Concernant l'éradication des états mentaux défavorables qui sont déjà présents dans l'esprit, nous pouvons parler des pensées défavorables en termes des Cinq obstacles, un enseignement bouddhique bien connu. Les Cinq obstacles sont la convoitise des choses matérielles, la malveillance, l'agitation et l'anxiété, la paresse et la torpeur, et le doute et l'indécision.
Comme elle comprend le désir de choses telles que la nourriture, les vêtements et l'abri, la convoitise des choses matérielles est une avidité vraiment très forte. Tout va bien tant que nous restons dans certaines limites, mais ce n'est généralement pas le cas. Nous voulons généralement plus de choses matérielles qu'il n'est vraiment nécessaire, et de cette façon la convoitise échappe à tout contrôle. De simple moyen de vivre et de fonctionner dans le monde, les choses matérielles deviennent un véritable obstacle à toute espèce de vie mentale ou spirituelle plus élevée - voire un obstacle à la vie culturelle.
Cet obstacle consiste en la malveillance sous toutes ses formes, brutes ou subtiles : antagonisme, agressivité, antipathie, voire indignation justifiée. Pas plus tard qu'hier une femme vint dans notre centre et essaya de nous donner un petit tract sur le Messie. Nous ne pûmes nous empêcher d'entrer en conversation avec elle, et après un moment nous en vînmes à parler de la Bible. Elle nous demanda ce que nous pensions de Jésus. Nous répondîmes que nous le respections et même l'admirions, mais qu'il y avait certaines choses, dans les Évangiles, que nous ne comprenions pas bien. L'une d'entre-elles était la façon dont Jésus semblait se mettre en colère contre les marchands du temple, et les mettait dehors. Elle dit que cela était de l'indignation justifiée, et que cela ne pouvait pas être appelé de la colère. Je dis que les bouddhistes croient généralement qu'un homme parfait ne fait preuve ni d'avidité, ni de colère, ni d'aucune chose telle que cela, mais à cela elle répondit que le Christ était Dieu, et qu'avec Dieu c'était différent.
Malheureusement, comme je le montrai à cette femme, l'indignation justifiée est le début d'une pente savonneuse, et qu'elle ait ou non été manifestée par le Christ lui-même elle a ouvert la voie, dans l'Europe chrétienne, à toutes sortes de développements malheureux sous la forme de persécutions religieuses, de l'Inquisition, des Croisades, etc. Le bouddhisme dirait que tous ces phénomènes peu plaisants, qui nous sont suffisamment familiers par notre étude de l'histoire, sont des formes de violence, laquelle est elle-même une manifestation de l'obstacle de la malveillance. Au lieu d'essayer de rationaliser les obstacles nous devrions essayer d'être honnêtes avec nous-mêmes et de voir ce que sont réellement nos états mentaux.
L'obstacle de l'agitation et de l'anxiété est très évident dans la société occidentale moderne. Vous pourriez difficilement dire que la société occidentale moderne est paisible, ou qu'elle est calme et placide. Il vous faudrait dire qu'elle est remuante, agitée, anxieuse, voire tourmentée - et la plupart des gens que vous rencontrez sont comme cela. Ils ne donnent pas une impression de tranquillité. Avec très peu d'entre eux sentez-vous que vous pourriez vous asseoir à côté d'eux et être en paix. La plupart des gens sont dévorés par le souci, l'anxiété, l'agitation, et la précipitation. Il semble parfois impossible de simplement s'asseoir tranquillement, ne serait-ce que quelques minutes. Quand on essaie de méditer, il y a le bruit de la circulation et des gens qui passent en se hâtant. Selon le bouddhisme, l'agitation, le souci, l'anxiété, la précipitation de toutes sortes sont un obstacle. Cela ne veut pas dire que l'on ne doit pas parfois faire certaines choses vite, mais ceci est une chose très différente d'un état mental d'agitation où l'on passe sans arrêt d'une chose à l'autre car rien ne satisfait réellement, et que l'on ne sait pas où se tourner pour trouver quelque chose qui satisfasse.
L'obstacle de la paresse et de la torpeur pourrait aussi être décrit comme l'inertie et la stagnation - ou comme le fait de devenir raide et sec. Les gens qui sont dans cet état sentent que rien n'a d'importance. « Pourquoi faire un effort ? Cela n'a rien à voir avec moi. Laissons juste les choses aller à la dérive. » De nos jours c'est une attitude très commune. C'est fréquemment une réaction à l'agitation et à l'anxiété, mais même dans ce cas c'est un obstacle. Les gens essayent souvent de le rationaliser. Certaines personnes que vous trouvez calmes et tranquilles peuvent simplement être en train de stagner - tout comme d'autres que vous trouvez occupées et actives peuvent simplement être agitées.
L'obstacle du doute et de l'indécision est l'incapacité, voire le manque de volonté, à réfléchir sérieusement aux choses et à arriver à une conclusion précise, à une décision nette. C'est le refus de prendre une décision et de s'y tenir, le refus d'adopter une ligne d'action nette, ou d'adopter une attitude concrète déterminée.
Voici donc les Cinq obstacles, et lorsque nous parlons d'éradiquer les états mentaux défavorables apparus nous parlons essentiellement de nous débarrasser de la convoitise des choses matérielles, de la malveillance, de l'agitation et de l'anxiété, de la paresse et de la torpeur, et du doute et de l'indécision.
Dans le bouddhisme l'esprit, ou la conscience, est souvent comparé à l'eau. L'eau dans son état naturel est pure, transparente et scintillante ; mais elle peut être contaminée de diverses façons. De manière similaire, l'esprit, qui est aussi pur par nature, peut être souillé par les Cinq obstacles. Dans la littérature bouddhique, l'esprit qui est plein de convoitise est comparé avec de l'eau dans laquelle diverses couleurs - rouge, bleu, vert, jaune - ont été mélangées. Il y a une certaine beauté, mais la pureté de l'eau - et de l'esprit - a été perdue. L'esprit qui a succombé à la malveillance est comparé à de l'eau qui, ayant atteint son point d'ébullition, siffle, bouillonne et produit de la vapeur (de façon significative, on parle en anglais de « dégager de la vapeur » quand on est en colère). De la même façon, l'esprit qui est troublé par l'agitation et l'anxiété est comme de l'eau sur laquelle un fort vent a formé des vagues, tandis qu'un esprit saisi par la paresse et la torpeur est comme un étang obstrué par de mauvaises herbes. Quant à l'esprit sous l'influence du doute et de l'indécision, il est comme une eau pleine d'une boue noire et malodorante.
Mais comment nettoie-t-on et purifie-t-on l'eau ? Comment se débarrasse-t-on des Cinq obstacles et éradique-t-on tous les états mentaux défavorables qui sont apparus ? Dans le bouddhisme, quatre méthodes sont traditionnellement recommandées, et sont habituellement essayées dans l'ordre dans lequel je vais maintenant les décrire.
La première méthode consiste à considérer les conséquences de l'état mental défavorable. Si vous vous laissez aller à la colère, que peut-il se passer ? Vous pouvez parler avec colère, parler durement, et ceci peut amener désagrément et incompréhension. Si vous êtes très en colère, vous pouvez même frapper quelqu'un. Vous pouvez même tuer quelqu'un. C'est le résultat logique de la colère si elle n'est pas maîtrisée et contrôlée. Réfléchissez donc aux conséquences de l'état mental défavorable. C'est la première méthode, et elle peut être appliquée à n'importe lequel des obstacles. Dans le cas de la paresse et de la torpeur, par exemple, vous pouvez penser que si vous continuez à stagner vous ne ferez aucun progrès ou n'arriverez nulle part. En fait, vous perdrez tout ce que vous avez déjà gagné, que ce soit matériellement ou spirituellement.
La seconde méthode consiste à cultiver l'opposé. Tout état mental malsain a une contrepartie positive saine. Si, en vous examinant, vous trouvez que votre esprit est dominé par l'état mental défavorable de la haine - si vous n'aimez pas les gens, si vous ne vous entendez pas bien avec eux, et ne pensez pas de bien d'eux - alors cultivez l'opposé de la haine, qui est l'amour, au sens spirituel. Pratiquez le maitri-bhavana, le développement de l'amour bienveillant. La haine et l'amour ne peuvent exister simultanément dans l'esprit. Si la haine y est, l'amour ne peut y être. Si l'amour est introduit, la haine doit partir.
La troisième méthode consiste à simplement laisser passer les pensées défavorables, sans y attacher trop d'attention. On pense : « L'esprit est comme le ciel, et les pensées défavorables sont comme les nuages. Elles viennent, et elles s'en vont. » Ne vous laissez pas trop troubler par elles, ou emporter par elles. Ne vous frappez pas la poitrine, ou ne soyez pas excessivement conscients d'elles. Laissez-les juste partir, laissez-les passer, laissez-les partir à la dérive. Cultivez envers elles une attitude « de témoin », les observant simplement d'une manière détachée et pensant que, puisqu'elles sont venues de l'extérieur dans notre esprit et n'ont rien à faire avec vous, elles ne sont pas, en fait, vos propres pensées. Si vous faites cela pendant assez longtemps, les pensées défavorables devraient normalement partir.
Si ces trois méthodes ne réussissent pas il y en a une quatrième : la suppression par la force. Le Bouddha dit que si vous ne pouvez pas vous débarrasser d'un état mental défavorable par une des méthodes ci-dessus, alors faites-le par la force. Serrez les dents, et par un effort de volonté, supprimez-le. Remarquez que nous avons dit « supprimez » et non pas « réprimez ». La répression est un processus inconscient, alors qu'ici vous agissez tout à fait consciemment. Vous savez ce que vous faites, et pourquoi ; ainsi, toutes les terribles conséquences résultant de la répression dont nous parlent les psychologues ne se produiront pas quand, en dernier ressort, vous avez recours à cette méthode.
Mais que faire si ces quatre méthodes standard d'éradication des pensées mentales défavorables échouent ? Parfois il se peut que même lorsque vous serrez les dents et essayez de la supprimer, la pensée défavorable ne s'en va pas. Elle rejaillit dès que la pression sur elle est enlevée, tout comme l'herbe lorsque s'en va le pied qui l'écrase. Quand cela arrive, que peut-on faire ? Reste-t-il, en fait, quelque chose que l'on puisse faire ? Si vous vous situez dans un contexte purement psychologique il n'y a rien du tout que vous puissiez faire ; mais si vous vous situez dans un contexte religieux ou spirituel - bouddhique dans le cas présent - il reste une toute dernière chose que vous pouvez faire. Les grands maîtres de la vie spirituelle nous disent que, si toutes ces méthodes échouent, et si vous ne pouvez vous débarrasser des obstacles, aussi fort que vous ayez essayé, alors la seule chose qu'il reste à faire est d'Aller en refuge dans le Bouddha, avec votre échec, et d'y laisser la question s'y reposer.
'Vision and Transformation' © Sangharakshita, Windhorse Publications 1990, traduction © Christian Richard 2003.