peu mal à l'aise quand ils utilisent, s'ils sont contraints d'utiliser, ce mot « religion ». Je dois dire que je me sens un peu mal à l'aise parfois quand je l'utilise moi même, mais, pour le moment je n'ai pas trouvé d'autre terme pour le remplacer - mais j'y travaille.
Donc, pourquoi nous est il difficile d'associer religion et liberté, nous, en occident devrais-je ajouter. Ce n'est peut être pas tellement à cause de ce qu'est la religion en principe, mais à cause de ce que nous constatons quand nous la considérons comme un fait historique concret, un phénomène historique concret, tout spécialement quand nous nous rappelons le dossier du christianisme des 1900 dernières années, ou peut être je devrais être un peu plus généreux et dire les 1600 dernières années, c'est à dire à partir du moment où le christianisme fut déclaré comme étant la religion officielle de l'empire romain. Il est assez évident qu'il ne nous est pas possible de nous développer en tant qu'individu si nous ne sommes pas libres de penser par nous mêmes. Mais le christianisme organisé n'a presque jamais permis à l'individu d'avoir cette liberté ; aucune des églises principales du moins ne l'a jamais permise.
Dans le passé, les gens, dans tous les pays chrétiens, devaient penser comme l'église pensait, ils devaient se mettre au pas de la ligne théologique, sinon gare ! Je n'ai pas besoin de vous rappeler que, même de nos jours, ce que l'église appelle blasphème est encore un délit dans le Royaume-Uni. Ce n'est pas tout : le christianisme organisé ne fit pas que refuser à l'individu la permission de penser par lui même, il obligea à penser d'une façon qui était de fait préjudiciable, hostile même à son propre développement personnel, l'obligea à se penser comme un misérable pécheur, faible et impuissant, l'obligea de penser que des choses comme l'indépendance et l'initiative étaient mauvaises, un vrai péché même.
Pas la peine de vous rappeler que beaucoup d'entre nous ont souffert des effets de ce genre d'enseignements. Qu'est ce qui s'est passé alors ? Qu'est ce qui a mal tourné ? Comment se fait-il que la religion qui est supposée nous aider à devenir libre, soit en fait dans la plupart des cas l'opposé ? Comment se fait-il que la religion nous aide, en fait, à nous asservir ? C'est parce que l'on a oublié que la religion est un moyen de parvenir à un but, ce but étant le développement de l'individu. La religion est devenue une fin en soi. Les formes que prend la religion sont devenues une fin en soi. Les doctrines sont devenues une fin en soi, les institutions et les règles également.
'The Inconceivable Emancipation - Themes from the Vimilakirti Nirdesa', © Sangharakshita, 1990, traduction © Centre Bouddhiste Triratna, 2002