Passons à la rencontre avec Upali. Upali était l'expert du Vinaya, de la loi, du code monastique. Deux moines avaient commis une offense, une offense envers les règles monastiques et ils avaient honte d'apparaître devant le Bouddha. Ils allèrent donc voir Upali et lui demandèrent de les libérer de leurs anxiété en acceptant leur confession et leur promesse de ne pas commettre l'offense à nouveau, ceci étant la procédure monastique normale. Upali leur fit alors ce que le texte appelle un « discours religieux ». Vimalakirti arriva à ce moment là et dit qu'Upali ne faisait qu'empire les choses. Il dit :
« révérend Upali, n'aggrave pas d'avantage les péchés de ces deux moines. Sans compliquer les choses, soulage leur remords ; révérend Upali, le péché ne peut être appréhendé à l'intérieur, à l'extérieur ou les deux ; pourquoi ? Le Bouddha a dit que les êtres sensibles sont affligés par les passions de la pensée et qu'ils sont purifiés par la purification de la pensée ».
Vimalakirti en dit beaucoup plus, d'une nature plutôt métaphysique, mais cette seule citation suffira pour ce qui nous préoccupe à présent. Pourquoi Vimalakirti dit-il à Upali qu'il ne fait qu'aggraver les choses ; à quoi veut-il en venir ; que veut il dire par il n'y a rien de tel que le péché ? Considérons la situation. Les deux moines ont commis une offense, c'est à dire qu'ils ont transgressé une règle. Mais pourquoi la règle avait été établie en premier lieu ? Elle avait été formulée afin d'aider l'individu à se développer, à évoluer - l'individu en tant que moine dans ce cas. Donc qu'est ce que ça veut dire quand les deux moines transgressent la règle ? Cela veut dire qu'ils ont faillis dans leur développement ; cela veut dire qu'ils peuvent même avoir régressé. Donc, qu'est ce qu'Upali devrait avoir soin de faire dans ces circonstances ? Ce qu'il doit réellement faire est de les aider à se développer à nouveau. Il ne devrait pas être concerné seulement par le fait qu'ils aient violé une règle, parce que ce serait traiter la règle comme fin en soi. Vimalakirti laisse entendre qu'il devrait être principalement concerné par la question de les remettre sur la bonne voie. Mais que se passe-t-il quand nous transgressons une règle alors que nous considérons cette règle comme une fin en soi ? Et bien, ce qui se passe est que le péché naît et alors nous perdons notre temps à nous faire du soucis à propos de ce péché, et comment nous en débarrasser, au lieu de continuer à nous occuper de notre développement individuel. Donc, Vimalakirti dit, il n'y a pas de péché ; on ne peut le trouver ni à l'intérieur ni à l'extérieur, ni entre les deux. Le péché est complètement non-existant ; ce n'est qu'un concept, ce n'est qu'un mot. Après tout, regardons encore la situation. Supposons que vous fassiez quelque chose de mal, quelque chose qui est opposé à votre propre développement. Bien, qu'est ce qui s'est passé ? Vous avez entravé votre propre développement. Donc, que devez vous faire ? Et bien, d'abord vous devez comprendre ce que vous avez fait, deuxièmement, vous devez ressentir du regret, tout spécialement si cela a blessé une autre personne, troisiemement vous devez prendre la résolution de ne pas refaire cela à nouveau et quatrièmement vous devez faire ce qu'il faut pour vous assurer de faire ce qui est juste dans le futur, de faire ce qui vous aidera à vous développer. La question du péché n'a rien du tout à y voir. C'est pourquoi Vimalakirti dit :
« les êtres sensibles sont affligés par les passions de la pensée et ils sont purifiés par la purification de la pensée ».
Rien à voir avec le péché. Mais supposons que vous croyez en Dieu; supposons que Dieu ait établi certaines règles, certaines lois, certains commandements. Alors si vous enfreignez l'une de ces règles, que se passe- t-il ? Le péché naît, et quand le péché apparaît, que ressentez vous ? Vous vous sentez coupable, vous sentez aussi la peur, la peur de la punition. Donc, quand le péché apparaît, de quoi avons nous besoin ? Vous avez besoin de quelqu'un qui vous sauve des conséquences de votre péché, vous avez besoin d'un sauveur. Et ceci bien sûr, est ce que l'on appelle religion en occident. La situation est, en fait, plus compliquée que cela puisque le péché vint à exister avant même votre naissance, il vint à l'existence quand Adam et Eve, nous dit-on, désobéirent à Dieu et se nourrirent de l'arbre de la connaissance du bien et du mal ; ainsi nous héritons de ce péché, nous naissons dans le péché. On peut comprendre pourquoi le chrétien et l'ex-chrétien est psychologiquement si perturbé. Nous pouvons peut être comprendre pourquoi il est important de ne pas considérer les règles comme fin en soi, comprendre la raison des critiques de Vimalakirti vis à vis d'Upali.
Puis, vient la rencontre de Rahula. On nous dit que beaucoup de jeunes nobles Licchavi étaient venus le voir, pour lui demander pourquoi il avait renoncé au royaume d'un souverain de l'univers. Souvenons nous que Rahula était le fils du Bouddha et l'héritier de son grand père, à titre conditionnel, après que le Bouddha lui même aurait quitté le royaume. Ces jeunes nobles Licchavis demandèrent donc à Rahula pourquoi il avait quitté le monde. Donc Rahula leur expliquait les bénéfices et les vertus de la renonciation du monde. Et Vimalakirti, bien sûr, arriva et dit que Rahula expliquait le sujet tout de travers. Il dit :
« le renoncement est lui même l'absence même de vertus et de bénéfices. Révérant Rahula, on peut parler des bénéfices et des vertus de ce qui est composé mais le renoncement n'est pas composé et il ne peut être question des bénéfices et vertus de ce qui n'est pas composé ».
Il en dit plus, mais c'est la phrase clef. Qu'est ce que cela veut dire ? Cela veut dire que le renoncement est, en essence, quelque chose de spirituel, une activité spirituelle; quitter le monde est, essentiellement, une activité spirituelle. La question n'est pas d'acquérir bénéfices et vertus mais de croître. Les jeunes hommes pourtant, ne comprennent toujours pas et disent : « nous avons entendu le Tathagata, c'est à dire le Bouddha, dire que l'on ne devrait pas renoncer au monde sans la permission de ses parents ».
Ils pensent donc toujours en terme de quitter le monde de façon formelle : de devenir un moine techniquement parlant. Donc Vimalakirti répond simplement :
« jeunes gens, vous devriez vous cultiver intensément pour donner naissance à l'esprit d'éveil inégalé ; c'est cela même qui sera votre renoncement et votre ordination supérieure ».
Il revient donc sur le point important plus catégoriquement que jamais : le point que le renoncement est essentiellement une activité spirituelle. Il consiste en le développement de la bodhicitta, en aller en refuge, en l'engagement véritable dans les trois joyaux. Quitter le monde de façon formelle, extérieure, n'est pas une fin en soi; devenir un moine, techniquement parlant, n'est pas une fin en soi. Vimalakirti ne dit pas que quitter le monde de façon formelle, que devenir un moine n'est pas nécessaire. Il dit seulement que l'action extérieure n'a de valeur que dans la mesure où elle est l'expression d'une attitude intérieure. On n'est pas un moine, quelqu'un qui est supposé avoir renoncé au monde, simplement parce qu'on porte un habit jaune. Dans l'AOBO nous disons parfois :
« l'engagement est primordial, le style de vie est secondaire ».
Mais cela peut prêter à sérieux malentendu. Cela ne veut pas dire que votre façon de vivre n'a pas d'importance, que n'importe quel style de vie ira; cela ne veut pas dire que l'on doive dissocier style de vie et engagement; que notre style de vie ne fait pas de différence. Quand on dit que le style de vie est secondaire, on veut dire qu'il est l'expression de notre engagement, non l'engagement lui même.
'The Inconceivable Emancipation - Themes from the Vimilakirti Nirdesa', © Sangharakshita, 1990, traduction © Centre Bouddhiste Triratna, 2002