Ayant prévenu et éradiqué les états mentaux négatifs, et développé des états mentaux positifs, nous devons maintenant maintenir les états de conscience élevés que nous avons développés. Il est très facile de faire marche arrière. Si nous arrêtons notre pratique ne serait-ce qu'un jour ou deux nous pouvons bien nous retrouver où nous avons commencé, plusieurs mois auparavant. La régularité est donc essentielle. Si nous abandonnons après avoir atteint un certain niveau et ne faisons plus d'effort, le résultat est que nous reculons de ce niveau même. Si, cependant, nous continuons à faire un effort, nous finirons par atteindre un niveau d'où il est impossible de régresser. Pour la plupart d'entre-nous ce niveau est très éloigné, et tant que nous ne l'avons pas atteint nous devons constamment être sur nos gardes afin de maintenir ce que nous avons développé.
Ayant examiné l'Effort parfait, voyons maintenant le contexte, où l'arrière-plan dans lequel il est pratiqué. Tout comme le contexte des Moyens d'existence parfaits est la communauté tout entière, de façon similaire le contexte de notre pratique de l'Effort parfait est la totalité du processus de l'évolution. Examiner l'Effort parfait dans ce contexte devrait rendre clair le fait que la vie spirituelle est une phase particulière du processus d'évolution, et qu'il constitue ce qu'ailleurs j'ai appelé l'évolution supérieure.
Sous beaucoup d'aspects, le concept d'évolution est le concept moderne dominant. Émergeant du domaine de la biologie, il a rapidement été étendu à tous les autres domaines de la connaissance, et l'on parle maintenant de l'évolution du système solaire, de l'évolution des arts, de l'évolution de la religion, et ainsi de suite. Comme le dit Julian Huxley, « les différentes branches de la science se combinent pour démontrer que l'univers dans son ensemble doit être considéré comme un processus gigantesque, un processus de devenir, d'atteinte de nouveaux niveaux d'existence et d'organisation, processus qui peut à proprement parler être appelé une genèse ou une évolution ». Puisque l'homme fait partie de l'univers, puisqu'il fait partie de la nature, l'homme aussi est en processus de devenir, l'homme aussi est constamment en train d'atteindre de nouveaux niveaux - et pas seulement de nouvelles formes - d'existence et d'organisation. Loin d'avoir été créé tout d'un coup, comme les gens le pensaient autrefois, l'homme a évolué - et est toujours en train d'évoluer.
Tout phénomène évoluant peut être étudié de deux façons : en termes de passé et en termes d'avenir, génétiquement ou téléologiquement. Supposons donc que nous regardions ce phénomène qu'est l'homme au meilleur de lui-même : un être humain conscient et conscient de lui-même, qui est intelligent, sensible et responsable. Nous pouvons tenter de comprendre l'homme en termes d'où il a évolué, ainsi qu'en termes de vers quoi il va - ou du moins pourrait - évoluer. La première chose - d'où nous avons évolué - constitue l'évolution inférieure. C'est le sujet de la science, en particulier de la biologie et de l'anthropologie. La seconde - ce en quoi nous nous développerons ou pouvons nous développer - constitue l'évolution supérieure. C'est le domaine des religions supérieures ou universelles, et particulièrement du bouddhisme.
La relation entre évolution inférieure et évolution supérieure est très bien expliquée à l'aide du schéma ci-dessus. Le point marqué 2 au milieu de la ligne représente l'être humain conscient et conscient de lui-même. Le bas de la ligne, du point 0 jusqu'au point 2, représente l'évolution inférieure. Le haut, au-dessus du point 2, représente l'évolution supérieure. Chacune de ces deux sections, de 0 à 2 et de 2 à l'infini, peut elle-même être divisée. Le point 1, entre les points 0 et 2, est le point où émerge une conscience humaine rudimentaire. C'est le point où l'animal devient, ou au moins commence à devenir homme - un événement qui est arrivé il n'y a pas si longtemps (la distance relative entre les points n'a, bien entendu, aucune relation avec les durées concernées). Le point 3, entre le point 2 et l'infini, représente le point où la prise de conscience transcendantale commence à émerger. C'est le point d'Entrée dans le courant, ou de non-régression ou d'irréversibilité - ou même de Vision parfaite, au moins dans sa forme rudimentaire.
En montant le long de notre ligne, 0 représente le point de départ de tout le processus d'évolution. En termes de physique ce pourrait être ce qu'on appelle le big-bang ; pour la biologie ce pourrait être l'émergence des formes de vie les plus simples. Le point 1 représente le moment où émerge la conscience humaine. Le point 2 est le moment où émerge la conscience de soi, ou prise de conscience - la plupart d'entre-nous sommes encore un peu en dessous de ce point, quoique certains soient un petit peu au-dessus. Le point 3 représente le moment où émerge la prise de conscience transcendantale, dans le sens de prise de conscience de la Réalité. C'est l'étape de conversion dans le vrai sens. C'est le point de non-retour. Le symbole de l'infini vers lequel pointe notre flèche représente le nirvana, l'Éveil, ou la bouddhéité.
Les points 1, 2 et 3 divisent notre flèche en quatre sections, désignées non pas par des chiffres mais par des lettres. La section A représente ce qui peut être appelé l'état infra-humain de l'évolution, comprenant les royaumes minéral et végétal, et le royaume animal à l'exclusion de l'homme. La section B représente l'état humain, primitif autant que civilisé. La section C représente ce que l'on pourrait appeler l'état ultra-humain de l'évolution. C'est ici que l'on trouve les arts, les sciences, la culture et les religions inférieures. Enfin, la section D représente l'état supra-humain ou trans-humain. Notre flèche couvre ainsi le processus de l'évolution tout entier, des formes de vie les plus simples jusqu'à l'homme - l'homme non éveillé - et au-delà jusqu'au Bouddha ou homme Éveillé. La science et la religion, l'évolution inférieure et l'évolution supérieure sont comprises dans un même mouvement de grande ampleur, et ceci est une perspective pleine d'inspiration et de vigueur. En fermant les yeux, on peut voir tout le processus de croissance et d'efflorescence, passant, de ses premiers pas, au travers d'innombrables états et étapes successifs. On peut voir la longue, lente et douloureuse ascension de la vie qui culmine - pour l'instant du moins - dans l'homme.
L'Effort parfait est, bien entendu, la sixième étape du Noble chemin octuple, et le Noble chemin octuple correspond, à strictement parler, à la quatrième partie du processus d'évolution - à la partie correspondant à la section D de notre ligne. Dans un sens plus large, comprenant ce que l'on pourrait appeler le Chemin octuple mondain aussi bien que transcendantal, il correspond à tout le processus de l'évolution supérieure, c'est-à-dire à l'état représenté par les sections C et D de la ligne. En tant que tel il inclut même nos tentatives relativement timides de suivre le Chemin octuple.
Ainsi que le suggère notre schéma, l'évolution inférieure et l'évolution supérieure sont en un sens continues ; mais dans un autre sens elles ne le sont pas. Il y a en fait d'importantes différences entre elles. Alors que l'évolution inférieure est collective, puisque c'est ici toute l'espèce qui évolue et non un individu donné - à ce niveau l'individu n'existe pas encore - l'évolution supérieure est une affaire individuelle. Un individu peut évoluer plus qu'un autre, et devancer tout le reste de l'espèce humaine. Cette possibilité présuppose la conscience de soi ou la prise de conscience, et c'est pour cette raison que l'on parle de l'évolution consciente de l'homme. Cela présuppose aussi un effort individuel - et c'est pourquoi l'Effort parfait figure de façon si proéminente dans le Noble chemin octuple du Bouddha, qu'il corresponde à la seule section D ou aux deux sections C et D de notre schéma.
C'est collectivement que nous avons évolué jusqu'à notre niveau humain actuel. Pour la plus grande partie nous y sommes arrivés ensemble, mais plus de progrès nécessite plus d'effort de la part de chaque individu. En d'autres termes, plus de progrès nécessite l'Effort parfait, tant général que spécifique. Cela demande que nous ayons recours aux Quatre efforts : prévenir et éradiquer les mauvaises pensées, et développer et maintenir les bonnes pensées. Si, sans cesse, nous pratiquons l'Effort parfait de cette manière, nous atteindrons la fin du Chemin, ce qui veut dire que nous atteindrons le Nirvana, la Bouddhéité, ou la Réalité.
'Vision and Transformation' © Sangharakshita, Windhorse Publications 1990, traduction © Christian Richard 2003.