Il y a bien sûr des épisodes mettant en valeur d'autres qualités du Bouddha, tout aussi remarquables.
Le calme du Bouddha, sa présence radieuse s'exprimaient aussi dans son amour du silence. Cette qualité est montrée dans la célèbre histoire de Jivaka, qui était le médecin du Bouddha ainsi que celui du roi Ajatasattu. Jivaka emmena le roi faire une visite nocturne au Bouddha. Apparemment le roi et ses courtisans étaient tous assis sur le toit du palais admirant la lune ; c'était la pleine lune d'octobre, période où le lotus fleurit, et ils s'accordèrent pour dire que c'était une nuit merveilleuse pour rendre visite à un saint homme. Cela est typiquement indien : ce n'était pas une nuit merveilleuse pour faire un barbecue sur la plage, mais une nuit merveilleuse pour rendre visite à un saint homme. Ils partirent donc et, étant roi, Ajatasattu devait voyager avec classe. Il est dit que 500 éléphants furent sellés, 500 femmes du harem prirent place sur les éléphants, et tous partirent avec le roi et Jivaka à leur tête pour rendre visite au Bouddha dans les profondeurs de la jungle.
Mais à mesure qu'ils s'enfonçaient plus avant dans la forêt, et que tout devenait de plus en plus sombre, le bon esprit de célébration commença à se dissiper, au moins en ce qui concernait le roi. En dehors du fait qu'il ait été surchargé par les obligations et les inquiétudes de la fonction royale, il était en effet monté sur le trône par des moyens suspects, et en gardait une conscience coupable. Pris de peur et devenant méfiant, il s'arrêta et dit : « Jivaka, me conduisez-vous dans un piège ? » Mais Jivaka répondit : « Que votre Majesté ne s'inquiète pas. Il reste peu de chemin à faire. Le Bouddha est au cœur de la forêt. » Ils allèrent plus loin ; c'était de plus en plus sombre et silencieux, jusqu'à ce qu'ils n'entendent plus rien, à part probablement le bruit de la marche des 500 éléphants (mais les éléphants peuvent marcher très silencieusement !) Ajatasattu dit à nouveau : « Êtes-vous sûr de ne pas me conduire dans un piège ? » Mais Jivaka insista : « Ne vous inquiétez pas, votre Majesté, il n'y a aucun piège. »
Ajatasattu ne le crut cependant pas. Il dit : « Vous m'aviez dit que le Bouddha vivait avec 2.500 moines. On les entendrait à un mille à la ronde, mais il n'y a pas un bruit. Et vous essayez de me dire qu'il n'y a aucun piège ? » Mais Jivaka insista : « Ne vous inquiétez pas. Regardez : là, vous pouvez voir les lumières du pavillon du Bouddha. » En effet, dans une grande clairière de la jungle, il y avait le Bouddha, au milieu de 2.500 disciples, tous plongés dans un profond silence, assis dans la lumière de la pleine lune. Quand le roi, imprégné de toute sa suspicion et sa peur, vit la scène, il dit à Jivaka : « Ô, puisse mon fils faire l'expérience d'une telle paix de l'esprit ! » (En Inde, les gens sont très attachés à leurs fils et ont pour eux aspirations et vœux). À nouveau, nous retrouvons le Bouddha communiquant une qualité particulière de sa présence : son amour de la paix, de la solitude et du silence. Ceci également, ses disciples devaient s'en souvenir après sa mort, car si nous connaissons ces faits, c'est qu'ils nous ont été transmis.
Ils se souvenaient aussi d'histoires très différentes, que l'on pourrait appeler des miracles. Ils avaient vu ou entendu parler de toutes sortes de choses étranges qui pouvaient survenir en présence du Bouddha, des événements supranormaux pour lesquels il n'y avait pas d'explication rationnelle. Ils racontaient comment pendant la nuit, lorsque le Bouddha était quelque part, des personnages merveilleux, des devas ou des dieux, étaient vus dans les environs. Et ils racontaient que l'aspect le plus merveilleux de ces apparitions étaient qu'elles étaient là pour apprendre du Bouddha. Ils disaient qu'il leur enseignait le Dharma pendant la nuit, comme il le faisait le jour aux êtres humains.
L'apparition de devas n'aurait pas été considérée comme un événement miraculeux, un pratiharya. Un pratiharya est quelque chose comme l'épisode du Mahavastu dans lequel le Bouddha s'élève en marchant dans les airs, émettant simultanément feu et eau. Mais l'existence des devas était en fait considérée comme allant de soi du temps du Bouddha. C'étaient certainement des êtres extraordinaires, et l'on peut considérer leur apparition devant le Bouddha comme un événement extraordinaire, en dehors d'une vision ordinaire ou matérielle. Mais ils n'étaient pas dus au Bouddha lui-même, bien que ce dernier ait pu avoir le pouvoir extraordinaire de créer ce que les gens nommeraient un deva.
Néanmoins, de tels épisodes s'ajoutaient à l'ensemble des histoires et des anecdotes restées clairement en mémoire dans le cœur et à l'esprit de ses disciples. Nombre d'entre eux doivent avoir ressenti que ces histoires communiquaient quelque chose d'une très grande importance, quelque chose que les enseignements formels n'apportaient pas : l'effet qu'avait le Bouddha sur ceux avec lesquels il entrait en contact, l'impact direct d'un être Éveillé, qui est au-dessus et au-delà de tous les mots.
The Bodhisattva Ideal © Sangharakshita, Windhorse Publications 1999, traduction © Centre bouddhiste Triratna de Paris 2006.