Développer les états mentaux favorables qui ne sont pas encore apparus dans notre esprit n'est pas seulement « avoir de bonnes pensées » dans le sens ordinaire. Cela signifie développer des états d'être et de conscience plus élevés, transformer la qualité de toute notre existence personnelle. Cette transformation est possible avec l'aide de la méditation - non pas la méditation en elle-même, mais la méditation pratiquée dans la totalité du contexte de la vie spirituelle. Dans le bouddhisme, la méditation est techniquement appelée bhavana, qui signifie littéralement « faire devenir », ou « développement ». Le véritable but de la méditation n'est pas seulement la concentration de l'esprit : ceci n'est qu'un préliminaire. Le véritable but de la méditation est de transformer la conscience - de faire de soi un type d'être plus élevé que ce que l'on était avant de commencer à méditer.
Le progrès dans la méditation - le progrès dans l'atteinte d'états d'être plus élevés - est marqué ou mesuré par l'atteinte de ce que l'on appelle les dhyanas (en pâli : jhanas). Il y a quatre de ces dhyanas, ou états élevés d'être et de conscience, chacun étant plus élevé que celui qui le précède ; et bien entendu, ils sont très difficiles à décrire. Dans la littérature bouddhique, et en particulier dans l'Abhidharma, on en a des analyses, on a des descriptions des facteurs mentaux qui y sont impliqués, mais cela ne nous aide pas réellement à nous en faire une impression ou à savoir à quoi ils ressemblent. Il se peut qu'une description poétique ou qu'une évocation de ces états de conscience plus élevés nous soit d'une plus grande aide, et heureusement pour la faiblesse humaine le Bouddha lui-même donne une belle comparaison de chacun des quatre dhyanas. En fait, dans toute la littérature bouddhique, on trouve un grand nombre de comparaisons belles et frappantes, un grand nombre d'entre-elles remontant sans doute au Bouddha lui-même. Personnellement, je trouve que cet aspect de la méthode d'enseignement du Bouddha n'est pas assez souligné. Vous ne devez pas croire que le Bouddha était sec et analytique. Il présentait souvent son enseignement dans des termes purement poétiques et imaginatifs, termes qui communiquent parfois l'esprit de cet enseignement avec plus de succès que les descriptions plutôt analytiques sur lesquelles certains de ses disciples ont eu plus tard tendance à se concentrer.
La comparaison du premier dhyana ou état méditatif élevé est celui de la poudre de savon mélangée avec de l'eau. Un assistant aux bains, dit le Bouddha, prend une assiette de poudre de savon, et mélange cette poudre avec de l'eau. Il pétrit les deux ensemble jusqu'à former une boule de savon dont toutes les particules sont saturées d'eau. En même temps il n'y a pas une goutte d'eau en plus de ce qui est nécessaire pour saturer la boule. De cette manière, dans le premier dhyana la totalité de l'être psychologique est saturée de conscience élevée. Rien ne déborde, et il n'est pas une particule de l'être qui ne soit imprégnée. Ceux d'entre-vous qui ont fait l'expérience de cet état, ou qui en ont eu un avant-goût, sauront ce que cela signifie. C'est comme si votre être ordinaire était pénétré et envahi par un élément plus élevé. « Vous » êtes toujours là, mais vous êtes complètement imprégné par quelque chose d'une nature plus élevée.
Comme comparaison du second dhyana le Bouddha nous demande d'imaginer un beau lac empli d'eau jusqu'aux bords. Ce lac est alimenté par une source souterraine, de façon à ce que de l'eau fraîche y monte sans cesse en bouillonnant. Ainsi, dans le second dhyana, il bouillonne des profondeurs de l'esprit pur et transparent quelque chose de plus pur, quelque chose d'actif et de dynamique - comme si vous aviez capté quelque inépuisable source d'inspiration.
Comme comparaison du troisième dhyana, le Bouddha, devenant encore plus poétique, nous demande d'imaginer un lotus croissant dans l'eau. Ce lotus n'est pas seulement imprégné de l'eau dans laquelle il croît ; il est en même temps complètement immergé dans l'eau, entouré d'eau, et l'eau est ainsi à la fois au-dedans et au-dehors. De façon similaire, dans le troisième dhyana vous êtes non seulement envahi par l'état de conscience élevé, mais contenu en lui ; vous vivez en lui comme dans votre élément naturel, et en tirez force et nourriture.
La comparaison du Bouddha pour le quatrième dhyana est celle d'un homme qui s'enroule dans un tissu blanc et pur après avoir pris un bain rafraîchissant par une chaude journée, alors qu'il était fatigué et couvert de poussière. Tout comme le tissu blanc et pur enveloppe complètement l'homme, dans le quatrième dhyana l'état de conscience élevé vous entoure complètement, vous protégeant et vous isolant du contact du monde extérieur. Vous y êtes hermétiquement scellé, et bien que vous ne soyez pas sans communication avec le monde extérieur, tant que vous restez dans le quatrième dhy„na aucune chose extérieure ne peut vous affecter.
Quoique avec l'atteinte du quatrième dhyana nous soyons allés assez loin, la tradition bouddhique parle de quatre états de conscience qui en un sens sont plus élevés encore. Ce sont les quatre « sphères sans forme ». Quoique parfois appelées « les quatre dhyanas sans forme », les quatre sphères sans forme sont en fait des subdivisions - ou des affinements successifs - du quatrième dhyana. A la différence des quatre dhyanas elles sont décrites en termes exclusivement conceptuels. Tout d'abord vient la « sphère de l'espace infini ». Y réfléchir a pour effet d'élargir l'esprit et de le transporter au-delà de ses frontières naturelles. On y fait l'expérience d'une infinité absolue, sans limites, sans barrières, sans obstacles. Au-delà de la « sphère de l'espace infini » se trouve la « sphère de la conscience infinie », où l'on réalise que l'esprit lui-même est infini. Loin d'être confiné au corps il est de même étendue que l'espace infini et est donc capable de s'étendre sans limites dans toutes les directions. La troisième sphère sans forme est la « sphère de nulle chose » ou « sphère de non-particularité », qui n'est pas un état de vide mais une expérience dans laquelle, quoique les choses soient présentes, il n'est pas vraiment possible de distinguer une chose d'une autre. Dire qu'il y a une unité sous-jacente est une façon très sommaire de le décrire. Les choses perdent leurs limites précises, et ne sont plus mutuellement exclusives. La quatrième sphère sans forme, la « sphère de ni perception, ni non-perception », est complètement au-delà de toute expression. Il n'y a pas de perception du fait de la subtilité extrême de l'objet, et pas de non-perception car le sujet, bien que n'étant pas moins subtil, est cependant toujours là. La dualité sujet-objet a été pratiquement transcendée.
Voilà donc les quatre dhyanas et les quatre « sphères sans forme », dont l'atteinte successive constitue un progrès dans la méditation, ou le développement d'états mentaux favorables non encore apparus.
Au cas où quelqu'un se demande pourquoi nous parlons de la méditation et des états de conscience plus élevée dans le chapitre consacré à l'Effort parfait et non dans celui de la huitième étape du Noble chemin octuple, la Samadhi parfaite, je dois expliquer que la méditation a deux aspects. Il y a celle qui dépend d'un effort conscient, et celle qui apparaît spontanément, résultat naturel de notre vie spirituelle plus élevée. C'est la première de celle-ci, la méditation avec effort, qui nous intéresse ici, et qui en pratique est la méditation. C'est bien parce que la méditation demande tant d'efforts, et qu'elle est, en fait, la manifestation majeure de l'effort dans le contexte de la vie spirituelle et du Chemin octuple, qu'elle est incluse ici en tant que partie de l'Effort parfait.
'Vision and Transformation' © Sangharakshita, Windhorse Publications 1990, traduction © Christian Richard 2003.